Quelles réactions le meurtre de Sohane a-t-il suscité ?
Sandrine Bourret - La mort de Sohane est devenue emblématique des violences faites aux femmes grâce à l’engagement de sa famille et, plus particulièrement, de sa sœur aînée, Kahina, qui a d’abord rejoint le mouvement Ni putes ni soumises naissant, avant de prendre ses distances avec lui.
À Vitry, des enseignants et des élèves du Lycée Jean-Macé se sont mobilisés avec des militants associatifs et des citoyens contre les discriminations et les violences sexistes et pour une vraie égalité entre les femmes et les hommes, donnant ainsi naissance au Collectif féminin-masculin, désormais association loi 1901. Il s’agissait de répondre aux réactions, minoritaires mais très affirmées, des filles comme des garçons, qui banalisaient, se résignaient et, comme chaque fois qu’une femme subit des violences, transformaient la victime en coupable. Il s’agit toujours de lutter contre les préjugés nés de l’intériorisation des normes sociales sexistes, y compris chez les filles, qui veulent qu’une « fille bien », soucieuse de sa réputation, surveille sans cesse sa conduite, ses fréquentations, ses sorties, sa façon de s’habiller... sous peine d’être elle-même responsable des violences qu’elle pourrait avoir à subir, violences tant symboliques que verbales ou physiques.
Comment le Collectif féminin-masculin sensibilise-t-il la population ?
S. Bourret - Depuis maintenant trois ans et demi, nos actions sont tournées à la fois vers les lycéens et lycéennes, voire les collégiens et collégiennes, de la ville, à travers des débats faisant suite à des projections de films, de documentaires, ou aux représentations de l’atelier d’écriture et de théâtre que nous avons mis en place sur les rapports filles/garçons et dirigé par la compagnie Lez’armuses. Mais nous cherchons à toucher tous les habitants de Vitry à travers un bulletin et un lieu d’écoute et d’accueil.
Il nous a également fallu nous battre, avec la Ligue du droit international des femmes (LDIF) - qui s’est constituée partie civile dans le procès -, les comités locaux d’Attac et du Mrap, pour la mémoire de Sohane à Vitry contre la municipalité (PCF), qui se montrait réticente à déposer la plaque précisant que Sohane était morte « brûlée vive », comme le lui demandait la famille. Finalement, nos arguments l’ont emporté et la mairie a inauguré l’esplanade Sohane-Benziane en octobre 20051.
Outre la condamnation du meurtrier de Sohane et de son complice, qu’est-ce que le procès a apporté ?
S. Bourret - Le procès lui-même comportait un enjeu majeur : la reconnaissance de la dimension sexiste de ce drame, ce qui n’allait pas de soi au départ. Le déroulement du procès a montré à quel point le terme même de « sexisme » est encore mal compris et la spécificité des violences faites aux femmes invisible. Le fait que la LDIF se porte partie civile et que le Collectif féminin-masculin ait témoigné a sans aucun doute joué un rôle décisif. La reprise de cette analyse par l’avocat général est pour nous un acquis important. Nous avions parfaitement conscience, avant l’ouverture du procès et, en fait, depuis la médiatisation de ce drame, du risque accru de stigmatisation des cités et, par contre-coup, d’un effet de légitimation de la politique sécuritaire du gouvernement. Mais nous refusons cette logique encore trop fréquente, qui voudrait que l’on fasse passer au second plan la lutte contre le sexisme.
Nous avons tout fait, notamment dans nos réponses aux médias, pour situer ce drame dans le cadre général des violences faites aux femmes : tout en prenant des formes différentes et en étant exacerbées par un contexte social dégradé, elles existent dans tous les milieux et s’enracinent toutes dans le patriarcat, qui structure encore toutes les sociétés. Ce message est parfois passé.
Le but est d’en finir avec la terrible complaisance que ces violences rencontrent dans la société française. Nous espérons donc qu’un petit pas a été fait.
Note
1. La mairie de Paris a également inauguré un centre d’animation Sohane dans le 15e arrondissement.