L’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) a été jusqu’ici l’unique centrale syndicale de Tunisie. Elle a joué, pendant la colonisation française, un rôle important dans la lutte pour l’indépendance du pays. Elle a été, ensuite, le principal opposant au régime de Bourguiba, même si ce dernier a su par moments rallier à lui la direction de la centrale. Malgré la compromission de sa direction, l’UGTT est restée sous Ben Ali une centrale syndicale forte, capable d’organiser des mobilisations de masse grâce à son implantation dans tout le pays. Étant l’un des rares cadres légaux où il était possible de militer, on trouve en son sein des militants appartenant à tous les courants politiques, et des luttes internes ont toujours eu lieu, entre militants radicaux et partisans – notamment dans la direction – d’arrangements avec le pouvoir en place, y compris du temps de Ben Ali.
La révolte des travailleurs et de la population du bassin minier en 2008 a été l’un des derniers épisodes mettant en évidence l’hétérogénéité de l’UGTT. Les luttes internes expliquent aussi la participation officielle tardive de l’UGTT à la révolte populaire, alors que ses militants ont fortement contribué à organiser les mobilisations.
Le caractère social des débuts du processus révolutionnaire tunisien, avec des slogans repris de la révolte du bassin minier (« un travail est un droit, bande de voleurs ! »), a privilégié l’intervention des syndicalistes dans le mouvement. Et le rôle de l’UGTT a été décisif dans cette période : c’est avec sa participation officielle – sous la pression de sa base et des structures opposées aux compromissions avec Ben Ali – à l’organisation de grèves et de manifestations à partir de début janvier que la révolte s’est transformée en révolution. Et, depuis, le suivi des décisions de l’UGTT indique généralement les flux et reflux de la mobilisation. Avec la poursuite des contestations populaires depuis le départ de Ben Ali, aboutissant à la chute de deux gouvernements, le départ de nombreux gouverneurs et une forte remise en cause de la légitimité du nouveau gouvernement, Béji Caïd Essebsi a réservé son premier rendez-vous en tant que nouveau Premier ministre au secrétaire général de l’UGTT et a cédé à la quasi-totalité des revendications de la centrale syndicale, dont l’élection d’une Assemblée constituante.
Mais, en parallèle, une campagne de dénigrement est menée par les médias contre les défenseurs de la classe ouvrière et notamment l’UGTT. Et tant que le ménage n’est pas fait en son sein, la compromission de certains de ses dirigeants donne du grain à moudre à ses détracteurs.
L’UGTT a jusqu’ici joué un rôle politique déterminant. Mais le risque est de voir son actuel sommet – corrompu – de nouveau trahir les travailleurs et délaisser ce rôle. Les travailleurs le savent et commencent à s’organiser dans de nouveaux cadres politiques, autres que les partis déjà existants et pour la plupart sclérosés par des décennies de dictature. Ils finiront par avoir leur propre outil politique pour défendre leurs intérêts de classe. Les syndicats combatifs joueront un rôle important dans la lutte de classe qui se dessine à l’horizon de ce processus révolutionnaire, et la pression populaire pourrait alors être encore plus forte pour impulser des changements de fond au sein de l’UGTT.
Correspondant