Le féminicide avait certainement déjà cours avant le début de la présidence de Calderón, en 2006, suite à une fraude électorale. Il est bien connu en effet, que lorsque l’impunité règne, lorsque l’assassinat des femmes n’est pas combattu (et lorsque même des meurtriers qui reconnaissent les faits sont acquittés), le crime se répète, se multiplie et s’étend.
« Guerre » au narcotrafic ?
La semaine dernière, le gouvernement de l’Etat de Mexico, avec l’appui du Ministère de l’Intérieur, et même de l’Institut de la femme de plusieurs Etats de la République, s’est opposé à déclarer l’« urgence de genre » dans cette région, au prétexte de ne pas « politiser » la situation et de ne pas insister sur la responsabilité du gouverneur Peña Nieto, futur candidat présidentiel du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) aux élections de 2012.
Après son arrivée au pouvoir, Felipe Calderón a mis en place sa politique criminelle de militarisation du pays, en invoquant la « guerre » contre le narcotrafic. Le pouvoir tente de manipuler les chiffres et il y a une part d’ombre quant au rôle respectif du « crime organisé », de la police et de l’armée, qui agissent parfois la main dans la main, par rapport à cette hécatombe. Depuis la fin 2006, on compte 28 000 homicides, 10 000 orphelins et 1000 à 2000 disparus, femmes et hommes.
Disparitions et exécutions à la chaîne
Rosario Ibarra et les mères du comité « Eureka » exigent la réapparition de plus de 500 personnes disparues sous les gouvernements du PRI, spécialement à partir de la présidence de Luis Echeverría, qui étaient tous-toutes des disparu-e-s politiques, liés d’une manière ou d’une autre aux luttes sociales et aux guérillas de ces années-là. Avec Calderón, leur nombre a augmenté et ils-elles proviennent de tous les milieux sociaux, sans être nécessairement des politiques, ce qui ne contribue pas à la révélation de ces cas par leurs familles.
Pour la seule année 2010, la plus violente, on a dénombré 15 273 exécutions. Ainsi, les victimes de cette « guerre » sont souvent des jeunes, tués à l’occasion de fêtes privées, des familles entières décimées à des postes de contrôle de l’armée, des étudiant·e·s abattus au sortir des écoles, sans la moindre trace d’affrontement. Dans une majorité de cas, il s’agit d’assassinats perpétrés par les forces armées.
Les autorités invoquent le nombre de morts pour montrer qu’elles sont en train de gagner la guerre. Il est ainsi suggéré que les personnes abattues sont des criminels, ce qui est faux (et même si c’était exact, cela ne justifierait pas la lutte contre le crime organisé par le meurtre). Lorsque les autorités sont confrontées à l’évidence que les victimes sont des personnes innocentes, elles parlent de « dégâts collatéraux » ou de « sacrifices nécessaires ».
Activistes dans le collimateur
Etant donné qu’ils·elles dénoncent l’hypocrisie de cette « guerre », ce sont maintenant les défenseurs des droits humains et les activistes qui combattent la militarisation et le féminicide qu’on assassine. C’est pour cela, que l’année dernière, à Ciudad Juárez, Josefina Reyes, militante de la première heure contre le féminicide, a été tuée. De nombreux habitant·e·s et activistes de cette ville ont dû émigrer : c’est le cas de la camarade Cipriana Jurado, figure historique de la lutte contre le féminicide.
Marisela Escobedo a ainsi été froidement abattue, tandis qu’elle protestait devant le Palais du gouvernement de l’Etat de Chihuahua, parce qu’elle dénonçait l’acquittement de Sergio Rafael Barraza, le meurtrier de sa fille Rubi, qui avait pourtant confessé son crime. Depuis son assassinat, les menaces et agressions contre sa famille et ses amis se poursuivent, obligeant nombre d’entre eux à se réfugier aux Etats-Unis. Et pourtant, les protestation et les mobilisations continuent dans les rues de Ciudad Juárez et du Chihuahua, grâce à l’immense courage et à l’engagement des activistes et des défenseurs des droits humains qui restent aux côtés des familles des victimes.
Le degré élevé de violence et de crimes contre les femmes, sans que ceux-ci ne soient élucidés ni que justice soit rendue, fait du Mexique un cas à part. Ainsi, le Chihuahua est devenu l’archétype de la militarisation du pays, faisant de Ciudad Juárez l’une des frontières les plus violentes au monde. La situation s’est encore aggravée avec l’assassinat des femmes qui défendent les droits humains, les luttes sociales ou le combat contre l’impunité. Après l’assassinat de Marisela Escobedo, celui de Susana Chávez ne doit pas être sous-estimé.
Non au sexisme et à la misogynie
Cette militante et poétesse cherchait à lier la création artistique à la lutte contre le féminicide. C’est elle qui avait lancé la consigne « Pas une morte de plus ! ». Son assassinat a provoqué une vague d’indignation et de nombreuses mobilisations. Les autorités ont cherché à salir sa mémoire en prétendant que son meurtre résultait d’une beuverie en mauvaise compagnie. Il s’agit, une fois de plus, de justifier l’injustifiable à l’aide d’arguments sexistes et misogynes, et de rendre les victimes responsables de leur sort en raison de leur attitude « provocatrice » ou de leur style de vie.
Pourtant, rien ne saurait justifier l’assassinat des femmes : elles ont le droit de vivre et de se comporter comme elles l’entendent, et de s’habiller comme elles le souhaitent. Elles ont le droit de ne pas vivre cloîtrées chez elles, de pouvoir sortir à l’heure qu’elles veulent et où elles veulent sans pour autant être accompagnées en permanence de leur père ou de leur mari. Nous ne voulons pas de ce monde de terreur et d’intolérance. Nous ne voulons pas de ces valeurs que la droite prétend nous imposer par la peur du féminicide, l’impunité et les crimes, produits de la militarisation du pays.
Si Susana a été tuée pour s’être risquée à vivre librement, c’est une preuve supplémentaire qu’elle a bel et bien été assassinée parce qu’elle était une femme. Connaissant sa trajectoire, ce qu’elle écrivait et pensait, les raisons qui la poussaient à lutter, les menaces continues contre sa famille et ses amis, les menaces contre d’autres activistes, il est évident que son assassinat représente aussi une agression ouverte contre l’ensemble du mouvement de défense des droits humains, au travers de l’une de ses figures les plus limpides et les plus sensibles.
Une seule solution : la lutte collective
Un député du PRI du Chihuahua, apprenant la tenue de protestations publiques face au Palais gouvernemental, a conseillé aux activistes d’allumer des cierges à la cathédrale, endroit mieux indiqué, selon lui, pour s’enfermer et prier afin que la violence cesse. Nous refusons les leçons de morale du PRI et du PAN (catholique conservateur). Nous disons non à la résignation, non à l’acceptation de la situation actuelle comme « mal naturel », non à l’explication commode des « dégâts collatéraux ».
Ce n’est pas en nous enfermant chez nous que cette situation prendra fin, mais en luttant politiquement, en occupant la rue, en nous organisant. Celle-ci a commencé avec l’arrivée au pouvoir de ce gouvernement criminel, champion de la nécropolitique d’Etat, responsable de la violation des lois et des droits, de l’atteinte à la vie, à l’accès à la justice, au bien-être social et à la dignité humaine de la population. Ainsi seulement, le rêve de Susana – qui criait « Pas une morte de plus ! » – pourra-t-il devenir réalité.
Rejoignez les mobilisations et campagnes nationales et internationales contre le féminicide et la militarisation du Mexique !
PRT