La bonne nouvelle, c’est que Raiponce est drôle, haletant et visuellement stupéfiant. La mauvaise, c’est qu’il déterre la même vieille histoire : l’image de la femme, c’est celle de la princesse attendant son prince charmant ou de la belle-mère acariâtre ; quant à l’homme, il prend en charge l’action, dans tous les sens du terme. Et la beauté dans Raiponce, c’est bien sûr d’être blanc, blond, jeune et mince.
Puisque Disney a présenté Raiponce comme le tout dernier film à princesse que la compagnie produira, on peut l’envisager comme une œuvre de transition, comme une indication sur le futur de sa production. Que Disney bazarde enfin ses princesses pourrait apparaître comme une bonne nouvelle. Enfin, on ne parlera plus de demoiselles en danger, sauvées à la fin du film parce qu’un homme débarque. Hélas, le but recherché par Disney n’est pas de tirer un trait sur le motif de la princesse à secourir. Bien plutôt, le seul critère pris en compte est celui de l’audience. Il s’agit d’attirer les garçons et les hommes, pas juste les filles et les femmes.
Moins de rose
Dans cette optique, Disney a mis sur pied une nouvelle équipe de direction en 2008 dont une des missions était de « dégager la couleur rose des films ». Résultat : « Raiponce » est un dessin animé dont le titre n’évoque pas vraiment le nom d’une héroïne, avec plus d’action et une brochette de gros bras (contre seulement deux principaux personnages féminins : Raiponce et la diabolique Mère Ghotel qui a capturé Raiponce quand celle-ci était petite). Voilà un avant-goût de ce que sera l’ère post-princesse chez Disney.
Tandis que beaucoup prétendent qu’il s’agit d’un rééquilibrage visant à une neutralité de genre, cela me semble plutôt être un tournant masculiniste. La domination masculine apparaît dès le premier plan du film, un zoom sur le héros Fynn, qui annonce l’« histoire drôle » à venir, à savoir le kidnapping et l’emprisonnement de Raiponce. « Cette histoire n’est pas la mienne », ajoute-t-il, alors qu’il y sera bien davantage question de lui que d’elle. Comme le note le producteur, « on s’est beaucoup amusés à mettre en scène Fynn, un aventurier qui a déjà tout vu du monde, rencontrant Raiponce, prisonnière dans une tour depuis 18 ans. » Décidément, la neutralité de genre et l’égalité sont en marche !
Mieux que Blanche Neige
Raiponce ressemble à une pauvre enfant abandonnée, avec de grands yeux et une taille de guêpe. Elle fredonne à longueur de journée un refrain : « Je me demande quand ma vie va commencer… » Elle incarne le stéréotype de la fille hyperémotive, se dandinant de ça de là, avec ses longues boucles d’or. Pour elle, le happy end sera de retrouver ses vrais parents et d’épouser Flynn (c’est bien sûr lui qui la demande en mariage, pas l’inverse). Certes, Raiponce fait preuve une ou deux fois de courage. Elle est une Blanche Neige améliorée, puisque Blanche Neige ne savait que chanter pour des animaux et faire joyeusement le ménage après le passage des Sept Nains. Mais il n’y a là que condescendance : elle est une blonde aux cheveux longs avec un soupçon de volontarisme pour correspondre au public du 21e siècle. Et d’ailleurs, qu’est-ce qui a pris les réalisateurs quand ils ont décidé que Flynn appellerait d’emblée Raiponce « blondie » ?
Blonde et blanche
Comme le souligne la féministe noire Renee Martin sur son blog, « à force de représenter des princesses aux longs cheveux blonds comme modèle de la féminité, cela en exclut les femmes de couleur. Le fait que Raiponce sorte juste après le premier Disney à représenter une princesse afro-américaine (la princesse Tiana dans La Princesse et la grenouille sorti en 2010, réd.) est un véritable rappel à l’ordre sur ce que doit vraiment signifier la féminité. » De plus, la méchante mère Gothel a la peau, les cheveux et les yeux noirs et des traits non-européens. Comme le souligne naïvement un célèbre critique : « Mère Gothel est un personnage noir, vraiment noir. Je veux dire, c’est une voleuse de bébé. »
Outre que le film renoue avec une représentation problématique de la « race », il s’inscrit dans la tradition d’une prétendue obsession des femmes pour la beauté, qui hante la mère Gothel, à l’image de la reine maléfique qui dans Blanche Neige adore son « beau miroir », ce que Flynn juge « diabolique ». Gothel est de plus présentée sous les traits d’une femme seule et tyrannique.
En résumé, il s’agit d’un film dominé par des hommes et qui se focalise sur les cheveux blonds, aux vertus magiques, d’une princesse blanche qui doit être sauvée d’une sorcière noire et malfaisante. Oui, c’est drôle, avec des dialogues vifs et de bonnes chansons. Oui, c’est un régal pour les yeux. Oui, j’apprécie que Raiponce ait plus de verve et de cran que ses prédécesseures. Mais, malgré son engagement d’arrêter de produire des dessins animés de princesse pour créer des œuvres supposées attirer un public plus large, Disney n’a pas rompu ses liens avec une vision du monde blanche et patriarcale. Loin s’en faut.
Natalie Wilson