Des résultats nous parviennent d’heure en heure et confirment les éléments ci-dessous.
Nous essaierons de publier une mise à jour en fin de journée
Suivre en temps réel l’ordre de grandeur de la contamination de l’air est indispensable
Depuis 5 jours, de la radioactivité s’échappe de la centrale nucléaire de FUKUSHIMA DAIICHI sans que l’on
puisse évaluer les risques encourus par les populations. On n’a en effet aucune idée des quantités de
produits radioactifs relâchées dans l’environnement et aucune cartographie des activités volumiques de
l’air n’a été publiée.
Seuls des relevés dosimétriques (débits de dose en µGy/h ou µSv/h) sont disponibles et seulement pour
certains secteurs géographiques. Les plus exposés – la Préfecture de Fukushima notamment – sont très peu
documentés [la situation est en train de changer]. Ces résultats ne rendent compte que de l’exposition
externe et peuvent donc sous-évaluer considérablement les niveaux de risques.
En situation accidentelle, il est indispensable de disposer, en temps réel, des ordres de grandeurs de la
contamination de l’air qui 1/ détermine le risque encouru par inhalation de gaz et d’aérosols radioactifs ;
2/ conditionne – en association avec les paramètres météorologiques - l’intensité des dépôts au sol et par
conséquent les niveaux de contamination de la chaîne alimentaire.
Tout un cocktail de produits radioactifs dans l’air de Tokyo
Le laboratoire de la CRIIRAD a pu accéder aux mesures effectuées par le Tokyo Metropolitan Industrial
Technology Research Institute [1] sur les poussières atmosphériques prélevées à Tokyo, dans l’arrondissement
de Setagaya, sur la période du mardi 15 mars minuit au mercredi 16 mars 18h (heures locales), soit 42
heures de suivi.
Les résultats publiés concernent 4 radionucléides (produits radioactifs) : iode 131, iode 132, césium 134 et
césium 137. Moyennées sur les 42 heures de suivi, les activités sont les suivantes :
- Iode 131 : 14,9 Bq/m3
– Iode 132 : 14,5 Bq/m3
– Césium 134 : 3,4 Bq/m3
– Césium 137 : 3,2 Bq/m3
Accéder aux tableaux de résultats :
1. Mise en forme CRIIRAD
2. Originaux de l’Institut de Recherche de Tokyo : 15-03-11 ; 16-03-11 ; 17-03-11
En situation normale, le seul radionucléide que l’on s’attend à mesurer dans l’atmosphère est le césium
137. Du fait des essais nucléaires militaires et de la catastrophe de Tchernobyl, subsiste en effet une
contamination résiduelle mais heureusement très faible : de l’ordre de quelques µBq/m3. (1µBq = 10-6 Bq)
Une valeur moyenne de 3,4 Bq/m3 représente une augmentation considérable du niveau de radioactivité :
de l’ordre de 1 million de fois.
Précision importante : l’air contient nécessairement d’autre radionucléides : probablement des gaz
rares radioactifs comme le krypton 85 et le xénon 133 mais également du tritium, du tellure 132, des
isotopes du ruthénium, du tellure, du strontium. Il faudrait également savoir si l’air contient des
transuraniens, des émetteurs alpha très radiotoxiques comme les plutoniums 238,239 ou 240 ou
encore l’américium 241.
Si l’on considère l’évolution des concentrations dans le temps, on constate que le niveau de radioactivité
de l’air a très fortement augmenté sur Tokyo le 15 mars, entre 10h et 12h, avec un pic de radioactivité sur
les poussières prélevées à 11h :
- Iode 131 : 241 Bq/m3
– Iode 132 : 281 Bq/m3
– Césium 134 : 64 Bq/m3
– Césium 137 : 60 Bq/m3 (soit plus de 10 millions de fois le niveau antérieur aux accidents nucléaires)
Accéder au graphique établi par la CRIIRAD (résultats actualisés au 17 mars)
A partir d’une activité moyenne en iode 131 de 15 Bq/m3, nous avons calculé les doses équivalentes à la
thyroïde qu’ont pu recevoir en 48 heures les enfants habitant Tokyo. Les résultats restent inférieurs au
milliSievert (mSv) et par conséquent au seuil d’intervention de 10 mSv défini par l’OMS pour l’adminis-
tration de comprimés d’iode stable.
Il faut cependant souligner que les chiffres utilisés pour les calculs sous-évaluent très probablement
l’activité réelle de l’air. L’air a, en effet, été échantillonné à partir de filtres à poussières. Pour obtenir un
bilan complet, il faudrait disposer de résultats sur des filtres à charbon actif capables de piéger les gaz, et
notamment les formes moléculaires et organiques de l’iode. Elles peuvent représenter une part
importante, voire majoritaire, de l’iode présent. Cette information doit être obtenue d’urgence.
Que se passe-t-il plus au nord ?
Le plus préoccupant est que Tokyo n’est pas le secteur le plus touché par le passage des masses d’air
contaminé. L’analyse des relevés de débits de dose disponibles le montre clairement. Ces quelques
éléments très – trop – lacunaires nous conduisent à nous interroger sur les niveaux d’exposition des
personnes résidant à moindre distance de la centrale de FUKISHIMA DAIICHI (Tokyo est situé à 230 km au
sud). A quels niveaux de contamination ont été exposés les habitants de la Préfecture de Fukushima
(l’évacuation est limitée à un rayon de 20 km) ou encore ceux du secteur d’ONAGAWA où les débits de
dose ont été multipliés par 100, voire par 1 000 (à Tokyo, l’augmentation n’aurait été que d’un facteur 16) ?
Et qu’en est-il des habitants de la Préfecture d’IBARAKI où l’élévation du niveau de rayonnement ambiant
est un peu supérieure à celle de Tokyo et surtout bien plus prolongée ?
La CRIIRAD ne souhaite qu’une chose, c’est d’être rassurée sur les niveaux d’exposition de la population. Si
les autorités considèrent que les niveaux de risques sont minimes, elles doivent le démontrer, chiffres à
l’appui.
Si l’on se base sur les informations publiées par l’AIEA, jusqu’au mercredi 16 mars, l’ordre d’administrer
des comprimés d’iode stable à la population n’avait pas été donné. L’AIEA indique que dès le 14 mars
dernier, les autorités japonaises avaient distribué 230 000 tablettes de comprimés d’iode stable aux centres
d’évacuation mais sans donner l’ordre de les administrer aux habitants. Or, la zone d’évacuation était
encore hier limitée à un rayon de 20 km autour de FUKUSHIMA DAIICHI et consigne était donnée aux
personnes résidant dans un rayon de 30 km de se confiner chez elles.
Le problème, c’est que le confinement ne peut apporter qu’une protection très provisoire : une
habitation n’a rien d’une enceinte étanche : en quelques heures tout le volume d’air intérieur est
renouvelé. On gagne un peu de temps en calfeutrant toutes les ouvertures mais le confinement n’est
absolument pas adapté à une contamination qui persiste sur plusieurs jours. L’aide internationale doit se
mobiliser pour apporter la logistique nécessaire à l’évacuation des personnes sur un périmètre bien plus
large. Ceci aurait dû être fait bien plus tôt. En attendant, il faut limiter les risques et l’iode stable est un
moyen efficace – s’il est pris à temps ! – de limiter l’irradiation de la glande thyroïde et donc la survenue
ultérieure de cancers ou d’autres pathologies thyroïdiennes. Rappelons également que l’iode stable n’est
pas la panacée : il ne protège ni de l’irradiation externe, ni de la contamination par les autres
radionucléides.
Dépôts au sol et contamination des aliments
La radioactivité présente dans l’air se dépose progressivement au sol et sur les végétaux. Les dépôts secs
sont intensifiés par la pluie qui lessive les masses d’air contaminé et précipite au sol les particules
radioactives (aérosols) et les gaz solubles (iode notamment).
Il faut disposer au plus vite d’une cartographie des activités surfaciques (Bq/m2 de sol) permettant de
recenser les zones à risque et de cibler les mesures à prendre pour le retrait des aliments contaminés ou les
mesures de prévention (alimentation du bétail en fourrage non contaminé par exemple).
Concernant la contamination de la chaîne alimentaire, il faut rappeler que depuis 5 jours, des quantités très
importantes de produits radioactifs sont rejetées à la mer. Il faut donc vérifier l’impact de ces rejets sur les
produits de la mer dans les zones proches et en fonction des courants.
Le fait de connaître les niveaux de contamination des paramètres clefs de l’environnement n’est certes
pas une garantie de protection. Il est en revanche certain que l’absence de données ne peut qu’empirer
les choses. L’opacité n’a jamais profité à la défense des intérêts sanitaires de la population. Tchernobyl
l’a clairement démontré.
REPERES
CONTAMINATION DE L’AIR :
_ comparaison avec la situation de la France au moment de Tchernobyl
Les chiffres qui suivent sont des chiffres officiels relatifs à la contamination de l’air dans le sud-est de la
France, une des régions les plus touchées par les retombées radioactives consécutives à l’explosion du
réacteur n°4 de Tchernobyl. Les activités sont des valeurs moyennes pour la période du 1er au 3 mai 1986.
Césium 137 : de 0,3 à 0,9 Bq/m3 à comparer à la concentration moyenne sur 2 jours de 3,2 Bq/m3 à Tokyo
Iode 131 : de 0,6 et 4,2 Bq/m3 à comparer à la concentration moyenne sur 2 jours de 14,9 Bq/m3 à Tokyo.
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