Se retrouver à plusieurs millions dans les rues a été exaltant. La radicalité du mouvement a permis d’avancer sur des mots d’ordre clairs autour de la retraite, de la redistribution des richesses, de l’absence de possibilité de négocier cette réforme dont le projet devait être retiré. Ce mouvement que nous venons de vivre a travaillé la société en profondeur. Il a mis en évidence des caractéristiques nouvelles des ressorts de mobilisation.
Ce sont aussi de nouvelles pistes qui s’ouvrent pour le mouvement social, de nouvelles responsabilités auxquelles nous devons répondre. C’est le choix de cette contribution, à coté de tant d’autres qui éclairent différents aspects de ce conflit très riche, de privilégier les axes qu’il nous semble nécessaire d’approfondir collectivement. Elle s’appuie sur l’idée que la mobilisation accompagne une prise en main de nos destins, mais seul en reste ce que nous aurons été capables de convertir en capacité d’organisation et de réflexion, tout ce qui cristallise à un moment donné le rapport de force. Car, seconde conviction, les grands affrontements contre le libéralisme sont devant nous, sans doute autour de la dette publique, des conséquences des décisions gouvernementales à venir pour les droits sociaux notamment. Comment repenser la division syndicale, le lien avec le territoire, la lutte contre la pénibilité avec l’enrichissement apporté par ce conflit ? Où en est-on dans la construction de ce « travailleur collectif », quelles sont les nouvelles tâches qui s’ouvrent à nous ? Ce fil conducteur s’impose d’autant plus que le thème de départ, les retraites, reprend avec les autres dimensions de la protection sociale l’effort permanent d’unifier un salariat autour d’un axe de solidarité, par delà les mécanismes de division et d’éclatement suivant les tailles des entreprises, les statuts.
D’autres l’ont dit mieux que je pourrais le faire [1], la forme du mouvement tient autant à la nécessité d’étendre la grève, qu’à la relation entre des secteurs combatifs en grève reconductible et de nombreux autres secteurs. La nécessité d’un blocage économique du pays se trouve confrontée aux difficultés de mobilisation liées à l’éclatement du salariat, des solidarités professionnelles. Ce texte s’attache donc plus à soulever quelques autres questions qui doivent être mises en débat entre nous.
Une relation au territoire qui devient déterminante
La grève a représenté la colonne vertébrale du conflit. A côté des secteurs emblématiques tels que les transports ou les raffineries, des grèves répétées dans de nombreuses entreprises ont maintenu le climat de combativité et participé au ralentissement économique sans réussir son blocage complet. Plusieurs commentaires ont déjà souligné l’importance des manifestations, face aux difficultés pour faire grève sur le lieu de travail. Ces manifestations, de plus en plus proches des lieux de vie et de travail, se sont accompagnées d’une multitude d’actions diverses en dehors des entreprises. « Un mouvement interprofessionnel nourri par l’accumulation des résistances » [2].
La mobilisation pour la protection sociale construit la solidarité de classe sur une base autant territoriale que professionnelle, dépassant les situations particulières à travers un statut salarial unifiant. La forme territoriale de la mobilisation des retraites trouve une de ses sources dans la résistance au délitement des liens sociaux opérés par la capitalisme depuis des années (PME, précarité, chômage). Le mouvement de chômeurs, présent dans les manifestations, a pu s’exprimer dans quelques meetings unitaires. Traditionnellement, les mobilisations en défense de la protection sociale, tout en s’appuyant sur des secteurs professionnels en pointe du mouvement, s’appuient fortement sur les réseaux syndicaux locaux. Ce réseau interprofessionnel a déjà été confronté à un rendez-vous important lors des suppressions d’emplois de l’année 2009-2010. De nombreuses villes ont su construire des solidarités, mais la riposte contre les licenciements est restée fragmentée, sans arriver à poser la question d’un contrôle social sur les décisions des entreprises.
Le débat sur les structures internes de la CGT (avenir des unions locales, fusion des fédérations, poids des départements par rapport aux régions) devrait reprendre avec les éléments du conflit actuel : importance des structures territoriales de proximité qu’il faut revitaliser afin qu’elles jouent leur rôle dans les mobilisations territoriales, importance de fédérations répondant aux mécanismes de solidarité professionnelle. Une question identique est posée à Solidaires. Son histoire met en scène des structures militantes radicales basée sur de grands métiers ou de grandes entreprises (PTT, santé, Edf, SNCF, Impôts), et la présence significative (mais dispersée) dans de très nombreux secteurs, où sa présence permet souvent qu’un courant radical s’exprime, en lien avec les équipes syndicales radicales des autres confédérations. Or le mouvement a montré combien le territoire représente un enjeu des mobilisations. La faiblesse des structures territoriales de Solidaires n’a pas toujours permis de renforcer ces réseaux de militants, et on connaît la difficulté de l’élargissement au territoire pour des secteurs aux identités professionnelles fortes (et d’autant plus si celles-ci sont en crise). La FSU, très mobilisée elle aussi dans le conflit, doit aussi s’interroger sur la nécessité de structures interprofessionnelles, d’autant plus qu’elle s’est ouverte ces dernières années à d’autres champs de syndicalisation (secteur social, Pôle Emploi, fonction publique territoriale).
La structure actuelle du salariat (très éclaté, poids des PME, des précaires, des chômeurs) autant que l’appui territorial du conflit poussent à renforcer ces structures interprofessionnelles. Le mouvement syndical ne se construit pas « hors sol », il est l’expression des mobilisations tout comme il participe de sa construction. Si tout le monde s’accorde pour dire que les conditions objectives de mobilisation (difficultés de faire grève, éclatement du salariat, etc) sont devenues en partie structurelles, il est du devoir du syndicalisme de se donner pour objectif de renforcer, par tous les moyens, un réseau interprofessionnel implanté dans le maximum de villes. Les grandes entreprises et la fonction publiques doivent donner des moyens syndicaux pour les faire vivre. Et il faut se poser la question primordiale : pouvons-nous faire vivre de tels réseaux avec l’éclatement syndical actuel ? Le conflit invite finalement à une reconstruction de la relation syndicale et sociale au territoire. Il faut pouvoir poser la question de structures communes intersyndicales, capables de répondre aux défis posés par ce mouvement des retraites ; penser de nouvelles « Bourses du travail ».
Ces actions sur le territoire se sont appuyées sur la mobilisation extrêmement forte des agents de la fonction publique territoriale. C’est le secteur de la fonction publique qui regroupe le plus d’agents de catégorie C, il est confronté à la montée des exigences sociales, tout en étant aussi soumis à la réduction des budgets des collectivités territoriales et à la RGPP. La restructuration des collectivités territoriales (ville, intercommunalités, départements, régions, etc) annonce aussi pour ces agents un avenir flou. La responsabilité de la gauche dans la gestion des territoires n’est pas la moindre des difficultés. Le territoire porte le lien social, il est aussi (et de plus en plus) support des politiques publiques, il est lieu d’intervention de la militante associative, il est même le lieu d’expression traditionnel de la citoyenneté. Il faut repenser le territoire avec ces multiples éléments. D’autant qu’il devient maintenant vecteur de mobilisation sociale.
Un patronat et une droite libérale à l’offensive
Depuis 1995 et le renouveau des luttes sociales, la droite et le patronat ont entrepris un travail de terrain, portant sur différentes dimensions, qui vise à retirer les moyens de sa protestation au mouvement ouvrier. Ce sont d’abord les grandes entreprises, fer de lance des conflits précédents, qui ont subi un effort de restructuration interne permanent visant à briser les collectifs de travail, de métier et donc les mécanismes de résistance. Le secteur des télécommunications a subi la pression interne que tout le monde connaît aujourd’hui par ses effets en termes de souffrance des salariés. A la Poste, toute discussion libre au cours d’une pause café est susceptible de sanction, et les militants syndicaux sont soumis à une répression très forte.
A l’occasion du conflit, l’extension des réquisitions a marqué une nouvelle étape contre le droit de grève. Au delà des avis de réquisition cherchant à contourner le droit de grève ( avis à très courte durée ne pouvant faire l’objet d’un recours au tribunal, ou bien levée des réquisitions une heure avant le jugement au tribunal, pour être réinstaurée une heure après), le Conseil d’Etat, la plus haute instance juridique, a validé une extension importante des motifs de réquisition [3].
La répression antisyndicale est venue compléter ce travail de fond de déstructuration. Bien que nous manquions d’outils pour mesurer cela (mais les centaines de sanctions dont plusieurs licenciements qui avaient conclu la grève EDF de 2009 avaient servi d’alerte), un système de coercition s’est instaurer afin de décourager les résistances. On ne peut traiter cela entreprise par entreprise. Il faut poser le droit de se révolter, de s’organiser comme un droit démocratique. Le mouvement ouvrier doit sortir des sentiers battus, et innover. L’observatoire de la répression antisyndicale proposé par la Fondation Copernic peut en être un outil, mais il est surtout un point de départ pour une campagne unitaire et démocratique qui doit associer le plus largement possible dans la société. .
Paris province, un dialogue à renouveler
Ce mouvement reprend des éléments caractéristiques de la construction du mouvement social que nous vivons depuis 1995. Le décalage entre la région parisienne et les autres régions est une des réalités du mouvement social : le nombre de manifestants parisiens (350 000 pour 10 millions d’habitants) est sans commune mesure avec les chiffres de manifestants des villes des régions. Il faut le prendre comme une donnée structurelle, depuis le mouvement de 1955, de la construction du mouvement ouvrier français. Pour qu’une nouvelle parole se libère, de nouvelles pratiques apparaissent, il est sans doute plus aisé d’être éloigné de Paris, de ses appareils, de ses ténors…
Le mouvement actuel met aussi en évidence que la construction territoriale de la solidarité se heurte à la structure de la région parisienne. Si le 9-3 a pu construire une identité dans les dernières années, les départements de la région parisienne n’existent pas comme entité politique. Le sud du 77 commence peut-être à se dégager, comme la mobilisation autour du dépôt de Grandpuit a pu le montrer. Des pôles dans de nombreuses villes ou secteurs tendent à se constituer aussi comme de véritables collectifs territoriaux, tels que le nord du 92, Saint Denis, Créteil… Mais l’absence de grève ou de blocage des transports parisiens a pesé pour démontrer à tous l’étendue de la grève.
A la non-construction du territoire Ile-de-France, a répondu la mobilisation constructive de solidarité dans de nombreuses villes des autres régions. C’est sans doute une des difficultés pour le monde politique français de saisir cette dimension, tant il est centré sur la région parisienne. De fait, beaucoup d’éléments du débat politique se décantent dans ces régions, comme les débats autour de solutions politiques nouvelles peuvent émerger des choix faits à l’occasion des élections régionales. Et pour comprendre la force de ce mouvement, il faut intégrer les formes prises par les mobilisations dans de très nombreuses grandes villes. Cette dimension territoriale du conflit est un de ses apports fondamentaux.
Interroger le mouvement syndical sur son éclatement
L’unité syndicale a joué un rôle fondamental dans la mobilisation. Elle a pu représenter un lieu de débats où se reconnaissaient les salariés [4].]] en lutte, elle s’est prolongée certes au prix d’un moindre soutien aux occupations et blocages. Facteur de dynamisme et de frein, elle a un statut contradictoire [5]. L’effort d’unité des syndicats s’est prolongé par des réunions identiques à tous les niveaux et s’en est nourri, mais a représenté aussi une somme de réunions qui pèsent sur la capacité d’agir.
On peut lire cet attachement des salariés et plus largement de toute la population à l’unité syndicale sur un autre registre : l’expression d’une attente plus forte envers le syndicalisme, aujourd’hui où celui-ci apparaît plus éclaté que jamais. Les diverses tentatives d’unification des années 1980 et 1990 ont conduit au contraire à une multitude de syndicats, sans que le nombre total de militants syndicaux augmente. La capacité des salariés à se défendre collectivement passe par le droit démocratique de s’organiser dans le syndicat de son choix, mais elle repose aussi sur le rapport de force lié à une unité syndicale dépassant les divisions [6]. Mais cette division est-elle fatale ? Faut-il se remettre aux décisions législatives concernant les règles de représentativité pour en attendre des solutions, qui ne privilégieront pas forcément la partie la plus radicale du syndicalisme ? Le moment que nous venons de vivre repose la nécessité d’un syndicalisme unifié.
La vitalité du syndicalisme ne vient pas du nombre de ses structures de base. Elle provient surtout de la combativité des salariés, et de la capacité des syndicats, notamment des structures de base, à représenter cette combativité. Depuis 1995, le mouvement syndical démontre sa capacité à absorber, dans un effort permanent, les éléments les plus combatifs des mouvements de grève, notamment dans la CGT, Solidaires et la FSU , dans une dynamique d’auto-organisation permanente à la base. Cette « porosité » explique combien le débat durant le conflit a pu mobiliser les structures intermédiaires de la CGT, avec une liberté interne de parole qui rappelle le débat sur le vote contre le TCE. Ces élus de proximité expliquent en grande partie la confiance dans le syndicalisme. Cette radicalité de la base s’est heurtée à la prudence de l’intersyndicale…
Le cadre renouvelé de l’unité syndicale (avec des équipes de syndicalistes qui se connaissent, s’apprécient, luttent ensemble) ouvre donc un débat de fond pour les années à venir. L’exigence d’un front uni face aux attaques du libéralisme révèle qu’il existe une volonté forte de dépasser cette fragmentation du mouvement syndical. Il faut mettre en place des formes pérennes d’unité, qui soient à la hauteur des attentes des salariés et de l’exigence de résistance à la crise, qui ne soit pas négocié à chaque mobilisation, des formes pérennes qui suscitent l’engagement de nouvelles personnes. Il faut dans le même sens proposer des campagnes communes de syndicalisation, s’appuyant sur un projet syndical commun. De nouvelles générations souhaitent, à la suite de ce conflit, se tourner vers le syndicalisme ; un plan de formation de type éducation populaire répondrait à ce nouvel apport qui constitue les couches militantes de demain.
Unifier le salariat à travers ses différentes composantes
L’unification syndicale passe par sa capacité à unifier le salariat. Comment unifier celui-ci dans la lutte, malgré les différences de situation vécues par ses différentes composantes ? La campagne pour les retraites a apporté une réponse forte, en mettant en avant les mécanismes pour réduire les inégalités.
Un élément majeur de cette bataille pour les retraites a été l’irruption, au niveau de toute la société, du thème de l’égalité professionnelle hommes / femmes. La nouvelle loi des retraites réduit les mécanismes de solidarité qui permettait de contrebalancer cette inégalité professionnelle. Lancé à partir du contact du décalage entre les niveaux de pension, le débat social a débordé sur l’origine de ce décalage : l’inégalité durant la vie professionnelle. Ce sujet est traité de façon marginale par le mouvement syndical depuis des années, au gré des accords sur l’égalité professionnelle ou de lutte spécifiques. Il n’existe pas de mécanisme contraignant pour les entreprises, tout dépend donc de mobilisations locales [7]. Le mouvement a donné une légitimité sociale pour remettre en cause non seulement le traitement différencié que subissent les femmes dans un emploi, mais le mécanisme structurel qui les confine dans les emplois les moins bien considérés, les moins bien payés. Le décalage des pensions de retraite est le résultat de ces processus divers qui commencent dès l’orientation scolaire. L’exigence de l’égalité des pensions, quelque soit le parcours professionnel, rejoint le besoin d’une égalité totale des situations et des salaires, quelque soit l’emploi ou le parcours. Ouvrir ce chantier par la question de l’égalité dans le niveau des pensions de retraites, a conduit à remettre en cause l’ensemble de la structure sociale inégalitaire de la société.
On peut néanmoins noter ce curieux paradoxe : autant le débat sur l’égalité professionnelle a été structurant pour la compréhension des retraites et pour l’élargissement de la mobilisation, autant la mobilisation elle-même reste marquée par des images mettant en scène l’affrontement viril : occupation des raffineries, des déchetteries… Pourtant des secteurs professionnels très féminisés ont été aux avant poste de la mobilisation : les infirmières anesthésistes (qui ont d’ailleurs été violemment attaquées par les CRS), le secteur de la petite enfance, les vendeuses marseillaises de Monoprix [8], les femmes des cantines à Marseille encore… Dans notre imagerie ouvrière, les métiers masculins sont-ils plus à même de bloquer l’économie, maître mot du conflit ? Pourtant la force du mouvement a été d’intégrer comme un facteur supplémentaire d’unité la prise en compte de l’inégalité entre hommes et femmes.
Cela n’a pas été le cas concernant la pénibilité, là aussi facteur d’inégalités entre salariés devant la retraite. De nombreux cortèges et de nombreux secteurs mettaient en avant cette exigence. La manifestation du 9 octobre appelée par ANDEVA et la FNATH [9] s’est aussi clairement inscrite dans la bataille générale des retraites. Pourtant cette revendication n’avait pas une place centrale dans l’argumentation. Plusieurs raisons concourent sans doute à cette moindre prise en compte, par exemple l’absence globalement du secteur associatif dans les mobilisations (mais l’intersyndicale ne leur a pas fait de place), ou bien le manque d’engagement de ces associations dans les collectifs unitaires. La pression que met le monde ouvrier pour l’amélioration de la vie au travail entre en contradiction avec le constat d’échec que représente le départ anticipé pour travaux pénibles. L’appréciation de la pénibilité est aussi porteuse de divisions : qui a un métier pénible ? seule l’adoption, au sein du mouvement ouvrier, de critères objectifs permettrait de rendre légitime les cessations anticipées d’activité, comme la négociation autour de l’amiante avait pu le valider.
Peut-être faut-il oser rajouter que la capacité d’expression intellectuelle des salariés de ces métiers pénibles, lié à la marginalité de ces métiers ? Le débat à la fin juin autour de ces questions mettait surtout en évidence la crainte d’ouvrir une brèche dans le front syndical, en ouvrant l’opportunité d’une négociation spécifique sur la prise en compte des métiers pénibles. Effet du traumatisme de 2003, où l’ouverture de négociations pour la prise en compte des métiers pénibles avait été l’occasion d’un délitement de l’intersyndical.
Les revendications d’égalité sont souvent portées par les seuls secteurs concernés, comme légitimation de leur combat. C’est lorsque leur défense devient une nécessité pour tous, qu’elles deviennent l’expression de l’unité. La résolution des inégalités internes renforce le mouvement dans son ensemble. La prise en compte de la pénibilité doit devenir une exigence sociale qui concerne tout le monde, en devenant une véritable question politique [10] qui conduise simultanément à réinterroger le travail.
La protection sociale au centre de la solidarité sociale
L’offensive libérale des années à venir (démontrée une fois de plus, sous le prétexte de la dette publique, contre les populations d’Irlande après celles de la Grèce), ouvre à la nécessité de repenser l’affrontement. Ce mouvement sur les retraites nous enseigne que l’affrontement ne peut reposer sur les seules forces syndicales.
Il faut prendre en compte la nature politique de l’affrontement avec le gouvernement sarkozyste. La présence, dans les mobilisations et dans les structures qui portaient celui-ci, des partis politiques de la gauche antilibérale (et même du Parti socialiste et d’Europe-Ecologie), doit se prolonger : offrir une alternative politique dont l’issue ne peut être portée par les seuls partis, mais relève de la responsabilité et de l’engagement social de tous ceux qui ont participé au mouvement. C’est la nécessité d’un front politique et social, reprenant cette jonction entre les questions sociales et leur expression politique.
Un grand absent de cette mobilisation a été le mouvement associatif. Le libéralisme veut restreindre tout cet espace de la vie sociale qui échappe encore à l’échange marchand en le contraignant à s’inscrire dans les normes sociales marchandes, dont le paiement de la TVA [11]. Nous avons noté le soutien de nombreuses associations au mouvement. La manifestation du 4 septembre avait sonné la rentrée sociale. Mais le mouvement associatif, mutualiste n’a pas pu trouver une place dans ces mobilisations, dans les structures locales d’organisation, dans les grandes manifestations. C’est pourtant un des grands structurants du lien social dans les villes [12]. C’est sans doute un des effets de l’engagement timide du Parti Socialiste dans le cadre unitaire de mobilisation, du fait qu’il ne partageait pas le socle de la mobilisation, le retrait du projet de loi …
Une autre échéance nous attend parmi d’autres (assurance maladie, prévoyance, retraites complémentaires etc.) dans les mois à venir, la renégociation de la convention UNEDIC. Le mouvement des retraites a su poser la nécessité d’une redistribution des richesses afin de répondre aux défis sociaux. De la même façon, on ne peut accepter l’idée d’une mise en opposition entre les intérêts des salariés et les intérêts des chômeurs, qui conduirait à échanger niveau des cotisations et niveau des allocations. Une redistribution des richesses, basée sur les hausses de productivité, doit permettre d’accepter qu’une part plus importante des richesses soit attribuée au maintien d’un niveau de vie normal (n’est-ce pas la définition du SMIC ?) de toute la population active. La part patronale des cotisations UNEDIC doit donc être élevée au niveau nécessaire. Mais là encore, des liens sociaux doivent être recréés au niveau des territoires.
Il faut donc trouver de nouveaux canaux tels que nous avions su tisser lors des Forums sociaux, un nouveau type de forums liant mouvement associatif, syndical, politique, au niveau local comme au niveau national. La refondation d’un mouvement antilibéral large, qui s’exprime autant au niveau social qu’au niveau politique doit prolonger ce mouvement, afin de préparer les prochains affrontements avec ce gouvernement.
Louis-Marie Barnier
Syndicaliste, sociologue, membre de la Fondation Copernic.