Le phénix est un oiseau légendaire, doué de longévité et caractérisé par son pouvoir de renaître après s’être consumé sous l’effet de sa propre chaleur. Il symbolise ainsi les cycles de mort et de résurrection.
« Ne pas pleurer, ne pas rire, ne pas haïr, mais comprendre. » Spinoza, Ethique, 3
Samy
Le projet du NPA est désormais sur la corde. Affaibli, il n’est pas défait, mais avec son avenir se pose celui d’une perspective révolutionnaire indépendante en France dotée d’une influence autre qu’anecdotique. Alors même que l’on sait que dans la plupart des pays d’Europe, des forces de ce genre sont inexistantes ou très faibles, ce qui rend indispensable le renforcement de ce qui constitue une heureuse exception.
Son lancement repose sur une analyse et sur un pari. L’analyse est que les forces de l’extrême gauche traditionnelle ont fait leur temps, que les fils de la filiation d’Octobre 1917 sont, sinon rompus, du moins bien trop maigres pour constituer le cordage nouveau indispensable. Que donc, tout « en recommençant par le milieu », il faut se doter d’une pensée stratégique propre au siècle nouveau, après les désastres du « socialisme réellement existant ». Dans ce cadre général, il s’agit de prendre en compte le renouveau de la radicalisation contre le système (depuis Seattle en 1999, 1995 en France), la fin donc du reflux généralisé de la période précédente, sans que pourtant on puisse parler d’une reprise des offensives révolutionnaires. Une sorte « d’entre deux ». Secondairement, l’analyse repose sur le postulat d’existence d’une frange militante nombreuse, rétive ou hostile au capitalisme et à ses variantes social-libérales, dont il convient de coaguler les potentialités qu’elle recèle au plan politique.
Le pari était qu’il était possible de lancer un processus « par en bas » (autrement dit par-dessus les partis existants), et que, le processus une fois lancé, il trouverait ses propres voies pour s’approfondir et se solidifier. Pari que nous étions un certain nombre à savoir risqué. Car le choix se faisait dans une conjoncture favorable (faiblesse momentanée mais importante des forces réformistes, petit succès électoral avec Olivier, et le début, inattendu, de la nouvelle « grande crise »), mais dans une période défavorable quant au rapport de force social, et de recul idéologique profond (or il n’y a pas, à ma connaissance, dans une telle période de recul, d’exemple de réussite d’une recomposition comme nous l’avons entamée).
Bien entendu ce recul aura une fin, bien que nul ne sache quand. Les révolutions arabes marquent un changement décisif. Mais leurs effets ne seront pas immédiats en tout état de cause et ne valent que pour l’avenir.
Quatre éléments, liés, ont rendu pour l’instant difficile la réussite complète du pari, malgré des succès notables [1].
• Le résultat momentanément paradoxal du surgissement de la crise, avec des luttes sociales parfois importantes, mais des effets politiques essentiellement vers la droite - et l’extrême droite - dans toute l’Europe (dont la poussée du FN chez nous, alors même que nous sortons du puissant mouvement sur les retraites de l’automne). C’est de loin le point majeur. De plus, la portée de nos thèmes critiques du capitalisme s’est généralisée, mais, du fait même que le NPA joue dans une division supérieure que la LCR, on lui demande face aux enjeux une issue programmatique (sur laquelle il a avancé à son congrès) et surtout politique dont il est démuni pour l’essentiel (puisque dans ses principes fondateurs mêmes il a renvoyé l’élaboration stratégique à plus tard, et qu’elle n’a toujours pas commencé).
• La sédimentation d’une option réformiste de collaboration avec le PS (voire de collaboration de classe tout court comme on l’a vu lors du mouvement des retraites) avec la constitution du PG, puis du FG. Alors que le NPA couvrait au départ de fait une part importante de l’espace à la gauche du PS, il a été ensuite objectivement limité aux franges les plus radicales. Je fais partie de ceux qui n’ont pas vu venir à temps cette évolution. Ceci n’a absolument rien à voir avec les affirmations entendues partout comme quoi nous aurions jugé qu’entre le NPA et le PS « il n’y avait rien » ce qui serait une bêtise sans nom. Mais ces forces étaient momentanément sans projet. D’ailleurs je pense fragile celui qui les anime actuellement (tout dépendra d’une éventuelle victoire de la gauche et des alliances subséquentes ou pas ; mais si alliance avec le PS il n’y a pas, ce ne sera de toute manière pas du même réformisme qu’il s’agira, j’y reviens plus loin). On peut aussi disserter sur les erreurs commises avec la sous-estimation du problème. Il reste la réalité brute : la place objective de ce réformisme (réformisme très atténué et bien peu radical) existait de toute évidence, sauf qu’elle n’était pas occupée. À partir du moment où elle l’est, ça pose certainement des questions tactiques nouvelles, mais on ne peut la faire disparaître par des manœuvres géniales et en l’absence d’une radicalisation sociale supplémentaire [2].
• Les couches militantes vivantes que visaient les processus y sont restées en grande partie étrangères. On connaissait les coordonnées dominantes qui conduisent à cette situation. Ces couches sont le produit non d’un mûrissement en positif, mais l’expression de crises, et de la résistance à ces crises. Crise du mouvement ouvrier, de ses partis (voire de la forme parti elle-même), crise des perspectives socialistes, crise de la stratégie pour y parvenir. Et résistances, puisque, par définition, ces couches refusent de plier devant le système. Mais tant que ne dominent que le rejet et la résistance, l’engagement en positif est difficile. Le nom même de notre parti (anti) symbolise parfaitement cette situation. Dans ces conditions, ces couches, décisives, hésitent entre options réformistes, révolutionnaires et tous les intermédiaires. Ces hésitations proprement politiques ont été renforcées dans la conjoncture : par la nécessité de battre la droite ; par l’éloignement du bilan des expériences gouvernementales avec le PS et de l’hostilité à son propos, voire à une alliance avec lui ; par la constitution d’une mini perspective réformiste avec le FG, et ont achevé de bloquer des processus de rapprochement qui d’emblée étaient faibles.
• Les difficultés propres à un processus « par en bas » avec un fonctionnement mal maîtrisé, parfois surréaliste.
La réfraction de cette situation dans les tendances du NPA doit être analysée sans concessions. Attention tout de même à ne pas ramener tout l’état du parti à celui de ses tendances structurées. Dans les rendez-vous majeurs de la lutte de classe, le NPA a répondu présent, que ce soit dans la lutte pour le mouvement d’ensemble à l’automne, le soutien aux révolutions arabes et dans un nombre incalculable de combats politiques, sociaux, idéologiques. Le NPA, c’est d’abord cet investissement de tous les jours, si rare et si précieux. Il existe en fait de très larges plages d’accord au sein du parti, sous-estimées par la survalorisation des points qui font clivage et par le mode de débat qui a été choisi pour le congrès. Mais de plus, le sens qu’a pris le vote pour les positions (bien que significatif dans sa traduction globale) est parfaitement volatil à l’échelle de nombre de camarades. C’est vrai déjà pour la P1, mais beaucoup plus net encore pour les autres. Paradoxalement, cela laisse une vraie chance de rebond, la cristallisation à la base étant sans commune mesure avec ce qu’elle est au sommet du NPA où l’esprit de fraction fait des ravages dans toutes les positions y compris la P1.
Cela dit on ne peut pas passer à côté de l’évolution tendancielle possible des contradictions profondes apparues. Une partie des militants de la P3 s’élève contre ce qu’elle juge être notre incapacité à répondre correctement aux demandes d’unité de la gauche « antilibérale », en sous-estimant les difficultés de fond sur ce chemin. Mais une autre (combien, l’avenir le dira) est souvent (mais parfois sans le savoir) dans la droite ligne des préoccupations de Picquet et Sitel, les fondateurs de la Gauche unitaire. Ça ne veut pas dire qu’ils iront jusqu’où sont allés ces derniers, mais qu’ils n’excluent pas en réalité d’entrer dans un bloc réformiste en position subalterne (comme on en a nombre d’exemples à l’occasion des cantonales), prêts y compris à suivre Mélenchon [3].
Comme dans Die Linke, même si ça n’a rien à voir. Les conséquences sont en effet bien plus importantes en France, puisque compte tenu du système électoral ceci conduit inévitablement à l’accord avec le PS. Qu’ils soient auto intoxiqués par les mirages de « la dynamique » pour y échapper ou que ce soit leur choix réel a peu d’importance en l’occurrence. Les repousses de ces illusions sont increvables, et donnent même dans le ridicule quand elles s’adressent non à la toute puissance du PC stalinien des grandes heures mais à… Mélenchon ! Bien sûr, cela dit, ce choix n’a rien de scandaleux s’il s’effectue en conscience. Mais il suppose un trait tiré pour longtemps (pour toujours ?) sur une gauche révolutionnaire qui jouerait sa carte en son nom propre. On peut penser que, pour une partie de ces militants (encore une fois, impossible de connaître la proportion, espérons là la plus faible possible), le choix du NPA n’était soutenable qu’en tant qu’il renforçait la main pour un projet de ce genre. La P2, elle, fonctionne sur le mode du déni psychanalytique : ne pas considérer, même de loin, la possibilité que la réalité soit ce qu’elle est, c’est-à-dire difficile, sinon c’est toute la fragilité (refoulée) de son propre engagement qui viendrait en pleine lumière. À l’archéo-sectaro-gauchisme des dirigeants (même s’il n’en est pas de même, et de loin, pour tous ceux qui l’ont choisie) fait écho chez beaucoup des votants pour eux un déracinement politico-social, où la logorrhée révolutionnariste est inversement proportionnelle à la pratique effective. À quoi il faut ajouter les hésitations et divisions de la P1, avec chez certains, une hostilité de principe à la perspective, même théorique, à une candidature présidentielle de rassemblement issue du mouvement social, indépendamment du débat sur sa faisabilité dans la conjoncture.
Tout ceci vient se greffer sur la rupture des lignes historiques de problématiques communes, donc des cadres où une réflexion de fond pouvait s’organiser. Symboliquement, je pense que la date de la mort de Daniel Bensaïd peut être retenue pour la matérialisation de cette rupture. Dans une situation du front de classe difficile, ce qui est encore une fois la donnée majeure qui sous-tend le reste, voilà qui vient porter à incandescence une des faiblesses initiales, la grande vague du militantisme post-moderne, où tout se vaut, où se rejette avec vigueur toute vision d’ensemble comme toute exigence de cohérence. Ou au contraire le simplisme est roi. Où la considération démocratique élémentaire que le vote des militants est le juge décisif est balayée sans l’ombre d’un émoi. On peut comprendre alors que les débats de fond au sein du NPA soient rendus très compliqués.
Mais la question de départ reste entière : comment faire advenir une traduction politique révolutionnaire aux quelques dizaines de milliers de militants dont l’existence a été confirmée cet automne ? Le NPA doit certes consolider ses propres bases et progresser en ce sens. Il lui faut s’appuyer sur ses responsabilités internationalistes, prendre à bras le corps le débat syndical, mettre en œuvre les axes principaux de construction que comprenait la résolution orientation P1 (axes qui ne paraissent pas soulever de désaccords profonds dans le parti). S’appuyer donc sur ce qui fonde ses combats principaux. Mais il ne peut plus fondamentalement parvenir complètement à fournir la traduction politique recherchée de par son seul propre mouvement, si cela a jamais été possible. Il y faut des évènements qualitatifs nouveaux significatifs ici en France [4]. Il est trop tôt pour savoir si l’effet des révolutions arabes y correspond (et en plus ce n’est pas directement en Europe). On peut l’espérer et c’est possible, l’ébranlement étant de portée historique. De plus la crise globale du capitalisme peut connaître des répliques sévères, en particulier en Europe. En France des luttes d’une ampleur encore plus grande que sur les retraites seraient les bienvenues. Mais comme d’habitude, ça ne dépend pas de nous.
Sur le plan purement politique (sauf donc si un mouvement social d’ampleur national vient changer la donne ou si la crise globale s’aggrave d’une manière systémique), c’est du résultat de 2012 que ça dépend désormais. L’avenir électoral du FN reste une question ouverte, peut-être centrale, à propos de laquelle, combinée à une politique de front unique, seule une perspective de rupture radicale telle que nous la défendons peut faire pièce dans les rangs populaires. C’est une responsabilité nouvelle à cette échelle, et capitale. Si au demeurant Sarko l’emporte au final, la gauche entrera dans un autre chapitre (et nous aussi), et elle sera en miettes pour un bout de temps. Si la gauche l’emporte, déjà des conséquences sociales sont possibles (je pense sans en être sûr qu’on serait plus près de 36 que de 81). Ceci se combinant avec une alternative sans doute historique pour le coup. Chaque courant, voire chaque personne, serait devant un choix décisif : être dans l’aire gouvernementale (au sens restreint ou au sens large), ou choisir de préparer l’opposition de gauche à la politique qui sera conduite, dans une confrontation redoublée avec l’extrême droite. La question de l’unité à gauche du PS et de EE, qui a surgi après 2005 sous une forme compliquée avec la droite au pouvoir, aurait alors une pureté presque cristalline avec la portée cette fois décisive et sans faux fuyant du thème des « deux gauches ».
Pour toutes ces échéances, il est indispensable que l’outil que représente le NPA, se stabilise et se développe. D’autant qu’il n’y a aucun remplaçant possible. Ce qui, sur le plan politique, signifie passer correctement le cap de la présidentielle, avec une candidature anticapitaliste totalement indépendante du PS comme des alliances gouvernementales et parlementaires avec lui.
En même temps, il faut engager les débats de fond indispensables. Le NPA est souvent submergé par l’insignifiance de nombre de ses discussions. Où c’est comme une scène d’opéra avec soprano chantant « partons, partons » en étant immobile. Où on réclame à chaque heure de la formation et de vraies élaborations de fond tout en les rendant impossibles à chaque minute. Donc il faut entamer le débat de fond sans tarder pour ceux qui le souhaitent, tout en s’engageant dans ce que le parti sera en mesure d’impulser comme discussions, élaborations et confrontations dans son cadre habituel. Et désormais, comme une priorité absolue. Le site http://www.europe-solidaire.org, animé par Pierre Rousset, aura un onglet spécifique « Stratégie du Phénix », et hébergera les productions et échanges pour celles et ceux qui veulent y contribuer.
Samy Johsua