TOKYO, CORRESPONDANT - « Sommes-nous abandonnés ? » Un appel dans le désert a été lancé par le maire de Minami Soma, une commune située à proximité de la zone de confinement de 30 km autour de la centrale de Fukushima, dans laquelle les habitants sont appelés à rester calfeutrés chez eux. « Plus aucun secours n’arrive, ni médicaments, ni essence, ni kérosène. Nous sommes isolés », a-t-il témoigné.
Des habitants cherchent encore leurs proches dans les décombres. D’autres tentent de partir à pied pour fuir les risques de radioactivité liés aux explosions survenues dans plusieurs réacteurs. Où doivent-ils aller ? Personne ne leur a dit.
Les pages du courrier des lecteurs des quotidiens, auquel est consacré plus d’espace que d’habitude, sont pleines de messages de détresse. Envoyés par fax ou courriel, quand c’est possible, par des habitants de villages isolés.
Depuis mercredi 16 mars, il neige dans le nord de l’île d’Honshu, voilant d’une couche blanche les paysages apocalyptiques des départements sinistrés. La température hivernale est tombée encore un peu plus bas, passant de –2 °C à – 4 °C. Les rues bordées de ruines et de débris sont étrangement silencieuses.
Plus de 20 000 personnes restent isolées, sans secours, sans nourriture ni eau. C’est le cas de hameaux dont les routes d’accès ont été coupées, mais aussi de la poussière d’îles le long de la côte. Une partie de leurs habitants ont été secourus par hélicoptère quatre jours après le tsunami : ils n’avaient plus rien pour s’alimenter. Un demi-million de personnes bivouaquent dans 2 400 centres d’accueil ouverts par les autorités locales. Eux aussi souffrent du froid en raison du manque de combustible.
« L’ÉTAT DOIT NOUS DIRE OÙ ALLER »
Emmitouflés jusqu’à la tête, se serrant autour de poêles, ils répondent aux questions des journalistes des télévisions. Certains tremblent encore ; d’autres ont peine à retenir leurs sanglots. Une mère âgée désespère de pouvoir retrouver son fils… D’autres, abattus, semblent prostrés. Ils attendent sans savoir vraiment quoi car les seules informations qu’ils ont sont celles diffusées par les télévisions, accentuant l’anxiété. Ils ont tout perdu et ils risquent, pour ceux qui sont proches de la centrale nucléaire de Fukushima, d’être irradiés. Sans pouvoir fuir. Pour le maire du bourg de Tomizuka, non loin de la centrale, « l’Etat doit préciser l’étendue de la zone dangereuse, et nous dire où aller ».
Les camions de transport refusent désormais de s’approcher de cette zone où les particules radioactives ont pu être dispersées. Le manque d’essence paralyse les secours : les approvisionnements arrivent dans les centres urbains mais ne peuvent pas être acheminés dans les campagnes.
A Minami Sanriku (département de Miyagi), petite ville de 17 000 habitants dont 10 000 sont portés disparus, le maire, Jin Sato, n’a reçu aucune directive du pouvoir central, sinon de demander à la population de rester chez elle. « J’écoute la radio pour savoir ce qui se passe. L’Etat a construit ces centrales, c’est à lui de nous aider », dit-il. Située dans une zone qui pourrait être irradiée, la petite ville ne reçoit pratiquement pas de secours en essence, médicaments ou nourriture.
Beaucoup de personnes âgées sont à la limite de leur résistance physique. Six sont mortes d’épuisement et de froid dans un hôpital de Sen-en, dont les installations de chauffage ont été noyées par le tsunami. Certains ont refusé de quitter ce qui reste de leur maison, préférant attendre la mort. Une vieille dame aveugle, vivant seule à Minami Soma, a finalement été secourue quatre jours après le séisme : elle n’avait pas compris ce qui se passait, recluse dans sa maison à moitié effondrée. « J’ai appelé les voisins mais personne n’a répondu », a-t-elle déclaré.
SANS NOUVELLES DES PROCHES
Les malades, diabétiques ou souffrant de tension artérielle, sont sans médicaments. Devant la gravité de la situation sanitaire, le Japon a autorisé des médecins étrangers à exercer dans l’Archipel. Mais, jusqu’à présent, faute d’essence, les équipes médicales n’ont pas réussi à atteindre les hôpitaux encore debout dans les zones sinistrées.
Après le séisme et le tsunami du 11 mars, le gouvernement avait promis la mobilisation de cent mille soldats. Certains sinistrés se sentent abandonnés par les autorités. Le courrier des lecteurs des journaux et les blogs sont aussi révélateurs des frustrations et de la colère des victimes, qui critiquent les habitants de Tokyo qui « accaparent » les produits faisant si cruellement défaut à ceux qui ont été directement frappés par le tremblement de terre et le tsunami. « Cet égoïsme est indécent », écrit un lecteur du quotidien Asahi.
Beaucoup sont sans nouvelles de leurs proches. C’est le cas du spécialiste des religions Tetsuo Yamaori, originaire du département d’Iwate. « Je dois me préparer au pire, écrit-il dans Asahi, on ne peut éliminer la souffrance, mais on peut au moins être aux côtés de ceux qui en sont victimes. C’est cela aussi, accepter l’impermanence du monde. » Mais à beaucoup de sinistrés, même cet accompagnement est refusé.
Philippe Pons