Le premier ministre tunisien par intérim, Mohamed Ghannouchi, a annoncé dimanche 27 février sa démission. « J’ai décidé de démissionner de ma fonction de premier ministre », a déclaré M. Ghannouchi, qui avait pris les rênes d’un gouvernement de transition après la chute le 14 janvier du président Ben Ali, chassé par la pression de la rue. Le président tunisien par intérim Foued Mebazaa a annoncé peu après la nomination au poste de premier ministre de Béji Caïd Essebsi, ministre du temps d’Habib Bourguiba, premier président de la Tunisie indépendante. Réputé pour être un libéral, M. Béji Caïd Essebsi a occupé notamment les portefeuilles de la défense et des affaires étrangères. Il a été également président de la chambre des députés en 1990/1991
Cette démission intervient après plusieurs journées de contestations et de violences dans la capitale tunisienne. Cinq personnes ont été tuées samedi dans les affrontements ayant opposé à Tunis les forces de sécurité à des manifestants. Parlant devant la presse, M. Ghannouchi a déclaré : « Je ne serai pas le premier ministre de la répression ». « Je ne suis pas le genre de personne qui va prendre des décisions qui pourraient provoquer des victimes. Ma démission fournira une meilleure atmosphère pour la nouvelle ère », a expliqué Mohamed Gannouchi. Il a ajouté : « Ma démission est au service du pays ». Depuis samedi, des affrontements qui ont fait au moins trois morts et des dizaines de blessés ont opposé des manifestants et la police dans le centre de Tunis.
Dimanche matin, le cœur de la capitale tunisienne avait encore des allures champ de bataille. Scandant des slogans hostiles au gouvernement, des protestataires tentaient de s’approcher en petits groupes du ministère de l’intérieur, sur l’avenue Habib Bourguiba, épicentre des émeutes, auquel ils s’étaient déjà attaqués la veille. La police a riposté en tirant en l’air et à coup de grenades lacrymogènes. Certaines interpellations ont été très violentes, selon des témoins, et des jeunes manifestants « suppliaient » les policiers d’arrêter de les tabasser. Des jeunes lançaient des pierres sur des immeubles pour briser les vitres et avaient dressé des barricades pour freiner l’avancée des policiers. Les heurts se sont rapidement arrêtés sitôt connue la nouvelle de la démission du premier ministre, une annonce qui n’a toutefois pas été saluée par une explosion de joie.
PREMIER MINISTRE DEPUIS 1999
Mohammed Ghannouchi, 69 ans, est un économiste mesuré et bon négociateur, qui a effectué toute sa carrière politique dans l’ombre de l’ex-président Zine El Abidine Ben Ali. Tentant de redorer son blason, il affirmait n’avoir été qu’un simple exécutant sous Ben Ali, tenu à l’écart des décisions importantes, dans une interview télévisée le 21 janvier, disant avoir eu « peur, comme tous les Tunisiens » de son ancien maître.
Mais depuis sa nomination comme premier chef du gouvernement de l’après-Ben Ali, il n’a pratiquement pas eu un jour de répit depuis la chute et la fuite de l’ancien président le 14 janvier. La première équipe qu’il avait formée, avec notamment des poids-lourds de l’ancien régime, n’a pas tenu deux semaines. Au bout de cinq jours de manifestations sous ses fenêtres, il avait jeté l’éponge le 27 janvier et formé une nouvelle équipe expurgée, tout en sauvant sa tête.
Premier ministre sans interruption depuis le 17 novembre 1999, il était à l’origine entré au gouvernement comme secrétaire d’Etat auprès du ministre du plan en septembre 1987. Un mois plus tard, fin octobre, il devenait ministre délégué chargé du plan auprès de M. Ben Ali, alors premier ministre, soit quelques jours avant l’éviction du président Habib Bourguiba, le 7 novembre et la prise de pouvoir de Zine El Abidine Ben Ali.
M. Ghannouchi, qui n’est devenu membre du Bureau exécutif du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, au pouvoir) qu’en 2002, est connu dans les milieux internationaux pour avoir participé à de nombreuses négociations avec des institutions financières internationales, notamment le Fonds monétaire international (FMI) et l’Union européenne. Souvent actif dans les instances internationales, partisan du renforcement de la coopération entre les pays du Maghreb, il était généralement le porte-parole fidèle de M. Ben Ali pour annoncer d’importantes mesures ou les remaniements ministériels. Cet homme marié, père de deux enfants, avait déjà donné des gages à la contestation populaire de son gouvernement provisoire, en démissionnant de ses fonctions du RCD et en promettant de prendre sa retraite à la fin de la transition.