1. A l’occasion des soulèvements populaires en Tunisie et en Egypte, un fait politique a suscité peu de commentaires. En effet, ce n’est que trois jours après la chute du dictateur Ben Ali que la direction de l’Internationale socialiste (IS) – en la personne de son président, le premier ministre de Grèce Georges Papandréou et de son secrétaire général, le Chilien Luis Ayala – a pris la décision de rompre les liens entre le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). C’est-à-dire le parti de Ben Ali, membre de cette dite « Internationale socialiste ».
C’est avec quasi le même empressement que Luis Ayala envoya une missive au Parti national démocratique (PND) de Hosni Moubarak indiquant que ce parti « ne traduisait plus les valeurs que défend la social-démocratie » ! Il y était indiqué de plus que l’IS « espérait un message de la part de Moubarak au peuple d’Egypte qui indique un clair chemin vers le changement social et économique, ce qui ne s’est pas produit » (El Pais, 1er février 2011) !
Parmi les 159 partis qui intègrent l’IS se trouvent aussi bien le Parti travailliste d’Israël, acteur de la politique de colonisation et d’écrasement du peuple palestinien, que les partis à la tête des politiques de contre-réformes brutales en Grèce, au Portugal ou ailleurs.
Pour ce qui est du RCD et du PND, la politique de l’IS renvoie à un « différentialisme culturel ». On peut le résumer de la sorte : les peuples du monde arabe ne disposeraient pas de la maturité nécessaire à la démocratie.
Voilà une orientation issue en droite ligne des idéologies colonialistes et d’un culturalisme voisinant le racisme. Pour actualiser leur soutien à de tels régimes dictatoriaux, l’IS – qui s’inscrit dans l’ordre politique impérialiste – adoptait et adopte le schéma : mieux vaut une dictature dite éclairée que l’islamisme.
Or, les soulèvements populaires en Tunisie et en Egypte ont brisé ce schéma. Et tout indique que ce sont ces pouvoirs autoritaires qui nourrissent les franges les plus « fondamentalistes » de l’islam politique.
Ce constat ne vaut pas seulement pour l’attitude de l’IS face au RCD ou au PND. Il révèle les options politiques structurant aujourd’hui les forces sociales-démocrates à l’échelle internationale.
2. Sur la place Tahrir, au centre du Caire, le vendredi 4 février, une manifestante confiait à un journaliste de la BBC : « Bienvenue en terre de la liberté, nous faisons ici l’histoire. » Une telle formule traduit le premier accomplissement d’un mouvement qui prend conscience de sa force, sous une dictature. C’est très important.
Voilà la précondition pour qu’un tel soulèvement se donne des objectifs à hauteur des besoins qu’il traduit et des contre-attaques permanentes que le pouvoir, toujours en place, multiplie. La « rue » – pour reprendre un terme qui traduit en général le mépris des élites au pouvoir – ne demande pas seulement la liberté et le respect. Elle réclame du pain, un emploi, un logement pour tous, l’accès aux soins, à l’éducation, un revenu assuré et suffisant.
Certains veulent noyer les revendications sociales, car elles tendent à mettre en question non seulement le régime en place, mais le système social et économique sous-jacent. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les courants islamistes se montrent opposés à l’organisation indépendante des salarié·e·s en vue de défendre leurs besoins et leurs droits.
3. Les discours officiels, et de certains opposants, sur « l’organisation de la transition » renvoient à la volonté de noyer la question sociale, c’est-à-dire l’affrontement entre des intérêts de classes antagoniques. La décision soudaine d’une augmentation de 15 % pour les fonctionnaires – qui sont au nombre de 10 millions en Egypte – participe de cette « politique de transition » visant à assurer la continuité. Les 40 millions vivant sous la ligne de pauvreté et les près de 40 % de jeunes chômeurs et chômeuses ont saisi que cette soudaine initiative avait comme principal objectif la division de la mobilisation anti-Moubarak.
Les négociations ouvertes par le vice-président Omar Souleimane (militaire chef de sécurité) avec divers partis d’opposition, en mettant en relief le « dialogue » avec les Frères musulmans, ont deux fonctions : fragmenter le mouvement et donner un relief exagéré aux Frères musulmans pour mieux justifier le projet de « transition dans la stabilité ». Celles et ceux qui accordent crédit, sur le fond, à ces négociations, soit défendent des intérêts s’enracinant dans le système en place, soit ne manifestent aucune confiance dans la capacité propre des masses laborieuses à faire avancer leurs revendications.
Or, Moubarak avait tout : l’état d’urgence, le couvre-feu, le contrôle des médias, le blocage des lignes téléphoniques, la suspension du trafic ferroviaire (pour le 1er février), l’armée et la police. Cependant, il n’a pu empêcher une manifestation de plusieurs millions dans toute l’Egypte, le 1er février.
4. « Au tournant décisif, quand un vieux régime devient intolérable pour les masses, celles-ci brisent les palissades qui les séparent de l’arène politique, renversent leurs représentants traditionnels, et, en intervenant ainsi, créent une condition de départ pour le nouveau régime. » Voilà ce que constatait, dans un écrit historique, Trotsky.
C’est en prenant en compte la montée de luttes ouvrières nombreuses mais fragmentées depuis 2006 et l’accélération de la mobilisation populaire, intégrant de nombreux secteurs sociaux, que des forces de gauche en Egypte tentent de tracer, dans un contexte difficile, des voies possibles pour un changement de régime et de système.
Ainsi s’est créé un comité constituant pour une Fédération indépendante des syndicats d’Egypte. Il revendique, entre autres, « le droit pour tous les travailleurs, les employés et les salariés de s’organiser dans des syndicats indépendants où ils décident eux-mêmes de leurs règles qui soient l’expression de leur volonté et la suppression de toutes les restrictions légales à l’exercice de ce droit… La libération de toutes les personnes détenues depuis le 25 janvier. » Ce comité constituant appelle tous les travailleurs égyptiens à organiser « la protestation et les grèves dans les lieux de travail », tout en mettant en garde contre le sabotage contre les infrastructures. å [1]
C’est dans le même esprit que l’Union des forces de gauche égyptienne a publié sa première déclaration. En Suisse, un premier acte de solidarité consiste à diffuser cette prise de position. [2]
Mouvement pour le socialisme (MPS), Suisse