Gouverneur de la province du Pendjab au Pakistan, Taseer était membre du Parti du peuple pakistanais (PPP), au pouvoir. Homme d’affaires, politicien, il était connu pour ses opinions libérales en matières de mœurs et son combat contre l’intolérance religieuse. Il avait pris ouvertement la défense d’une chrétienne condamnée à la peine capitale, Aasia Bibi, intercédant auprès du président Asif Ali Zardari pour obtenir sa grâce. Il était devenu une bête noire des islamistes alors que l’abolition de la loi anti-blasphème est exigé par les milieux progressistes du Pakistan.
Les conservateurs ont mobilisé en masse pour que le blasphème reste passible de la peine de mort, organisant notamment une grève dans les centres urbains le 31 décembre 2010. Aujourd’hui, les religieux fanatiques saluent l’attentat du 4 janvier, criant victoire sur Internet et présentant le policier meurtrier, Mumtaz Qadri, comme un véritable héros de l’islam. Le 9 janvier encore, une manifestation a réuni près de 50.000 personnes à Karachi en défense de la loi.
Il s’agit en fait pour les conservateurs de faire pression sur un régime politiquement affaibli, car ils ont déjà obtenu gain de cause sur la question du blasphème. Le Premier Ministre Youssouf Raza Gilani a en effet déclaré que son gouvernement n’avait pas l’intention d’abolir ni d’amender la loi ; de plus, il montre actuellement bien peu de velléités de retrouver les commanditaires de l’assassinat du gouverneur du Pendjab.
Les conséquences de la criminalisation du blasphème sont pourtant particulièrement graves : spirale de violences sectaires, persécution des minorités religieuses (chrétiennes, hindoues mais aussi musulmanes), justification des pires extrémismes religieux, multiplication des règlements de comptes personnels…
Les opposants à cette loi mortifère se retrouvent aujourd’hui sans grande protection. L’assassinat de Salman Taseer montre en effet à quel point les rouages de l’Etat sont infiltrés par les courants radicaux. Le message est clair : personne n’est à l’abri, même les puissants ; quiconque remet en cause la loi risque la mort selon une logique implacable : qui la critique commet déjà un blasphème, considéré crime capital. En ces temps meurtriers, les progressistes pakistanais méritent plus que jamais notre solidarité.
Pierre Rousset