L’actuelle Belgique fédérale « est une construction institutionnelle complexe, hybride, illisible... ...que les politiciens eux-mêmes n’arrivent plus à gérer »
(Kris Peeters, ministre-président de la région flamande, et Rudy Demotte, ministre-président
de la Région wallonne et de la Communauté française)
1. Pour les marxistes, ce que l’on appelle communément la « querelle
communautaire » constitue en réalité la « question nationale » belge.
Cette question nationale n’a pas un caractère immuable ; de la nais-
sance et du développement du capitalisme jusqu’à l’époque de l’impérialisme et du capitalisme tardif ensuite, son contenu et ses formes
ont constamment évolué au fil du temps, ce qui implique nécessairement d’adapter notre analyse et nos solutions afin de la résoudre. Ces
solutions passent par un ensemble de revendications transitoires qui,
par définition, dépendent étroitement du contexte historique, du rapport de forces global entre les classes et du niveau de conscience de
classe à un moment déterminé.
2. Pour la LCR, la question nationale doit être exclusivement abordée du point de vue de la défense des intérêts des travailleurs-euses
et, dans ce cadre, d’une prise en compte des oppressions spécifiques
des jeunes, des femmes, des immigré-e-s. En tant que marxistes révolutionnaires, nous reconnaissons le droit des peuples à l’autodéter-
mination, mais ce droit n’est pas un principe abstrait dont découlerait
automatiquement son application. En fonction de l’analyse concrète
de chaque situation concrète, nous nous réservons le droit d’être pour
ou contre telle ou telle réforme institutionnelle selon qu’elle met ou
non les exploité-e-s et les opprimé-e-s dans une situation plus favorable à la promotion de leurs droits démocratiques et sociaux par leur
unité d’action.
3. Aborder la question nationale à partir des intérêts des travailleurs-
euses et du point de vue de la lutte des classes ne revient donc pas à
nier les questions démocratiques et la lutte contre toute forme de discrimination ou d’oppression linguistique ou culturelle. Mais cela signifie intégrer ces questions sur ces bases et les articuler dans une
perspective et une orientation anticapitalistes qui, dans tous les cas,
assure l’indispensable sauvegarde d’une politique indépendante pour
les travailleurs-euses et leur solidarité de classe au-delà de toutes les
frontières, comme condition essentielle pour combattre toute forme
de chauvinisme ou de nationalisme réactionnaire.
I. Le développement historique de la question nationale en Belgique
4. Depuis la naissance de l’Etat belge en 1830, les intellectuels de la
bourgeoisie ont créé et diffusé une Histoire officielle mettant en scène
une Belgique qui, même privée d’Etat, vivait de toute éternité « dans
les cœurs et les esprits » - d’Ambiorix à Charles Rogier, en passant
par Notger, Godefroid de Bouillon, les Comtes d’Egmont et de Hornes, Rubens et tant d’autres. Cette Histoire est purement mythique.
Contrairement à d’autres pays, la Belgique n’est pas le fruit d’un
long processus d’unification historique d’un « Etat-nation » [1]. Elle s’est
créée de manière tardive et artificielle, regroupant plusieurs populations au passé différent au sein d’un nouvel Etat unitaire. Quoique
celles-ci aient un certain nombre de traits communs, fruit de l’histoire
longue des « Pays Bas du Sud » et de la Principauté de Liège, le regroupement de ces populations dans le cadre de l’Etat belge résultait
plus des calculs stratégiques des grandes puissances européennes que
d’un élan populaire ou de l’existence préalable d’une conscience nationale belge.
En réaction, les mouvements nationaux flamands puis wallons ont
créé leur propre version de l’Histoire, sur les mêmes bases que l’Histoire officielle belge mais dans le cadre de leur région. Ces Histoires
sont tout aussi mythiques. Même si, elles aussi, peuvent prétendre
plonger certaines racines dans le passé et, en plus, dans la proximité
linguistique entre les populations, Flandres et Wallonie sont des créations récentes, qui n’émergent comme entités nouvelles que dans le
cadre de la Belgique, et en réactions successives au fonctionnement
d’un Etat unitaire francophone.
5. Cet Etat est profondément réactionnaire et illégitime dès sa nais-
sance, puisqu’il instaure une monarchie, qu’il n’y a pas de séparation
entre l’Eglise et l’Etat et qu’il est géré comme une entreprise capitaliste par une minorité masculine de 40.000 aristocrates et bourgeois disposant, seuls, du droit de vote. Dans ces conditions, l’exploitation de
la classe ouvrière naissante, privée de tout droit syndical ou politique,
est extrêmement brutale, c’est pourquoi Marx avait raison de présenter la Belgique comme le « paradis des capitalistes ».
Un développement inégal et combiné caractérise d’emblée cet Etat,
avec une Wallonie davantage industrialisée et une Flandre plus profondément rurale, qui deviendra rapidement pourvoyeuse de main
d’œuvre pour les grandes entreprises industrielles en Wallonie. Alors
que les populations parlent divers dialectes wallons et flamands, mais
aussi picard et lorrain, la bourgeoisie adopte une langue étrangère, le
français comme langue véhiculaire.
6. Le caractère politiquement peureux de la bourgeoisie industrielle
belge va être démontré par son traitement de la question nationale.
Pour unifier un marché national cohérent, elle doit construire un
Etat-nation unifié linguistiquement. C’est pourquoi le parti libéral,
expression politique de cette bourgeoisie industrielle, parvient entre
1848 et 1884 à imposer la francisation progressive de la future Wallonie. Par contre, en Flandre, où les propriétaires terriens et l’Eglise ne
veulent pas perdre le contrôle des populations qu’elles contrôlent via
l’enseignement religieux en flamand, la bourgeoisie refuse d’aller à
l’affrontement avec ces forces réactionnaires qui bloquent son projet
d’unité nationale mais peuvent être des alliées essentielles en cas
d’affrontement avec les classes populaires.
La bourgeoisie industrielle francophone renonce donc à franciser
le peuple flamand tout en imposant un Etat central fonctionnant de
manière strictement unilingue francophone. Elle provoque ainsi une
situation d’oppression nationale du peuple flamand dans le cadre de
l’Etat belge unitaire.
7. Le combat contre l’oppression du peuple flamand était un combat
à la fois social et démocratique et à ce titre il s’agissait d’un juste
combat qui se devait d’être soutenu par toutes les forces progressistes. Le fait que la social-démocratie naissante (le POB, ancêtre du PS
et du SP.a) s’est refusé à s’engager à fond dans la lutte contre cette
oppression nationale a empêché le développement potentiellement
anticapitaliste de ce combat et laissé le champ libre pour sa récupération par des forces petites-bourgeoises et bourgeoises, cléricales et
réactionnaires [2].
Cette erreur stratégique majeure était déjà le produit de la politique de collaboration de classe de la social-démocratie avec la bourgeoisie francophone. Elle explique dans une large mesure les différences entre les formations sociales au Nord et au Sud du pays (en
particulier poids de l’Eglise, de la social-démocratie, des syndicalismes chrétien et socialiste). On en paie encore le prix aujourd’hui.
8. Même si les dialectes wallons ont été, eux aussi, marginalisés,
pendant plus d’un siècle, la question nationale belge s’est essentiellement concentrée autour de cette oppression du peuple flamand. Né à
partir des années 1840, le mouvement flamand a eu une base populaire à partir de la fin du 19e siècle mais arrachera ses premières
conquêtes pour le respect de sa langue et de sa culture dès 1873, avec
la possibilité d’utiliser le néerlandais dans la justice, puis dans l’admi-
nistration en 1878 et enfin dans l’enseignement en 1883. En 1898 une
loi consacre l’égalité juridique du français et du flamand dans les textes législatifs et en 1921 des lois renforcent le bilinguisme dans les
administrations centrales.
9. Mais il faudra attendre 1932, soit un siècle après la création de
l’Etat belge, pour que l’essentiel des revendications linguistiques du
mouvement flamand soient satisfaites, avec la reconnaissance définitive du néerlandais comme langue officielle du pays et l’unilinguisme
territorial (seul le flamand pourra être utilisé dans les services de l’Etat en Flandre - sauf à Bruxelles et dans l’administration centrale
où l’on instaure le bilinguisme de services). Ces conquêtes seront
définitivement consacrées lors de la révision constitutionnelle de
1971, créant les Communautés et leur pleine autonomie dans la gestion des affaires culturelles et linguistiques.
Aujourd’hui, le nationalisme flamand n’est plus que l’enveloppe
du néolibéralisme ultra par lequel la classe dominante en Flandre
veut renforcer son pouvoir sur les travailleurs-euses du Nord, en les
dressant face aux travailleurs-euses du Sud, en brisant leurs conquêtes sociales communes et les mécanismes de solidarité interprofessionnelle qui les unissent.
10. La conscience nationale wallonne, quant à elle, ne s’est dévelop-
pée que plus tardivement par rapport au mouvement flamand. Naissant à la fin du 19e siècle, le mouvement wallon est d’abord l’expression de l’inquiétude des couches de fonctionnaires et de petits-bourgeois inquiets de la reconnaissance grandissante accordée au
néerlandais qui se combine souvent à une idéologie belgicaine réactionnaire et anti-flamande.s. Une conscience nationale wallonne n’acquiert une assise populaire
(et essentiellement ouvrière) qu’au lendemain de la Seconde guerre
mondiale, avec le début du déclin économique et industriel de la
Wallonie dans le cadre d’un Etat unitaire belge dominé par une droite
tirant sa force de son hégémonie en Flandre. Pour répondre à cette
situation, l’aile wallonne de la FGTB met en avant, après la grève de
1960-1961, la revendication du fédéralisme, combiné à des réformes
de structure auxquelles la gauche syndicale voulait donner un conte-
nu clairement anticapitaliste [3].
Mais, vidé de tout contenu anticapitaliste par le réformisme du
PSB et de la bureaucratie syndicale, le fédéralisme sera ensuite bradé
au rythme des compromis accompagnant les différentes réformes de
l’Etat et prendra au contraire un contenu nettement néolibéral à partir
des années 1980.
Une conscience nationale wallonne limitée s’est progressivement
diffusée en lien avec le renforcement progressif de la Région wallonne. Mais, sur le terrain social et revendicatif, elle n’a plus suscité au-
cune dynamique de masse parmi les travailleurs-euses. Le couplage
« conscience wallonne et lutte de classes » n’est plus porté – de plus,
dans une perspective très réformiste – que par certains secteurs syndicaux historiquement influencés par le « renardisme ».
11. En définitive, il n’est donc pas tout à fait exact d’affirmer que les
questions nationales et démocratiques ne peuvent être entièrement
résolues dans le cadre du capitalisme, mais elles ne le sont que de
manière partielle et limitée. Fondamentalement, depuis l’époque de
l’impérialisme, la bourgeoisie est incapable de les résoudre intégralement et de manière satisfaisante d’un point de vue social et démocratique. La base de la question nationale en Belgique ne réside plus
aujourd’hui essentiellement dans les différences et les inégalités socio-culturelles, mais bien dans la persistance de l’inégalité du développement économique et dans une superstructure institutionnelle
bâtarde, complexe et non démocratique (dont les contradictions sont
particulièrement explosives à Bruxelles et dans sa périphérie), le tout
étant surdéterminé par des politiques néolibérales qui aggravent et
accentuent ces contradictions.
II. La crise des réformes néolibérales de l’Etat belge
12. La chute du gouvernement Leterme II et l’échec persistant des
négociations sur la réforme de l’Etat devant permettre la formation
d’un nouveau gouvernement, montrent que la réforme capitaliste de
l’Etat belge unitaire a créé un inextricable imbroglio, exacerbé dans
le contexte de la mondialisation néolibérale et de l’intégration antidémocratique de l’Europe capitaliste.
13. Au cours des trois dernières décennies, en même temps qu’elle
confiait une partie de ses prérogatives à l’Europe du Capital, la classe
dominante de Belgique a cru pouvoir répondre au défi du développement inégal de la Flandre et de la Wallonie par la décentralisation
d’une série croissante de compétences. Les réformes de l’Etat de
1971, 1980, 1988, 1993 et 2001 ont, officiellement, fait de la Belgique un « Etat fédéral ». Mais « fédérer » (du latin « federare ») signifie « rassembler, mettre ensemble », or aujourd’hui, bien que l’oppression de la Flandre ne soit plus qu’un souvenir, il est évident que
la réforme de l’Etat unitaire, loin de rassembler les peuples, n’a fait
que les séparer davantage.
14. Loin d’être « fédérale », la réforme de l’Etat unitaire a tout
d’abord débouché sur une construction institutionnelle hybride entre
le fédéralisme et le confédéralisme, au travers de la création d’entités
politiques (dotés de pouvoirs législatifs) à la fois culturelles et linguistiques d’une part (les 3 Communautés flamande, française et germanophone, mais dont les deux premières sont « hégémoniques » au
niveau fédéral) et territoriales d’autre part (les 3 Régions : flamande,
wallonne et bruxelloise, mais cette dernière n’ayant pas une pleine
autonomie constitutive), dont les découpages ne correspondent pas [4].
15. Outre sa complexité, avec l’asymétrie politique de plus en pous-
sée entre le Nord et le Sud et les clivages communautaires divisant y
compris les mêmes « familles politiques », cette construction impli-
que une tension conflictuelle permanente entre un fonctionnement
basé sur un compromis permanent et difficile entre les partis tradi-
tionnels des « deux grandes communautés » du pays, qui négocient
pratiquement aujourd’hui dans une logique « confédérale », et un
fédéralisme reposant sur les trois Régions. D’un strict point de vue
institutionnel, la réforme de l’Etat a débouché sur un mélange explo-
sif – car instable – entre régionalisme, confédéralisme communautai-
re et fédéralisme territorial [5].
16. Décidée « d’en haut » sans consultation populaire, débouchant
sur une structure complexe, peu lisible - donc peu transparente et
contrôlable - et surtout hypertrophiée (la Belgique compte 6 gouver-
nements, 55 ministres, 7 parlements et 631 parlementaires), c’est peu
dire que le régime institutionnel belge actuel jouit d’une faible légitimité et d’une piètre adhésion populaire. Cette construction s’est faite,
qui plus est, dans un contexte où une politique néolibérale dirigée
contre la majorité de la population était - et est plus que jamais - me-
née à tous les niveaux de pouvoir, dans le carcan européen des critè-
res de Maastricht et du Pacte de stabilité.
17. L’inégalité de développement Nord-Sud ne tombe pas du ciel :
elle découle des mouvements du capital, des « lois du marché libre »
et de la recherche du profit. Il en résulte que les écarts de développement entre Flandre et Wallonie ne pourront être comblés qu’à l’aide de mesures anticapitalistes, impliquant un rôle accru du secteur pu-
blic et de la planification sous contrôle démocratique. Sans incursions dans la propriété privée et la liberté de mouvement du capital,
la régionalisation de l’Etat unitaire ne pouvait qu’entraîner plus de
division. C’est pourquoi la gauche de la FGTB liait indissolublement
fédéralisme et réformes de structure anticapitalistes.
18. On paie aujourd’hui le prix du fait que cette alternative n’a pas
été imposée et a même été abandonnée par la gauche syndicale, qui a
déserté ce combat sur le terrain politique. En effet, la décentralisation
pseudo-fédérale capitaliste est allée de pair avec l’offensive brutale
de dérégulation et de privatisation des services publics, menée à l’échelle internationale depuis le début des années 80, où les politiques
néolibérales sont devenues hégémoniques. Le capitalisme néolibéral
organise et exacerbe la lutte de « tous contre tous » et la mise en
concurrence généralisée des travailleurs-euses, des peuples et des
territoires [6]. En parallèle, la mondialisation et la construction du marché unique européen ont entraîné le démantèlement des holdings (la
Société Générale...) autour desquels s’articulaient depuis un siècle et
demi la classe dominante et son Etat.
19. Cette évolution a profondément attisé les divisions et les différenciations au sein de la classe dominante, entre ses diverses fractions. Face à une bourgeoisie flamande qui s’est sans cesse affirmée
au cours du dernier demi-siècle, la bourgeoisie nationale belge s’est
au contraire considérablement affaiblie depuis trente ans, tandis
qu’on ne peut pas parler d’une bourgeoisie wallonne pleinement
constituée, car cette dernière est faible et a jusqu’ici davantage pensé
son action dans le cadre belge plutôt que strictement wallon, à la dif-
férence de la bourgeoisie flamande.
20. Aujourd’hui, l’intégration au capital transnational est telle qu’on
ne peut tout simplement plus parler d’un capitalisme national belge :
celui-ci a été remplacé par des multinationales, d’une part, et par une
nébuleuse de PME, d’autre part. C’est peu dire que l’Etat belge et ses
entités fédérées sont sans prise sur la stratégie internationale des premières... Quant aux secondes, leur développement dépend étroitement de la politique économique et d’innovation déployée par les
Régions, à partir de leurs réalités spécifiques. Le résultat est là : au
niveau de l’infrastructure économique de la société, le pseudo-fédéralisme capitaliste a creusé les écarts entre les deux parties du
pays, au lieu de les réduire [7].
21. En même temps, le fossé s’est approfondi également au niveau
de la superstructure - politique, idéologique et culturelle - de la société. La raison réside en dernière instance dans l’évolution de la base économique : dans le contexte global - sans précédent - de redressement des profits sans relance de l’accumulation, avec crise sociale
à la clé, que l’on connaît depuis le début des années ’80, le fait que
les deux régions plus riche et plus pauvre du pays correspondent en
gros aux territoires occupés par des peuples parlant des langues dif-
férentes (et comprenant de moins en moins celle du voisin) a contribué à créer un terrain propice aux tensions communautaires.
III. L’autonomisation relative de la sphère politique
22. Cependant, ces tensions ne se sont pas développées toutes seules : des facteurs purement politiques, en partie autonomes, sont intervenus. Pour des raisons électorales et de défense des appareils bureaucratiques, les tensions ont été exacerbées voire suscitées par le
personnel politique de tous les partis traditionnels, sans exception.
Rien de plus simple en effet que de pointer le bouc émissaire de l’autre communauté pour dissimuler sa propre absence totale de solutions aux crises sociale, économique et écologique. Cette dynamique
de « communautarisation » est donc elle aussi le produit de la régionalisation pseudo-fédérale.
En effet, tout en accentuant les forces centrifuges économiques,
celle-ci a créé au fil du temps une situation où deux sociétés qui développent des vies sociales, politiques et culturelles de plus en plus
indépendantes, coexistent au sein d’un Etat dont elles n’ont jamais
été appelées à déterminer les formes. Il a suffi d’un quart de siècle de ce régime pour que le personnel politique « national » capable d’appréhender et d’articuler l’ensemble « fédéral » disparaisse quasi
complètement, ce qui complique en retour la gestion de l’Etat bourgeois.
23. Le transfert massif de compétences vers l’Union Européenne
(UE) a encore accéléré cette tendance : en effet, dans une situation
où quelque 80% de la législation « belge » découle de décisions prises anti-démocratiquement au niveau supranational, la tentation est
encore plus forte pour les politicien-ne-s de tout poil de se focaliser
sur les questions communautaires. Quant à l’intelligentsia, en particulier l’intelligentsia de gauche, elle fuit ses responsabilités et préfè-
re se tourner vers Paris, Londres ou Amsterdam plutôt que de contribuer à décrypter une situation dont la compréhension est pourtant
décisive à l’émancipation des travailleurs-euses.
24. Toutes les organisations patronales, y compris l’UNIZO, ont
plaidé pour la stabilité et contre la chute du gouvernement Leterme
II ; or celle-ci a été provoquée par l’Open VLD, qui est un parti pro-patronal. C’est dire que la situation est totalement incompréhensible
pour les marxistes mécanistes, qui imaginent que le cours politique
de la société est déterminé directement par son infrastructure économique. La crise constitue au contraire un exemple d’autonomie relative de la sphère politique par rapport à la sphère économique.
25. Son moteur principal est la lutte pour le leadership au sein d’une
droite flamande hégémonique mais de plus en plus morcelée. Certes,
cette compétition plonge ses racines dans la contradiction entre les
besoins spécifiques du capitalisme en Flandre et un certain nombre
de blocages institutionnels (certaines caractéristiques de l’Etat
pseudo-fédéral) ou politiques (le heurt avec les besoins différents de
gestion de la crise capitaliste au Sud du pays).
En dernière instance, le fond de l’affaire est donc bien que la situation économique, sociale et politique au Nord du pays dégage
l’espace pour une politique néolibérale non seulement plus brutale et
agressive mais aussi sensiblement différente de celle qui peut être
déployée au Sud. C’est ce qui explique que la bourgeoisie flamande
soit demandeuse, non pas de l’éclatement de la Belgique au profit
d’un Etat flamand indépendant, mais bien d’un transfert accru de
compétences et d’une autonomie accrue de la Flandre et d’une scission de certains secteurs de la Sécurité sociale.
26. Mais ce projet se heurte à la résistance de la monarchie, qui lutte
pour sa survie. Il se heurte aussi aux partis francophones, qui craignent une déstabilisation de leur propre pouvoir et de leurs propres
appareils.
La question de la social-démocratie wallonne est ici décisive. De-
puis 20 ans, en effet, la social-démocratie se maintient électorale-
ment alors qu’elle est convertie au néolibéralisme et collabore activement au détricotage de la sécurité sociale. Cette anomalie, sans équivalent en Europe, s’explique essentiellement par le fait que le PS
mobilise la FGTB et l’électorat populaire en se présentant comme le
rempart francophone contre le recul social dû au « méchant loup nationaliste flamand ». En cas de scission (totale ou partielle) de la sécurité sociale, les cotisations des seuls travailleurs actifs de Wallonie
ne pourraient pas assurer l’équilibre du système. Il en résulterait une
nouvelle montée de la misère sociale. Le PS en paierait le prix fort
sur le plan électoral.
27. Dès lors, l’autonomie relative du facteur politique fait que les
blocages dans le cadre pseudo-fédéral se présentent pour ainsi dire
sous une forme « sublimée ». Au Sud du pays, ils favorisent le vote
utile pour une social-démocratie qui, sous couvert de défense des
acquis, s’aligne fondamentalement derrière la monarchie et l’ordre
établi pseudo-fédéral. Au Nord, ils alimentent la recomposition à
droite d’un paysage politique de plus en plus balkanisé. Outre le
Vlaams Belang raciste et fasciste, on a vu l’émergence de nouveaux
partis de droite qui contestent la domination historique du camp
bourgeois par la famille social-chrétienne (et sa politique de collaboration de classe par le biais de l’ACW au sein du CD&V) et mettent
sous pression l’Open-VLD.
28. Dans ce cadre, le succès de la N-VA ne s’explique pas seulement
par les erreurs de stratégie des autres partis. La crise capitaliste a
frappé la Flandre de plein fouet. Les destructions d’emplois et les
fermetures d’entreprises y ont été beaucoup plus nombreuses qu’à
Bruxelles et en Wallonie. Le mythe d’une Flandre opulente et prospère vantée par tous les politiciens flamands s’est effondré [8]. Un
spectre s’est mis à hanter le plat pays, celui de la « wallonisation » :
la peur de connaître le même sort que la Wallonie depuis les années
60, c’est-à-dire la désindustrialisation massive. La fermeture d’Opel
à Anvers en est le symbole dans une région où nombre d’emplois
directs ou indirects dépendent de l’industrie automobile.
La peur panique d’une certaine Flandre d’être prise en tenaille
entre une mondialisation où elle pèse si peu et une Wallonie sinistrée
dont elle refuse de partager le sort a enclenché une fuite en avant
vers plus d’autonomie pour rétablir la compétitivité de la Flandre.
D’où la volonté de la N-VA de scinder la Sécurité sociale et la
concertation salariale pour enclencher une spirale à la baisse des sa-
laires. Si ce sentiment est encore peu répandu dans la classe des travailleurs, il s’est largement emparé des classes moyennes et d’une
partie de la bourgeoisie du nord du pays.
29. Voilà pourquoi le blocage de la réforme de l’État est apparu comme insupportable aux yeux de l’opinion publique flamande. La NVA a été perçue comme le seul parti capable d’imposer une percée
dans ce domaine après les revers successifs du CD&V qui a préféré
sacrifier le cartel et ses promesses à la stabilité gouvernementale. Le
vote pour plus d’autonomie se double ainsi d’un vote anti-establishment qui a jadis profité au Vlaams Belang et à la Lijst Dedecker. Contrairement à l’image véhiculée par certains médias francophones, le succès de formations comme le N-VA et la Liste De Decker (LDD) provient en partie d’une certaine forme de modernité
et de radicalité anti-establishment. Celle-ci s’exprime notamment
dans le fait qu’ils promettent, à l’inverse de l’ex-Volksunie, de ne
pas reculer face à la monarchie (archaïque par définition) et à la menace d’un chaos institutionnel. Au contraire, ces partis misent sur ce
chaos pour concrétiser leur projet et remodeler profondément la carte, non seulement sur le plan institutionnel (face aux francophones),
mais aussi sur les plans social et politique (face au mouvement ouvrier en Flandre).
30. Tant au Nord qu’au Sud, la surenchère communautaire et inter-
classiste constitue donc une diversion commode face aux vrais enjeux. Mais cette diversion, loin d’être un simple « cirque politique »,
constitue au contraire une menace sérieuse car elle favorise l’individualisme, le nationalisme et le rejet primaire de l’action politique,
qui font le jeu de la droite extrême et de l’extrême-droite, comme en
atteste par exemple l’essor en Wallonie et à Bruxelles d’un parti populiste comme le mal nommé Parti Populaire de Modrikamen.
31. La virulence de la polémique communautaire, en particulier sur
BHV, est à la mesure des enjeux socio-économiques qui la soustendent, de part et d’autre de la frontière linguistique. Or, ces enjeux,
en premier lieu la défense de la Sécurité sociale, concernent des millions de travailleurs-euses menacé-e-s par la crise capitaliste.
Par quelle alchimie des questions aussi fondamentales peuvent-elles se transformer en polémique sur la scission d’un arrondissement
et le sort des francophones habitant la périphérie flamande de
Bruxelles ? Alors que les problèmes sociaux, économiques et écologiques sont si brûlants, comment se fait-il que des partis bourgeois
traditionnels puissent faire tomber un gouvernement sur BHV, même
quand une solution raisonnable semble à portée de la main ?
On ne peut pas répondre à ces questions simplement en invoquant
la manipulation, la diversion ou le conditionnement de l’opinion pu-
blique par les médias et par la classe politique, ou l’autonomie relative de celle-ci. Qu’on le veuille ou non, il faut prendre en compte les
cicatrices laissées par la question nationale.
32. Il n’y a plus d’oppression nationale du peuple flamand, on l’a dit.
Mais les ressentiments nationaux et les préjugés ont la vie dure, de
part et d’autre de la frontière linguistique. L’Etat belge n’a jamais
reconnu les injustices commises contre le peuple flamand et n’a jamais présenté d’excuses. Au Nord, BHV constitue un fétiche parce
que la non-scission apparaît comme le symbole du refus historique
des francophones d’accepter le fait national flamand et sa conséquence : l’autonomie territoriale. Au Sud, l’arrogance chauvine et méprisante des bourgeois et des petit-bourgeois francophones à l’encontre
des Flamand-e-s est loin d’avoir disparu, et elle contamine aussi une
partie de la classe ouvrière wallonne, même parmi les syndicalistes
conscient-e-s. Par ailleurs, du côté francophone, la détermination
flamande a scinder BHV ravive des souvenirs douloureux liés aux
circonstances de la fixation de la frontière linguistique et du régime
linguistique imposés en 1963 par la majorité flamande à la minorité
francophone.
33. Tous les partis bourgeois portent ici une responsabilité, mais celle de la social-démocratie est déterminante. Dès la première guerre
mondiale, la social-démocratie a en effet sacrifié les droits nationaux
démocratiques du peuple flamand en général, et ceux des prolétaires
flamand-e-s en particulier, sur l’autel de sa collaboration de classe
avec la bourgeoisie francophone.
Cette erreur stratégique fondamentale a permis la récupération de
la question nationale flamande par le petit clergé, ce qui a jeté les
bases pour une hégémonisation ultérieure du mouvement national
par des forces de droite nationalistes.
Par la suite, les droits nationaux démocratiques n’ont été consentis au peuple flamand qu’à reculons, sans s’accompagner de réformes
sociales, et seulement sous la pression du fait que les rapports de force économiques étaient de plus en plus favorables au Nord du pays.
Pour tenter de s’y opposer, la social-démocratie wallonne a été jusqu’à surfer sur le populisme nationaliste d’un José Happart.
34. Il ne faut pas s’étonner, dès lors, si, au fur et à mesure de la montée en puissance économique de la Flandre, une sorte de nationalisme
de région impérialiste riche a pour ainsi dire fusionné avec l’idéologie néolibérale arrogante et « recyclé » les souvenirs de l’oppression
nationale passée pour donner ce cocktail aux relents égoïstes, bornés
et xénophobes, qui se concrétise par exemple dans le « Wooncode ».
Ce Code flamand du logement conditionne l’octroi de logements so-
ciaux à l’apprentissage du néerlandais, une mesure discriminatoire
prétendument dirigée pour contrer « l’Olievlek » (la « tâche d’huile »
de l’extension continue des francophones en périphérie bruxelloise)
mais qui est aussi (et surtout) appliqué contre les immigré-e-s dans
toutes les grandes villes de Flandre.
35. Ce cocktail entre un nationalisme égoïste de région riche et
l’idéologie néolibérale n’est nullement l’apanage de la Flandre.
Dans les années 1970, en Europe, on a pu assister à une montée
de mouvements nationalistes et régionalistes qui se développaient
dans des régions pauvres, étaient orientés à gauche – voire même se
présentaient comme anti-impérialistes et socialistes – et luttaient
contre la domination et l’oppression de la part de leur bourgeoisie
centralisatrice.
Mais, après 30 ans de rouleau compresseur néolibéral ces mouve-
ments sont aujourd’hui en recul. Ce sont au contraire des mouvements nationalistes-populistes qui ont le vent en poupe aujourd’hui,
soit dans des pays riches qui ne veulent plus payer pour les pays plus
pauvres en Europe et pour les immigrés (Hollande, Scandinavie, Autriche...), soit dans des régions riches qui ne veulent plus payer pour
les régions pauvres de leur Etat (Italie du Nord et dans une moindre
mesure Catalogne). De plus, l’Union européenne pousse au développement d’une « Europe des Régions », non pas pour des raisons dé-
mocratiques, mais pour faciliter la démantèlement d’acquis sociaux
conquis à l’échelle des Etats-nations et favoriser la concurrence
« libre et non faussée » entre les travailleurs-euses de ces dizaines de
« Régions » au sein du marché commun.
IV. Pour un fédéralisme solidaire et démocratique
36. La réforme pseudo-fédérale de l’Etat confirme que les revendications nationales, comme les aspirations démocratiques en général, ne
peuvent être satisfaites que partiellement et insuffisamment dans le
cadre capitaliste.
En tant que marxistes-révolutionnaires, notre objectif stratégique
n’est pas de réaménager l’appareil d’Etat capitaliste, mais bien de le
détruire, quel qu’il soit. Pour y parvenir, toute notre action est destinée à élever la conscience de classe, l’unité du mouvement ouvrier, à
unifier et centraliser ses luttes, à renforcer sa confiance en ses propres forces, sa capacité d’action et d’organisation, à mettre en avant la
nécessité, pour les travailleurs-euses, de se doter de leur propre ins-
trument politique qui soit rigoureusement indépendant de la bour-
geoisie.
Mais ces objectifs fondamentaux ne peuvent être invoqués comme un prétexte pour esquiver toutes les questions institutionnelles et
en renvoyer les réponses concrètes « après la victoire du socialis-
me ». La question est donc : que répondre aujourd’hui ?
37. Comme on l’a vu, le principe de base des marxistes sur la question nationale est celui du libre droit des nations à disposer d’elles-mêmes, de leur droit à l’autodétermination. Mais ce droit n’implique
pas mécaniquement le soutien à la séparation. Aujourd’hui, la Wallonie n’est pas une nation exploitée économiquement par la Flandre et
le peuple flamand n’est pas opprimé (et il ne l’a jamais été de cette
manière là) en tant que nation par « les Wallons » ou « les francophones ».
38. La crise politique du « fédéralisme néolibéral » surdétermine
dans notre pays la manière dont l’austérité sera appliquée dans notre
pays. Dans le contexte actuel, la nouvelle réforme de l’Etat et les mesures de régionalisation accrues constituent en elles-mêmes des mesures d’austérité et de régression sociale pour tou-te-s les travailleurs-euses du pays [9].
Elles sont justement menées dans le but d’appliquer une politique
néolibérale plus brutale, en divisant le mouvement ouvrier et en se
débarrassant de conquêtes sociales historiquement arrachées dans le
cadre fédéral par l’ensemble du mouvement ouvrier. Une lutte déterminée doit être menée contre la surenchère communautaire, contre
toutes les formes de nationalismes, y compris belgicain, et pour l’unité de tou-t-es les travailleurs-euses.
39. Bien que peu probable à court terme du fait de l’existence d’une
dette publique gigantesque et de la question de Bruxelles, la LCR
rejette malgré tout toute issue « séparatiste » qui déboucherait sur la
constitution d’Etats indépendants. Dans le contexte néolibéral et capitaliste actuel, cette perspective signifierait une profonde régression
sociale pour les travailleurs-euses et les allocataires sociaux du Nord
et du Sud.
40. Pour les mêmes raisons, la LCR s’oppose également aujourd’hui à
toute perspective de « confédéralisme » [10]. Comme on l’a vu, le système « fédéral » actuel comporte déjà des éléments de confédéralisme
qui, dans le contexte néolibéral dominant, accentuent l’imbroglio ins-
titutionnel, la concurrence et les conflits entre les deux
« communautés ». L’objectif d’un confédéralisme « intégral » est aujourd’hui porté par la N-VA comme étape pour une scission future du pays avec un contenu néolibéral agressif qui signifierait une profon-
de régression sociale pour la classe ouvrière.
41. Face à l’agenda porté par la N-VA (régionalisation plus poussée
de l’ISOC et de l’IPP, scission des allocations familiales et des politiques de l’emploi, des soins de santé ou de la formation des salares...), il s’agit au contraire d’unir le mouvement ouvrier autour de
revendications contre la crise et pour le maintien (et le renforcement)
de la solidarité interprofessionnelle, de ses conquêtes sociales acquises au niveau fédéral. Autrement dit : pour une Sécurité sociale forte
et intégrale et pour le maintien du caractère fédéral des conventions
collectives du travail et du droit du travail.
42. Pour la LCR, la défense de cette unité du mouvement ouvrier et
de ses conquêtes historiques ne se confond nullement avec la défense
du statu quo et du cadre institutionnel actuel, elle doit au contraire en
être nettement distinguée. Elle ne se confond nullement, non plus,
avec un illusoire retour en arrière à l’Etat belge unitaire « de papa ».
En termes de conquêtes sociales, il ne s’agit pas seulement de préser-
ver ce qui existe, mais justement de l’améliorer afin de garantir son
maintien.
C’est notamment le sens de notre défense d’une Sécurité sociale
forte, intégrale et fédérale. Cette conquête n’est pas le fruit de la Bel-
gique unitaire, elle a été arrachée par le mouvement ouvrier, indépendamment du contexte institutionnel, et doit être préservée indépendamment de l’évolution de celui-ci. La seule manière efficace d’empêcher toute remise en cause de son caractère fédéral est de revendi-
quer une gestion purement ouvrière de la Sécu, par les seules organisations syndicales, en excluant de ses organes de gestion les représentants patronaux et en interdisant toute forme de marchandage par
les partis traditionnels.
43. Sur les questions démocratiques et institutionnelles, nos réponses
partent de la nécessité d’instaurer un véritable fédéralisme solidaire et
démocratique. Comme le soulignait Ernest Mandel, « Du point de
vue marxiste, le fédéralisme est la forme d’organisation étatique
idéale lorsqu’il s’agit d’un Etat multinational », ce qui est bien le cas
de la Belgique.
Mais le fédéralisme, en soi, n’a rien d’anticapitaliste et ses formes
institutionnelles peuvent être extrêmement variées. La LCR plaide
aujourd’hui pour un fédéralisme solidaire et démocratique en Belgique, basé sur l’existence de trois Régions (Flandre, Wallonie et
Bruxelles) pleinement égales, aux compétences homogènes sur leur
propre territoire et garantissant l’égalité des droits entre tous et toutes
et le respect des droits des minorités.
44. Un fédéralisme solidaire et démocratique suppose que l’on mette
fin à la « dualité » de l’architecture institutionnelle actuelle par la disparition des Communautés flamande et française et le transfert de
leurs compétences aux trois Régions. La reconnaissance constitution-
nelle de la nation flamande au sein de l’Etat belge, à travers la créa-
tion d’une Communauté flamande en 1971, a été une étape nécessaire
pour en finir avec les derniers vestiges de l’oppression historique du
peuple flamand. Aujourd’hui, ce dernier dispose d’une pleine autono-
mie en matière linguistique et culturelle au sein de sa Région et des
garanties pour la minorité flamande de Bruxelles consacrée par le
caractère institutionnel bilingue de cette Région [11].
45. Un fédéralisme démocratique implique une simplification des
structures institutionnelles afin que la population puisse se saisir des
enjeux politiques et exercer un droit de regard, de contrôle et de
sanction à leur égard. Outre la disparition des Communautés, cela
entraîne la nécessité de supprimer les Provinces, devenues super-
flues, et leurs députations permanentes, en transférant leurs compétences aux Régions, et, tout comme pour les Communautés, sans per-
te d’emploi et avec maintien des acquis pour les travaillleurs-euses
des administrations concernées.
46. Un fédéralisme démocratique implique l’instauration d’un scrutin
à la proportionnelle intégrale, et donc la suppression du seuil électoral antidémocratique - fixé aujourd’hui à 5% - pour obtenir un premier élu-e. Il suppose également la fin des « parlements de législature » pour les Régions. Contrairement au niveau fédéral, où le gouver-
nement peut dissoudre le parlement et où ce dernier peut faire tomber
le premier par un vote de défiance provoquant ainsi dans les deux cas
des élections anticipées, il faut au contraire une majorité de rechange
pour faire tomber un exécutif régional, ce qui permet à l’exécutif en
question d’échapper à la pression et à la sanction populaire.
47. Toute solution démocratique passe nécessairement en outre par
l’abolition de tous les vestiges de l’Ancien Régime et des privilèges
accordés à l’Eglise (dont les financements publics de cultes), par la
séparation complète entre l’Eglise et l’Etat, par l’abolition de l’institution archaïque de la Monarchie et l’instauration d’une République
fédérale. Le caractère démocratique d’un fédéralisme solidaire serait
en outre renforcé par des mesures telles que le contrôle et la révocabilité de tou-s les élu-e-s par leurs mandant-e-s au travers d’un référendum révocatoire ; la limitation du cumul de leurs mandats et la
limitation de leurs rémunérations au salaire moyen d’un-e travailleur-euse qualifié-e [12]. La citoyenneté et les droits politiques égaux doivent
en outre être radicalement déconnectés et distingués de la nationalité
ou de toute appartenance linguistique ou culturelle. Toute personne,
européenne ou non-européenne, résidant sur le territoire belge depuis
une durée minimale doit jouir des mêmes droits sociaux et politiques,
dont le droit de vote et d’éligibilité à tous les niveaux électoraux :
communal, régional, législatif et européen.
48. Concernant la minorité germanophone, la LCR plaide pour une
consultation populaire de cette dernière lui permettant de choisir : soit
pour le retour à l’Allemagne de ces cantons annexés par la Belgique
au lendemain de la Première guerre mondiale (ce qui ne semble pas
être l’option voulue aujourd’hui, mais qui devrait être respectée au
cas où elle s’exprimerait) ; soit pour se constituer en Région à part
entière ; soit pour maintenir une Communauté germanophone spécifique intégrée à la Région wallonne, cette dernière devant alors garantir ses droits linguistiques, culturels et politiques (intégration au col-
lège électoral wallon avec représentation garantie au sein de son Parlement et de son gouvernement).
V. La question de Bruxelles
49. Comme dans la plupart des grandes métropoles, les inégalités, les
injustices sociales et les discriminations sont particulièrement criantes à Bruxelles.
La capitale génère près de 20% des richesses en Belgique alors
qu’elle ne compte que 10% de ses habitant-e-s, constituant ainsi la
troisième région la plus « riche » en Europe. Mais les revenus de ses
habitant-e-s sont inférieurs de 10% à la moyenne du pays, son taux
de chômage avoisine les 20% (33% chez les jeunes) et un-e habitante sur quatre est pauvre [13].
Les besoins sociaux insatisfaits en termes d’emplois de qualité, de
mobilité, de crèches, d’accès au logement social (et au logement tout
court), d’accès à un enseignement de qualité, sont gigantesques et ne
feront que s’aggraver à l’avenir du fait de la structure démographique
de la population bruxelloise, plus jeune et en plus forte croissance
que dans les autres régions du pays [14].
50. Cette situation est à la fois le résultat d’une Région pas tout à fait
« à part entière » par rapport aux deux autres Régions, et la conséquence des réformes de l’Etat et des politiques de gestion néolibérale des
grandes villes. C’est la combinaison de ces éléments qui explique le
bilan social désastreux à Bruxelles.
Mais le manque de moyens publics pour répondre aux besoins
sociaux d’une grande ville à forte population d’origine immigrée ren-
voie en dernière instance bien plus à l’absence de volonté de prendre
« l’argent là où il est » qu’à un simple problème de découpage de ses
frontières institutionnelles.
51. Le mécanisme d’allocation des moyens financiers aux Régions,
calculé sur base du domicile pour l’IPP, pénalise fortement Bruxelles [15]. Un refinancement convenable de la Région est donc nécessaire
afin qu’elle puisse mener une politique urbaine au service des travailleurs-euses, des jeunes [16], des femmes [17], en particulier dans les quartiers défavorisés [18].
Une politique qui doit prioritairement s’axer sur le développement
des services publics par la gratuité et l’extension de transports en
commun fréquents et de qualité desservant tous les quartiers [19] ; la
construction massive de logements publics [20], leur rénovation systématique par une entreprise publique d’isolation [21] ; le contrôle démocratique des loyers ; un système public de santé accessible et performant ;
le développement massif de services publics de proximité pour l’aide
aux personnes âgées, l’aide aux personnes dépendantes et l’accueil de
l’enfance [22] ; avec accueil de jour, de soir, des centres nocturnes, des
gardes à domicile pour les enfants malades, etc. Sans oublier une
lutte énergique contre toute forme de discrimination et de racisme,
notamment à l’embauche et au travail, en renforcant l’inspection du
travail et les sanctions à l’égard du patronat [23] La crise du logement particulièrement aigue à
Bruxelles est un facteur important de paupérisation car les ménages s’endettent et limitent leurs
dépenses en chauffage, soins de santé, scolarité, loisirs ou mobilité..
Seule une telle politique volontariste permettra de résorber le chômage massif en créant les milliers d’emplois, publics et de qualité,
nécessaires pour satisfaire les besoins sociaux criants d’une métropole telle que Bruxelles [24].
52. Les besoins sont énormes et l’argent pour mener une telle politi-
que ne manque pas à Bruxelles, il coule au contraire à flot au milieu
d’un océan de misère, car aucun parti politique traditionnel n’a la volonté d’y toucher pour répondre aux besoins sociaux, et cette absence
de volonté n’est pas liée à un type particulier de montage institutionnel.
La Région de Bruxelles-Capitale (RBC) pourrait voir ses moyens
financiers augmenter de manière considérable « intra muros ». Par
exemple, par un mécanisme de rétrocession de l’Etat fédéral qui accorderait une partie des recettes fiscales des navetteurs-euses (tant
flamand-e-s que wallon-ne-s), qui sont taxé-e-s sur leur lieu de résidence et non de travail. D’un point de vue de la justice et de l’égalité
fiscale, il serait surtout nécessaire de mettre à contribution les
100.000 fonctionnaires d’institutions internationales (UE, OTAN...)
travaillant et résidant pour une bonne part à Bruxelles et qui ne
payent pas un centime d’impôt alors qu’ils-elles utilisent les infrastructures collectives.
Mais, surtout, il s’agit de refinancer la Région au travers d’un relèvement du taux d’impôt des sociétés, d’impôts sur les grosses fortu-
nes, sur la spéculation immobilière pratiquée par ces mêmes grosses
fortunes et les grandes entreprises de la construction, sur les bénéfices des multinationales et leur nombreux centres de coordination qui
se trouvent dans la capitale [25].
53. D’un point de vue institutionnel, en cohérence avec le principe
d’un fédéralisme solidaire et démocratique basé sur les Régions, la
LCR rejette toute forme de tutelle ou de co-gestion de la Région
bruxelloise, que ce soit par les deux « Communautés » ; par les Régions flamande et wallonne ; par l’Etat fédéral ; ou encore par une sorte de « Communauté Wallonie-Bruxelles ». Malgré ses caractéristi-
ques urbaines marquées et son statut de multiple capitale, Bruxelles
doit être une Région à part entière garantissant le bilinguisme de ses
services [26].
S’il n’existe évidement pas de « nation » bruxelloise, il existe par
contre une conscience, un sentiment d’appartenance et un attachement à une réalité bruxelloise multiforme et interculturelle. Si le
français est effectivement la langue dominante et véhiculaire, l’identité des Bruxellois-es ne se résume plus à l’appartenance à l’une ou
l’autre des deux grandes communautés linguistiques du pays. Plutôt
que de parler de « Flamand-e-s de Bruxelles » ou de « Francophones
de Bruxelles », il serait plus exact de parler de Bruxellois-es néerlandophones et francophones (sans oublier la partie de la population
parfaitement bilingue) [27].
56. La fusion des réseaux d’enseignement à Bruxelles (réseau francophone et réseau néerlandophone) et l’organisation d’un réseau unique
public, gratuit et laïc, sans discriminations et bilingue (voir multilingue) avec des moyens et un investissement renforcés serait la conclu-
sion logique d’une suppression des Communautés. Elle permettrait surtout d’en finir avec le phénomène des écoles
« ghettos » et « poubelles » qui gangrène l’enseignement à Bruxelles [28]. Un enseignement bilingue et multilingue serait une garantie
supplémentaire pour assurer la viabilité d’une Région bruxelloise
bilingue.
57. Tout en préservant des mécanismes garantissant la représentation
politique et les droits culturels de la minorité de Bruxellois néerlandophones [29], la suppression des Communautés et des Commissions
communautaires doit s’accompagner d’une série de réformes démo-
cratiques telles que : la suppression de l’obligation pour l’électeur-trice ou les candidat-e-s bruxellois-es de déterminer leur appartenance linguistique ; la possibilité de constituer des listes électorales bilingues et la réorganisation des compétences entre les 19 communes et
la Région ou encore l’interdiction du cumul des mandats communaux
et régionaux (plus de 60% des députés régionaux sont aujourd’hui
également des élu-e-s communaux-ales, dont plusieurs bourgmestres). Le poste de gouverneur de Bruxelles doit être supprimé.
58. Avec près d’un-e habitant-e sur trois qui n’a pas voix au chapitre
concernant la gestion politique de sa Ville-Région, l’exigence du
droit de vote et d’éligibilité pour tous à tou-te-s les niveaux acquiert
une importance encore plus décisive à Bruxelles. Tout comme l’exigence d’une régularisation massive des sans-papiers sur base de critères clairs et permanents, et l’arrêt des politiques d’enfermement et
d’expulsion.
59. La LCR n’est pas favorable a un élargissement de la Région de
Bruxelles. De manière abstraite, un élargissement de la RBC (au mi-
nimum aux communes dites « à facilités », au maximum à son
« hinterland économique ») pourrait sembler logique et souhaitable.
Mais les raisons économiques ou fiscales justifiant un tel élargisse-
ment de la RBC doivent d’abord être relativisées [30].
L’existence et le développement d’un « hinterland » économique plus vaste est le propre de toutes les grandes métropoles et ces questions « économiques » concernent essentiellement les politiques de
l’emploi, les infrastructures, l’aménagement du territoire et la mobilité. Pour être menée à bien, une politique coordonnée sur ces matières
ne nécessite pas forcément une extension des frontières territoriales
de la ville elle-même, comme le démontrent les exemples des communautés urbaines créées autour d’autres métropoles en Europe [31].
L’argument d’un élargissement de l’assiette fiscale, et donc de
moyens supplémentaire pour la RBC à travers son élargissement aux
communes où les revenus sont en moyenne plus élevés, n’est pas non
plus un critère décisif, les coûts liés à un tel élargissement seraient
même plus élevés que ses bénéfices [32].
60. En outre, en cas d’élargissement de la RBC, les populations d’ori-
gine immigrée de Bruxelles risqueraient d’en être les victimes colla-
térales, en étant encore plus politiquement minorisées et marginali-
sées par des partis traditionnels qui, par électoralisme, favoriseraient
avant tout les populations aux revenus plus élevés des communes
périphériques.
61. En définitive, le problème de l’élargissement de la RBC n’est pas
économique, il est avant tout politique. Sans compter le fait qu’une
modification des frontières nécessite une majorité parlementaire spéciale (les deux tiers des votes dans chacun des deux groupes linguistiques), la frontière dessinée autour de Bruxelles en 1963 n’est plus
seulement « linguistique ». Depuis 30 ans, c’est également une frontière politique séparant deux Régions, autrement dit, deux entités
territoriales fédérées.
La question ne peut donc pas se résoudre en avançant qu’un élargissement de la RBC représente une extension d’une région bilingue
où les droits de la minorité flamande sont pleinement reconnus et
développés - et seraient mêmes renforcés par l’intégration d’un nombre plus important de néerlandophones. Car aucun peuple n’accepte
de gaieté de cœur une perte territoriale qui implique pour lui de se
retrouver minorisé dans une autre Région, aussi parfaite soit-elle.
C’est d’autant plus le cas lorsqu’il s’agit d’un peuple ayant une
conscience nationale aiguë et une sensibilité importante sur les questions linguistiques et institutionnelles, du fait qu’il a été pendant plus
d’un siècle opprimé dans le cadre d’un Etat unitaire unilingue. De
plus, pour être cohérent, un élargissement de la RBC sur base de critères économiques devrait nécessairement inclure des communes
wallonnes et il est là aussi évident que les populations concernées
n’accepteraient pas de gaieté de cœur cette annexion à une autre Région, bilingue [33].
VI. BHV et la Périphérie bruxelloise
62. La scission de l’arrondissement électoral et judiciaire de BHV est
logique et cohérente, à la fois avec l’aspiration manifeste du peuple
flamand à se constituer en nation disposant d’institutions compétentes et homogènes sur tout le territoire de la Flandre, et avec la réforme – inachevée - des institutions. Le fait que l’oppression nationale
ait disparu ne permet pas de justifier que cette étape de la réforme de
l’Etat ne soit pas franchie. Le passif de la polémique est si lourd, et la
scission est devenue à ce point un fétiche, que proposer d’autres for-
mules apparaît comme l’expression de manœuvres dilatoires, et fait
par conséquent le jeu du nationalisme et de la droitisation du champ
politique flamand, donc de la menace sur la sécurité sociale.
63. Cependant, pour logique qu’elle soit, la scission de l’arrondissement de BHV ne peut intervenir que dans le cadre d’un accord global
intégrant d’autres questions, à commencer par la suppression de toutes les discriminations linguistiques (qui ne sont souvent que du racisme déguisé) telles que le « Wooncode » ou les mécanismes liés à
l’assurance-dépendance flamande. Cela passe également par la suppression de la circulaire Peeters visant à « éteindre » progressivement les « facilités » et par la ratification de la Convention-cadre de
1995 du Conseil de l’Europe sur les droits des minorités (qui implique la reconnaissance de minorités nationales francophones en Flandre et néerlandophones en Wallonie). Quant à la scission de l’arrondissement judiciaire de BHV, elle doit s’accompagner de garanties
sur l’assistance gratuite d’interprètes compétents ou sur la possibilité,
dans les procès civils, du transfert à la juridiction francophone la plus
proche.
64. Il est en outre anormal, du point de vue des droits égaux et de la
cohabitation harmonieuse entre les différentes communautés, de pé-renniser une situation où la minorité de Bruxellois-es néerlandophones jouit de droits politiques et culturels extrêmement étendus - et
disproportionnés par rapport à son poids numérique, ce qui, en soi
n’est pas forcément négatif - tandis que la majorité des habitant-e-s
francophones des 6 communes « à facilités » de la périphérie subis-sent des discriminations et des tracasseries administratives visant à
limiter (et à supprimer, à terme) leurs droits. Ces 6 communes comptaient déjà une forte minorité – si pas plus – de francophones au moment du découpage constitutionnel des frontières entre les régions
bruxelloise et flamande.
65. Une mesure ayant l’avantage de préserver l’intégrité territoriale et
la souveraineté de la Région flamande - en évitant l’élargissement de
la RBC - tout en bétonnant les droits culturels et linguistiques des
populations francophones lorsqu’elles sont majoritaires ou lorsqu’elles représentent une très forte minorité, consiste à appliquer le principe du « bilinguisme communal externe » (ou « de services ») à partir
d’une consultation démocratique des populations concernées [34].
66. Concrètement, à partir du moment où une majorité de plus de
50% des habitant-e-s d’une commune en exprime le souhait, cette
dernière instaure un bilinguisme de ses services (mais non un bilinguisme interne, c’est à dire imposé à tout le personnel communal) et
de l’enseignement communal. A partir du moment où ce taux est
compris entre 30 et 50% de la population, des « facilités » linguistiques sont accordées dans les relations avec l’administration, sur base
d’une déclaration. Ces mesures pourraient contribuer à en finir avec
les regroupements politiques interclassistes de type « Union des
Francophones » aux élections communales. De plus, l’application du
principe du « bilinguisme communal externe » et de l’octroi des
« facilités » ne doit pas se limiter, selon ce mécanisme de consultation démocratique, aux seules communes de la périphérie bruxelloise, il doit être étendu à toutes les communes, flamandes et wallonnes,
comprenant des minorités francophones ou néerlandophones.
67. Le développement économique des grandes métropoles urbaines
doit évidement être planifié avec celui de leur périphérie, avant tout
en termes d’infrastructures et de mobilité. La gestion de la zone
« économique » autour de la capitale doit donc se faire par la création d’une Communauté urbaine co-gérée par les représentant-e-s des
communes concernées, en collaboration avec les 3 Régions [35]. Cette
perspective doit surtout être couplée à des revendications sociales et
démocratiques concernant l’accès au logement ; la lutte contre la spéculation foncière ; le développement et la gratuité des transports en
commun ; l’extension et l’amélioration des services publics ; l’aménagement du territoire et des travaux d’infrastructures en concertation
étroite et sous contrôle démocratique des populations concernées ; le
développement d’emplois de qualité et bien rémunérés pour tous-tes
et une harmonisation qui empêche toute forme de dumping fiscal et
social. De la sorte, la gestion d’une telle Communauté urbaine échappera au contrôle du patronat et son enjeu se déplacera du terrain
« communautaire » vers le terrain de la lutte contre l’inégalité de développement et l’inégalité sociale, pour la satisfaction des besoins
sociaux et écologiques.
VII. Mobiliser le mouvement ouvrier autour d’un programme qui articule le démocratique et le social, dans une perspective anticapitaliste
68. D’un point de vue démocratique et social, aucune solution purement institutionnelle ne sera satisfaisante tant que le poison du nationalisme réactionnaire et du chauvinisme ne sera pas combattu efficacement et tant que l’orientation politique néolibérale aujourd’hui hégémonique n’aura pas été brisée. Seule l’intervention indépendante
du mouvement ouvrier, à partir de la défense des intérêts de tou-te-s
les travailleurs-euses, permettra d’offrir des conditions satisfaisantes
pour ce faire. Car le mouvement ouvrier ne se mobilisera pas simplement pour de « bonnes institutions » moins complexes, qui « fonctionnent mieux » ou de manière plus démocratique ; il ne se mobilisera de manière massive et combative que pour s’opposer à la gestion
de la crise capitaliste contraire à ses intérêts et imposer ses propres
solutions.
69. Le « fédéralisme » néolibéral a rendu toutes les solutions impraticables, ou avec un coût social extrêmement élevé. Seule l’unité des
travailleurs-euses dans la diversité peut créer les conditions de respect mutuel et de fraternité nécessaires à la résolution des problèmes
qui apparaissent aujourd’hui comme inextricables. Dans la mesure
où les masses se mobiliseront en profondeur et commenceront à
prendre activement et démocratiquement en main leur propre sort, la
lutte commune de tous et toutes contre l’austérité est la meilleure
manière possible de contribuer à des solutions respectueuses à la fois
des intérêts des travailleurs-euses, du droit des gens et du droit des
peuples.
70. La combinaison de l’instabilité politique, du blocage des négociations gouvernementales et du désarroi de l’opinion publique peut
créer une situation dangereuse pour les droits démocratiques et sociaux, tout particulièrement dans le contexte de la crise économique
et de la violente offensive d’austérité qui déferle sur l’Europe. Pour le
moment, l’impuissance des partis de la classe dominante (y compris
la social-démocratie) prive la bourgeoisie de l’instrument politique
dont elle a besoin pour attaquer frontalement ce qui reste de l’Etat-Providence (les 25 milliards d’austérité à ponctionner d’ici 2015 !).
71. Sur le plan social, le monde du travail dispose donc d’un certain
répit. Mais les syndicats auraient grand tort de continuer à attendre
passivement la suite des évènements, comme ils le font depuis plusieurs mois de crainte d’envenimer la situation. En effet, comme on
l’a dit, la confusion politique et le décalage très grand entre l’attitude
actuelle des partis traditionnels et l’opinion publique constituent un
terreau fertile pour des forces de droite, pas nécessairement fascistes
ou d’extrême-droite, mais ultra-libérales et populistes, voire xénophobes, comme on en voit ailleurs en Europe. De ce point de vue, la
situation reste la plus préoccupante en Flandre, où la fluidité de l’électorat est très grande.
72. L’urgence est donc à construire une mobilisation populaire la plus
large et unitaire entre tou-te-s les travailleurs-euses – au niveau belge
comme européen d’ailleurs - afin de faire face à la fois à la crise et à
l’offensive d’austérité internationale lancée par les capitalistes et aux
réformes institutionnelles antisociales évoquées telles que la scission
des allocations familiales, des politiques de l’emploi (et in fine de la
Sécu) ou la régionalisation poussée de l’impôt des personnes physiques ou des sociétés. Dans le contexte actuel, ces mesures ne visent
qu’à briser la solidarité entre les travailleurs-euses et à renforcer leur
mise en concurrence par un dumping fiscal et social sans fin.
73. Il s’agit de préparer activement le monde du travail à riposter aux
attaques qui, chez nous, viendront inévitablement, que ce soit dans
un cadre fédéral ou confédéral, en combattant le désarroi et la résignation qui progressent dangereusement. Dans ce sens, les organisa-
tions syndicales devraient prendre en tout premier lieu l’initiative
d’une vaste « Opération Vérité » qui pointe les responsables de la
crise économique, l’arnaque de la dette publique, dénonce les recet-
tes néolibérales et l’inégalité croissante, afin que les travailleurs, travailleuses et allocataires sociaux prennent confiance dans leur force,
dans leur capacité à aller « prendre l’argent là où il est ». Il est également important de populariser par tous les moyens les luttes anti-austérité dans les autres pays de l’UE et de développer sur cette base
une solidarité active avec les travailleurs-euses des pays qui sont en
première ligne dans ce combat aujourd’hui.
74. C’est dans le cadre de cette mobilisation sociale contre la crise et
l’austérité que la LCR défendra des solutions démocratiques articulant fédéralisme solidaire et mesures anticapitalistes, car on ne peut
déconnecter artificiellement ni les questions démocratiques des ques-
tions sociales, ni la question des institutions et du contenu des politiques à mener en leur sein et de leur de la nature de classe.
75. Pour garantir des solutions qui respectent les droits démocratiques et organisent la cohabitation entre les communautés en satisfaisant les besoins sociaux, il faut des moyens financiers. Faciliter le
bilinguisme ou le multilinguisme, par exemple, exige des moyens
importants consacrés aux services à la population et à un enseignement de qualité et accessible, ce qui est totalement incompatible avec
les néolibéralisme et les politiques d’austérité de coupes sombres
dans les services publics. Les conflits, les tensions et la concurrence
entre les « communautés », les discriminations et inégalités de toutes
sorte ne peuvent donc être combattus que par des mesures anticapitalistes qui prennent l’argent là où il est afin de garantir une répartition
des richesses capable de satisfaire les besoins sociaux, démocratiques, culturels et écologiques de tous et toutes, quels que soient les
appartenances « communautaires », l’origine ethnique, le sexe ou
l’orientation sexuelle.
76. Le développement inégal entre la Flandre et la Wallonie ne pour-ra être définitivement résolu de manière harmonieuse qu’au moyen
d’une planification écosocialiste et démocratique de l’économie, dans
le cadre d’une République fédérale socialiste de Belgique s’inscrivant
elle-même dans un espace plus vaste, celui des Etats-Unis Socialistes
d’Europe. Seule une telle perspective à long terme permettra d’éliminer une bonne fois pour toute à la racine les poisons du nationalisme
réactionnaire, du chauvinisme, du racisme, du sexisme, de la lutte de
« tous contre tous » et de la mise en concurrence des travailleurs-euses, des peuples et des territoires par le capitalisme.
Résolution adoptée par la Direction Nationale de la LCR
le 12 décembre 2010
Ligue Communiste révolutionnaire
Section belge de la Quarième Internationale
Adresse de contact
Rue Plantin, 20 1070 Bruxelles
Site national LCR
www.lcr-lagauche.be
Contact national
info lcr-lagauche.be