Aucun observateur, que ce soit au plan local, régional ou international, ni même l’opposition tunisienne de droite ou de gauche, et encore moins le régime du dictateur en fuite Zine El Abidine Ben Ali et ses services de renseignements ne s’attendaient à ce que la situation évolue ainsi. Il n’est jusqu’aux insurgés eux-mêmes, lors de la première phase de leur mouvement, qui ne pouvaient s’imaginer que ces protestations se transformeraient en une impétueuse révolution, que celle-ci ferait passer de l’immobilisme engendré par la répression généralisée du pouvoir de Ben Ali à une situation révolutionnaire au cours de laquelle les masses pourraient renverser l’un des plus vieux dictateurs de la région, ne s’en contenteraient pas et iraient plus loin par un processus révolutionnaire ascendant jusqu’au démantèlement des appareils corrompus.
Oui, la révolution tunisienne, que des analystes nomment révolution « du jasmin », ne peut plus endosser ce qualificatif délibérément réducteur au vu de sa nature et de l’épouvante qu’elle a semé dans les milieux des dictatures arabes qui constatent que leurs trônes se sont mis à trembler.
La révolution de la liberté en Tunisie a mis en exergue la fausseté, l’incohérence et la stérilité des propos de ceux qui croient, -et ils sont de toutes obédiences-, que le cycle des révolutions s’est achevé.
La révolution de la liberté en Tunisie a prouvé de nouveau, après un longue période, notamment dans la région arabe, que la volonté des peuples ne s’écrase pas. Elle a prouvé aussi, et c’est l’essentiel, l’impuissance de la bourgeoisie et de ses régimes dictatoriaux et de leurs institutions à réprimer les masses, à les dominer et à marginaliser sans fin leur conscience.
La chute du dictateur
Le 14 janvier a marqué le succès de la première étape, celle de la détermination et de la résolution des masses à renverser la dictature.
Le 14 janvier, les masses ont renversé le dictateur, mais les appareils de la dictature sont restés en place.
Le gouvernement du dictateur, son parlement, son parti, son appareil de police sont tous restés en place. Ils ne sont pas paralysés. […]
La fuite de Ben Ali a été présentée par son gouvernement comme une simple absence temporaire dans une tentative de calmer la colère du peuple révolté et […] et son premier ministre s’est présenté en ses lieux et place mais cela ne s’est pas passé comme prévu.
Le peuple révolté était conscient du jeu […]
Le peuple a riposté à cette manœuvre par d’avantage de manifestations de rue, d’affrontements, par une radicalisation des revendications et des slogans, par une volonté et une résolution supérieures.
Le peuple a refusé le socle constitutionnel érigé par et pour le gouvernement honni pour sauver le dictateur, sauver le régime de la dictature d’un affaissement total et il a considéré que la constitution elle-même ne pouvait plus être le socle lui garantissant le dépassement de l’étape de l’après Ben Ali car le socle constitutionnel est un socle caduc à son tour. La constitution doit être abrogée car elle n’est plus viable après que le dictateur Bourguiba l’ait modifiée à sa guise et que le dictateur en fuite l’ait mise en lambeaux, des lambeaux qui ne garantissent que les intérêts de la dictature et de la mafia familiale qui en profite économiquement. Le président du Parlement qui occupe le poste de chef de l’Etat n’est pas le président d’un parlement représentant la volonté du peuple puisque le peuple sait mieux que quiconque que cet appareil n’a jamais été depuis le 7 novembre, et même avant, un appareil reflétant sa volonté. C’est un parlement qui a produit des lois liberticides. C’est le parlement du parti unique, du parti de la corruption, non indépendant de l’Etat, de ses appareils et de ses services de renseignements. Le peuple a riposté à cette manœuvre en exigeant la dissolution du Parti du Rassemblement Constitutionnel Démocratique, le départ du gouvernement […]
Le peuple ne se satisfait pas de revendiquer, il veut réaliser la tâche lui-même.
Depuis la proclamation du gouvernement de Foued Mbazaa, les manifestations se répandent dans tout le pays et le peuple révolté est parvenu dans la majorité des villes du pays à occuper les locaux du parti corrompu, le parti du Rassemblement Constitutionnel Démocratique et à l’exclure. Cette mission a culminé avec la manifestation monstre du 20 janvier 2010 à Tunis qui a encerclé le siège central de ce parti et a appelé à en faire un bien public. Elle a imposé aux forces armées de l’armée, qui avait tiré en l’air pour les empêcher d’y pénétrer, d’arracher le nom de ce parti sur le siège. C’est un message clair qu’il n’y a pas lieu pour ce parti de revenir à une activité et qu’il est devenu un appareil dissous. C’est un grand pas réalisé dans l’attente des poursuites pur les crimes et les dépassements commis durant les 23 ans de la dictature de Ben Ali.
La révolution de la liberté et de la dignité a produit un processus révolutionnaire ascendant […] malgré l’absence de direction politique. Cette intifadha continue de progresser depuis plus d’un mois de façon spontanée mais radicale et non négociable. si sa spontanéité se manifeste par l’absence de direction. L’absence de direction : la révolution tunisienne aura prouvé que ce n’est pas toujours un facteur qui empêche des victoires d’autant plus si la révolution a pu créer une situation révolutionnaire et que se sont développées des forces d’auto organisation citoyennes. Le facteur subjectif n’est pas une condition préalable au déclenchement d’une révolution garantissant à cette dernière de parvenir à ses objectifs finaux.
Le facteur subjectif peut éclore dès l’émergence de la révolution et grandir et croitre avec son évolution si tout le processus est révolutionnaire.
C’est ce qu’a démontré l’expérience embryonnaire d’organisation citoyenne qui est apparue dans la première phase de la révolution lors des affrontements de rue avec la police et l’expérience d’auto administration dans les villes et les municipalités tunisiennes, ainsi que dans les quartiers, pour protéger les habitants et gérer leurs affaires. Cette expérience s’est prolongé après les menées de la garde présidentielle constituée par le dictateur en fuite et dont les bandes ont contribué à créer un état de chaos dans les rangs du peuple pour paralyser les mobilisations.
Le facteur subjectif et la direction politique de la révolution émergent et se développent au fur et à mesure des événements.
Les jours prochains, au regard de l’obstination du peuple à poursuivre sa route -pour voir se réaliser ses revendications politiques avec à leur tête aujourd’hui, le départ du gouvernement qui s’est installé lui-même au pouvoir après la dissolution du Rassemblement Constitutionnel Démocratique-, vont voir émerger une composante politique qui prendra la forme d’un front populaire ouvrier politique large, qui est actuellement en cours de formation et qui prouvera que la révolution peut choisir sa direction en son sein […]
La prochaine étape est celle de la chute du gouvernement et de la chute du régime
La réponse du gouvernement de Foued Mbazaa à la revendication de dissolution du Rassemblement Constitutionnel Démocratique et à celle du départ du gouvernement dans la mesure où la majorité de ce dernier appartient à ce parti corrompu honni, les membres du gouvernement ont annoncé aujourd’hui leur démission du parti. Cette initiative n’est qu’une nouvelle manœuvre des reliques du régime de Ben Ali pour tenter de sortir de l’impasse et éviter une chute fracassante.
Cette initiative sera sans aucun doute un fiasco car le peuple est déterminé à balayer les restes de la vipère après lui avoir coupé la tête.
Ce sont leurs derniers moments au pouvoir et leurs dernières manœuvres car ils ont épuisé toutes les marges de manœuvre et il ne leur reste que la tactique de la terre brûlée et ils sont incapables de la mettre en œuvre pour deux raisons au moins […]
Le premier élément est que l’appareil de police, qui est le bras sur lequel ils peuvent prendre appui est aujourd’hui cerné par l’armée et sa direction est dissoute et il vit une situation de déliquescence en raison de la pluralité des centre de gravité en son sein.
Le second est l’appareil militaire sur lequel ils ne peuvent compter car il ne peut placer d’hypothèques sur un gouvernement dont les directions et les impérialistes qui les soutiennent savent mieux que quiconque qu’il est rejeté par le peuple.
Aussi nous disons que ce gouvernement n’aura d’autre issue que la chute. Ce n’est qu’une question de temps car il se meut sur une terre totalement brûlée et il est complètement isolé.
Aujourd’hui, la révolution se doit de donner le coup de grâce à cet appendice vermiculaire. Cela passera par l’union des énergies populaires, partis démocratiques progressistes et de gauche, structures indépendantes, personnalités syndicales intègres qui ne se sont jamais compromises avec le régime de Ben Ali, autour des revendications de gouvernement provisoire préparant des élections libres et transparentes pour une assemblée du peuple reflétant la volonté du peuple dans cette étape transitoire qui choisira un gouvernement populaire ouvrier poursuivant la réalisation des tâches du programme populaire ouvrier mis en relief par les slogans de la révolution de la liberté et de la dignité.
Béchir Hamdi
Tunis, le 20 janvier 2011