Selon Al-Jazira — qui a dédié un site Internet à ces « révélations » — lors d’une rencontre du 15 juin 2008, Ahmed Qoreï, un des principaux négociateurs palestiniens de l’époque, proposait devant ses interlocuteurs israéliens et américains qu’Israël annexe toutes les implantations juives construites dans et autour de Jérusalem depuis 1967, dans le cadre d’un accord de paix plus large prévoyant la création d’un Etat palestinien indépendant.
M. Qoreï affirmait alors que les Israéliens pouvaient garder « toutes les colonies à Jérusalem à l’exception d’Abou Ghneim », appelée Har Homa par les Israéliens, et dont la construction avait porté un sévère coup aux négociations. M. Qoreï est également cité dans l’un des documents demandant en 2008 à Tzipi Livni, alors ministre des affaires étrangères israélienne, « de renforcer le blocus israélien imposé à Gaza ».
LES PALESTINIENS PRÊTS À RENONCER À UNE PARTIE DE LA VIEILLE VILLE DE JÉRUSALEM
« C’est la première fois dans l’histoire que nous faisons une telle proposition », déclare Qoreï, selon ce compte rendu. Il a souligné que les Palestiniens avaient refusé cette concession lors des négociations conduites par le défunt président palestinien Yasser Arafat en 2000. Mais les Israéliens n’ont rien offert en retour, estimant que l’offre n’allait pas assez loin, précise ce compte rendu.
Toujours selon le compte rendu, Saeb Erekat, le négociateur en chef palestinien actuel, aurait affirmé à Tzipi Livni : « Ce n’est pas un secret que nous vous avons proposé la plus grande Yourshalayem [Jérusalem, en hébreu] de l’Histoire. » D’autres documents indiquent, selon Al-Jazira, que les négociateurs palestiniens étaient prêts à renoncer « au quartier juif et à une partie du quartier arménien » de la vieille ville de Jérusalem.
Interrogé sur Al-Jazira peu après la diffusion du document sur Jérusalem, M. Erekat a qualifié les documents de « tissu de mensonges ». La chaîne, qui a déclaré s’être procuré ces documents auprès de diverses sources, dit disposer d’un ensemble de quelque 1 600 documents relatifs au processus de paix israélo-palestinien.
« NOUS N’AVONS PAS RENONCÉ À NOS POSITIONS »
Les documents diffusés par la chaîne qatarie montrent également que les Palestiniens étaient prêts à des concessions importantes sur la question éminemment sensible du droit au retour des réfugiés palestiniens qui sont près de cinq millions avec leurs descendants et dont le sort est l’une des principales pierres d’achoppement dans les négociations. M. Erekat se serait dit prêt à « accepter le retour de dix mille d’entre eux par an sur dix ans, soit un total de cent mille ».
« J’ai dit plus d’une fois, nous n’avons pas renoncé à nos positions. Si nous avions effectivement renoncé aux réfugiés et fait de telles concessions, pourquoi Israël n’a-t-il pas accepté de signer un accord de paix ? », a réagi M. Erekat après la publication de ces documents.
« Cela expose la direction palestinienne, cela la met dans une position où il lui sera impossible d’obtenir la confiance du peuple », estime un commentateur palestinien, Zakaria Al-Qak. Le quotidien britannique The Guardian, un des quotidiens choisis par le site WikiLeaks pour analyser des milliers de notes confidentielles du département d’Etat américain diffusées ces dernières semaines, a dit avoir eu accès à ces documents et avoir vérifié la plupart d’entre eux
« JÉRUSALEM EST À NOUS »
Sur Al-Jazira, M. Erekat a eu une discussion assez vive avec plusieurs interlocuteurs dont le rédacteur en chef du quotidien Al-Quds Al-Arabi, qui lui a demandé qui avait autorisé les dirigeants palestiniens à « abandonner les lieux saints islamiques ». Le statut de Jérusalem, que Palestiniens et Israéliens revendiquent comme capitale, est l’une des questions les plus épineuses des négociations israélo-palestiniennes.
Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, déclarait encore la semaine dernière que l’avenir de Jérusalem n’était pas un sujet de discussion : « De notre point de vue, il n’y a pas de négociations sur Jérusalem. Jérusalem est à nous. » Il a toutefois également souligné que Jérusalem-Ouest était israélienne et pourrait être la capitale de l’Etat juif.
Israël s’est emparé Jérusalem-Est lors de la guerre des Six-Jours en 1967, puis annexé la vieille ville et une partie des territoires de Cisjordanie autour de Jérusalem, une annexion non reconnue par la communauté internationale.
ISRAËL AURAIT PRÉVENU L’AUTORITÉ PALESTINIENNE AVANT DE LANCER L’OFFENSIVE SUR GAZA FIN 2008
Enfin, l’un des 1 600 documents révélés affirme que Mahmoud Abbas avait été informé par Amos Gilad, directeur des affaires politico-militaires au ministère de la défense israélien « de l’intention d’Israël de lancer une offensive sur Gaza » fin 2008. Mais, lundi matin, ce haut responsable israélien a démenti avoir adressé un tel avertissement à l’Autorité palestinienne.
« C’est un exemple d’inexactitude. Aucun avertissement concret concernant une offensive n’a été transmis à l’Autorité palestinienne », a déclaré à la radio publique le général de réserve Gilad. « Je n’ai pas dit autre chose au président Abbas que ce que nous avions dit au monde entier : en l’occurrence que nous ne pourrions tolérer la reprise des tirs de roquettes et autres attaques terroristes contre notre territoire », a ajouté M. Gilad, à l’époque coordinateur adjoint des activités israéliennes dans les territoires palestiniens.
« On pouvait tout juste en déduire qu’Israël allait agir. Mais aucune information concrète n’a été transmise », a-t-il souligné. Selon des documents de WikiLeaks, Israël avait tenté d’obtenir en vain le soutien du mouvement Fatah du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas à son opération contre la bande de Gaza, contrôlée par le Hamas, à la fin 2008.
« NOUS NE POUVONS GARANTIR LA VÉRACITÉ » DES DOCUMENTS
La bande de Gaza et le mouvement islamiste Hamas ont été en décembre 2008-janvier 2009 la cible d’une offensive dévastatrice de l’armée israélienne qui a fait 1 400 morts palestiniens, selon des sources médicales palestiniennes, et treize morts israéliens. Un porte-parole du département d’Etat américain a, quant à lui, indiqué que le gouvernement américain se penchait sur les documents révélés par Al-Jazira. « Nous ne pouvons garantir leur véracité », a écrit le porte-parole, Philip Crowley.
La réunion de juin 2008 s’inscrivait quant à elle dans le cadre des pourparlers lancés par le président américain George W. Bush à la fin de son deuxième mandat, fin 2007. Ces négociations ont cessé quand le premier ministre israélien de l’époque, Ehoud Olmert, confronté à des accusations de corruption, a été contraint de quitter ses fonctions en 2009.
Pour en savoir plus :
– Lire l’analyse de Gilles Paris, journaliste au Monde, sur son blog (ci-dessous)
– Voir le dossier consacré par The Guardian aux documents révélés :
http://www.guardian.co.uk/world/palestine-papers
* LEMONDE.FR avec Reuters et AFP | 24.01.11 | 08h22 • Mis à jour le 24.01.11 | 09h00
La bombe des “Palestine papers”, acte 1 Jérusalem
Le temps est aux fuites. Après WikiLeaks, la chaîne d’information continue Al-Jazira, associée au Guardian, se lance dans la divulgation sur grande échelle de notes diplomatiques.
Un négociateur franco-palestinien, Ziyad Clot, avait ouvert le bal si on ose dire en divulgant le premier dans un ouvrage des notes prises pendant les discussions de 2008. Celles qui nous intéressent (la diffusion a commencé dimanche 23 janvier et se prolongera jusqu’au 26 janvier, dit la chaîne) concernent les négociations israélo-palestiniennes et surtout les offres palestiniennes qui auraient été faites en 2008 lorsqu’Ehoud Olmert était premier ministre. Après son départ, ce dernier avait déploré que les Palestiniens n’aient jamais avancé de contre-propositions à ses offres.
Le point le plus sensible concerne l’acceptation par la partie palestinienne de l’annexion par Israël de la quasi-totalité des quartiers de colonisation de Jérusalem-Est, en bleu foncé sur la carte ci-dessous, dont une partie de la vieille ville, à l’exception de Har Homa (au sud) :
La position officielle palestinienne (le retour à la Ligne verte en vigueur entre 1949 et 1967) proscrit théoriquement de telles concessions, très proches du tracé d’un plan de paix officieux, l’initiative de Genève, récusé en son temps (2003) par l’Autorité palestinienne.
La carte des concessions palestiniennes reste très éloignée de la carte israélienne “reconstituée” proposée lors des négociations de Camp David (2000) présentées souvent comme une occasion historique manquée par les Palestiniens :
Selon Al-Jazira, l’Autorité palestinienne aurait accepté ce recul historique en pure perte : les Israéliens n’auraient donné aucune suite à cette proposition. A l’époque, le chef des négociateurs palestiniens était Ahmed Qoreï (Abou Ala’a) aujourd’hui retiré des affaires. Il avait pour bras droit (et rival) Saëb Erekat, qui est lui toujours en place et qui est le plus exposé à des révélations qui risquent d’affaiblir un peu plus l’Autorité palestinienne.
La défense de M. Erekat a consisté pour l’instant à nier. Nul doute que ce ne sera pas suffisant. Un feuilleton commence. Les relations entre Al-Jazira et l’Autorité palestinienne (qui soupçonne la chaîne de favoriser le Hamas dans sa couverture du conflit israélo-palestinien) étaient déjà mauvaises. Elles risquent de devenir exécrables.
Gilles Paris
Voir les cartes sur le blog de l’auteur :
http://israelpalestine.blog.lemonde.fr/2011/01/24/la-bombe-des-palestine-papers-acte-1-jerusalem/