La loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes (LEg), venue renforcer un article datant de 1981, est entrée en vigueur en 1996. Cette dernière prévoit par exemple que « l’interdiction de toute discrimination s’applique notamment à l’embauche, à l’attribution des tâches, à l’aménagement des conditions de travail, à la rémunération, à la formation et au perfectionnement professionnels, à la promotion et à la résiliation des rapports de travail. »
Qu’en est il aujourd’hui ? L’enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) révélait dans son dernier rapport en 2008 que la situation s’était détériorée en deux ans, l’écart salarial en défaveur des femmes passant de 18,9 à 19,3 %. Comment expliquer une telle régression ?
Normalisation de l’inégalité
Dans l’analyse traditionnelle des causes de ces inégalités, une différence est effectuée entre les facteurs « explicables » et les facteurs « non- explicables », considérés comme discriminatoires. Ainsi, que les femmes soient sous- représentées au sein des postes de cadres, ou qu’elles occupent majoritairement des emplois au sein des secteurs où les salaires sont moindres est censé justifier le fait qu’elles gagnent globalement moins que les hommes (Analyse comparative entre les salaires des femmes et des hommes sur la base de l’enquête sur la structure des salaires 2008, Büro für Arbeits- und sozialpolitische Studien AG, septembre 2010).
Le problème d’une telle grille d’analyse est que ces facteurs dits « explicables » – dans le privé, ils étaient censés en 2008 justifier 61,1 % des cas d’inégalités, les 39,8 % restants concernant les facteurs inexplicables (OFS, Niveau des salaires par sexe, 2008) – conduisent à la normalisation d’une situation d’inégalité criante. En effet, la position professionnelle occupée par les femmes est souvent moins l’affaire d’un choix que d’une adaptation à une réalité sociale et économique qui ne favorise pas la conciliation entre vie parentale et parcours professionnel.
Sous couvert de flexibilisation
La flexibilisation et le temps partiel, qui concernent, pour le premier trimestre 2010, 58 % des femmes, contre 34 % des hommes (Enquête suisse sur la population active) comptent parmi les mesures phares promues par les autorités pour répondre aux problèmes causés par la difficile conciliation entre parentalité et vie professionnelle. Mais en réalité, le temps partiel « est socialement construit sur la base de l’inégal partage des charges familiales entre les sexes, hypocritement présenté comme une souplesse offerte aux femmes et concrètement tourné vers le profit des entreprises. L’idéologie libérale utilise la main d’œuvre féminine comme une variable d’ajustement de la fluctuation de l’activité. » (Christiane Marty, Attac France, 2006).
Quant aux facteurs « non explicables », qui représentent environ 40 % des inégalités salariales, ils varient selon les secteurs, la taille de l’entreprise ou encore l’état civil. Cette hétérogénéité témoigne de l’absence de législation stricte et de son caractère arbitraire : dans les secteurs majoritairement masculins comme le transport ou la construction par exemple, la part discriminatoire est nettement plus élevée qu’au sein des professions « mixtes ». Cette forte variation signifie que les femmes, au sein de ces secteurs masculins, devraient, au vu de leurs qualifications, gagner davantage que les hommes mais que dans la réalité, si elles intégraient ces secteurs, elles subiraient des inégalités plus fortes encore que dans d’autres branches d’activité (Vers l’égalité des salaires, brochure éditée par le Bureau de l’égalité entre femmes et hommes) ! De quoi assurer une longue vie au mythe du caractère sexué des métiers.
Responsabilité collective
Les explications traditionnelles justifiant les écarts salariaux, l’alibi que constitue la prétendue flexibilisation du travail au travers du temps partiel ou encore le leurre que représente la distinction entre facteurs explicables ou non face à ces inégalités en disent long sur la faille du marché de l’emploi tel que le conçoit le système actuel, qui repose sur la division sexuelle du travail. En ce sens, les tâches domestiques dévolues aux femmes font l’objet d’une invisibilisation totale qui convient aux milieux dirigeants, parce qu’elle décharge ces derniers d’une responsabilité collective : celle de la mise en place de structures publiques de qualité qui prendraient en charge les tâches considérées aujourd’hui comme relevant de la sphère privée mais qui, en réalité, concernent la société dans son ensemble.
De fait, des revendications telles qu’une réelle égalisation des salaires, l’instauration d’un salaire minimum, l’amélioration de l’offre et la gratuité des services publics, une meilleure accessibilité des femmes aux emplois « masculins », une reconfiguration du travail productif et reproductif ou encore la reconnaissance par la société du travail domestique sont plus que jamais nécessaires. Enfin, la baisse du temps de travail généralisée, sans intensification du travail et sans perte de salaire, doit intégrer l’objectif de réduction de l’emploi à temps partiel et permettre aux travailleuses et travailleurs de bénéficier des avantages permis par l’amélioration de la productivité. Cette mesure permettrait par ailleurs de diminuer le chômage et de valoriser un partage équitable des revenus. Autant de revendications qui doivent être mises en avant lors de la grève des femmes prévue le 14 juin 2011, 20 ans après celle de 1991 qui avait permis d’arracher des conquêtes décisives mais fragiles.
Maïla Kocher