1. Un vote décisif par une Assemblée croupion
Le 18 décembre 1996, le parti au pouvoir en Corée du Sud (le Parti de la Corée Nouvelle - PCN) n’a pu faire passer devant l’Assemblée nationale deux ensembles de lois qui étaient débattues depuis plusieurs mois. L’un avait trait à une réorganisation des organes de sécurité (National Security Planning Agency qui devait remplacer l’ancienne KCIA, c’est-à-dire la CIA de Corée du Sud). L’autre concernait une modification importante de la loi sur le travail.Face à cet échec, le 26 décembre à 6 heures du matin le PCN organise une réunion « spéciale » de l’Assemblée nationale, présidée par le vice-président de cette Assemblée (Ho Se-eung). Au total, 11 lois sont votées en bloc en 6 minutes. Le PCN dispose de 157 sièges à l’Assemblée nationale qui réunit 299 députés. Seuls 154 députés du PCN étaient présents lors de cette réunion « spéciale ».
2. Des lois antisyndicales
Parmi les modifications de la nouvelle loi sur le travail, on peut mentionner :
a) Seul un syndicat peut exister dans une entreprise ou une branche industrielle (art. 3, paragraphe 5 du Trade Union Act). Ce syndicat doit être enregistré auprès des autorités administratives (art. 13). Cette législation a pour but d’empêcher la reconnaissance légale de syndicats qui ne sont pas reconnus, c’est-à-dire qui ne sont pas membres de la Fédération des syndicats de Corée (FKTU, Nochong), seule centrale syndicale autorisée à l’échelle nationale par le gouvernement. Une telle décision est en opposition avec l’art. 2 de la Convention n°ree; 87 de l’Organisation internationale du travail et du Bureau international du travail (OIT/BIT) ayant trait au pluralisme syndical. La fonction essentielle de ces articles est d’empêcher l’implantation syndicale d’organisations liées à la Confédération coréenne des syndicats (KCTU, Minjunochong) dans des secteurs ou des entreprises où existent déjà des organisations rattachées à la FKTU. De plus, la KCTU n’est pas reconnue (donc est illégale) en tant que confédération représentative à l’échelle nationale.
b) La Constitution coréenne, dans son art. 21, reconnaît le droit et la liberté d’association et, dans son art. 33, reconnaît le droit et la liberté des salarié(e)s à des négociations collectives et à entreprendre des actions collectives dans le cadre de ces négociations. Toutefois, une restriction importante existe dans le même article : les employés du service public (fonctionnaires) ne peuvent s’organiser et engager une action collective que dans cadre de ce qui est strictement permis par la loi. Or, le statut des fonctionnaires - à l’échelle nationale et à l’échelle locale - nie les droits d’action collective de l’essentiel des fonctionnaires. Des exceptions existent pour une partie des « travailleurs manuels » du secteur médical, des chemins de fer et des télécommunications, qui disposent de droits syndicaux. Les amendements à la loi confirment ces restrictions du droit d’organisation et de négociations collectives dans le secteur public. L’interdiction la plus forte touche le secteur des enseignants. Lorsque les enseignants ont créé en 1989 la Fédération des enseignants et des travailleurs de l’éducation (KTU), 45 enseignants ont été emprisonnés et 831 ont été expulsés des écoles publiques. La KTU reste une organisation non reconnue au plan légal.
c) La législation (art. 12.2 du Trade Union Act et 13.2 du Labour Dispute Adjustment Act - qui font partie de l’ensemble de la législation sur le travail) empêche l’intervention d’un tiers. Autrement dit, une confédération syndicale ou un syndicat d’une autre entreprise ne peuvent agir comme conseil, intermédiaire ou organiser des actions de solidarité à l’occasion d’un conflit entre un employeur et le syndicat reconnu légalement. Cela vise à empêcher l’activité de la KCTU et les actions de solidarité. Ces dispositions facilitent les arrestations de militants syndicaux.
d) L’art. 12 du Trade Union Act interdit toute activité qualifiée de politique par les syndicats.
e) La nouvelle législation du travail prévoit de même la possibilité : 1°ree; de licencier sans restriction en invoquant des modifications technologiques, des nécessités de restructuration, la détérioration de la situation financière de l’entreprise ou une modification de la gestion pour accroître la productivité ; or, un système d’allocation de chômage est tout à fait embryonnaire en Corée du Sud ; il n’existe que depuis un an sous la forme d’une assurance de type privé ; pour toucher des allocations, il faut avoir cotiser dix ans ; dès lors, la perte d’un emploi a des conséquences très graves, d’autant plus dans une situation économique qui se péjore ; 2°ree; de pouvoir remplacer par des travailleurs intérimaires les travailleurs en grève ; 3°ree; de permettre à des sociétés de travail temporaire (qui sont contrôlées par les grands conglomérats sud-coréens appelés chaebol) d’entrer sur le marché du travail plus stable des grandes entreprises ; 4°ree; d’introduire une flexibilité maximale dans l’horaire de travail avec un maximum de 56 heures hebdomadaires sans que soient payées des heures supplémentaires (dans l’industrie, hors heures supplémentaires, le temps de travail hebdomadaire était de 48,7 heures en 1995, ce qui est supérieur au temps de travail de Taïwan... et de l’ensemble des pays membres de l’OCDE).
Conclusion
L’ensemble de ces mesures ont pour but de modifier les relations de forces sur le marché du travail et de tendre à freiner la hausse salariale. Depuis 1992, l’effort principal des chaebols et de la Confédération des employeurs coréens vise à réduire au maximum la hausse du salaire minimum mensuel dont le niveau influence le revenu de l’essentiel des salarié(e)s de Corée du Sud travaillant dans les petites et moyennes entreprises.
La dimension démocratique et politique du mouvement social qui a pris son essor depuis fin décembre s’explique par la conjonction de trois facteurs : 1°ree; les modalités choisies par le gouvernement de Kim Young-sam pour imposer les deux ensembles de lois et le renforcement des organes de répression ; 2°ree; les restrictions à l’activité syndicale, plus spécifiquement à l’action du mouvement syndical indépendant et démocratique ; 3°ree; la tentative de dégrader les conditions salariales et de travail, conditions qui étaient la contrepartie d’un travail très intensif et de longue durée.
3. Première étape d’une grève générale
Jeudi 26 décembre 1996
Dès le vote par l’Assemblée des deux ensembles de lois, la KCTU a appelé à une grève générale illimitée jusqu’au retrait de la nouvelle loi sur le travail. C’était le premier appel à une grève générale depuis 1948.Les huit syndicats membres de la Fédération des syndicats du groupe Hyundai (Hyonchongnyon) - syndicats représentant les plus de 70’000 travailleurs de huit grandes entreprises du conglomérat (chaebol) Hyundai dans la ville de Ulsan - soutiennent l’appel de la KCTU. Un premier meeting de protestation est organisé devant la Cathédrale Myongdong à Seoul. La FKTU annonce qu’elle rejoindra la grève. Les partis d’opposition - le Congrès national pour une nouvelle politique (dirigé par Kim Dae-jung) l’Union des démocrates libéraux (dirigé par Kim Jong-pil) - déclarent de même la loi nulle et non avenue. La Confédération des employeurs de Corée (KEF) soutient la loi et réclame du gouvernement une attitude ferme. Elle déclare que les jours de grève ne doivent pas être payés.
Vendredi 27 décembre
Quelque 210’000 travailleurs rejoignent la grève. La mobilisation est particulièrement forte, dans cette phase, au sein de l’industrie automobile, des chantiers navals, des entreprises de la pétrochimie. De grands conglomérats sont touchés par la grève ou par des mobilisations de protestation : Kia (automobiles), Deawoo (automobiles), Ssangyong (automobiles). Des travailleurs du secteur hospitalier entrent en grève dans des hôpitaux de Seoul, Inchon, Suwon, etc. Le gouvernement déclare les grèves illégales.
Samedi 28 décembre
220’000 travailleurs continuent la grève. Les travailleurs du métro de Seoul rejoignent le mouvement. D’importantes manifestations ont lieu à Seoul.
Dimanche 29 décembre
214 entreprises doivent suspendre leur production. Les travailleurs du métro de Pusan entrent en grève des 4 heures du matin. Les autorités judiciaires menacent de poursuivre et d’arrêter les dirigeants syndicaux.
Lundi 30 décembre
215’000 travailleurs sont en grève. Le syndicat des télécommunications vote son adhésion à la grève. La police anti-émeute intervient pour bloquer l’accès aux centres de télécommunications.
La KCTU déclarera la suspension temporaire de la grève durant les fêtes de fin d’année. Un mouvement de soutien aux grévistes se développe parmi les professeurs de diverses universités.
Mardi 31 décembre
La direction de la KCTU organise devant la Cathédrale de Myongdong un sit-in permanent. Le parvis de la cathédrale devient le « quartier général » de la mobilisation sociale et démocratique.
4. Deuxième étape de la grève générale
Vendredi 3 janvier 1997
Le mouvement est relancé le vendredi 3 janvier. Les secteurs de l’industrie lourde continuent à jouer un rôle décisif. Pour la première fois, des syndicats de salariés de la presse participent à la mobilisation. Les menaces de répression de la part des autorités s’accentuent ; ces dernières annoncent que des mesures strictes seront prises à l’encontre de grèves qui se développeraient dans le secteur public.
Samedi 4 janvier
Les grèves s’affaiblissent dans le secteur de l’industrie lourde. Toutefois les manifestations de rue sont importantes le samedi.
Dimanche 5 janvier
La FKTU organise d’importants rassemblements dans les principales villes, entre autres à Seoul et Pussan. Les salariés de la radio et de la télévision décident de soutenir la grève.
Lundi 6 janvier
La mobilisation repart. Quelque 200’000 travailleurs entrent en grève. Les secteurs de l’automobile se remobilisent et le mouvement de grève touche pour la première fois les banques et les assurances (les employés des banques craignent des restructurations avec les pertes d’emplois à la clé.
Les grèves dans le métro et les transports sont suspendues par les syndicats, étant donné les conditions très difficiles de déplacement à cause d’un hiver rigoureux.
Le procureur du district de Seoul émet des mandats de comparution à l’encontre de 50 leaders syndicaux, y compris le président de la KCTU, Kwon Jong-gil. Des mesures identiques à l’encontre de responsables syndicaux sont prises dans les villes de Ulsan, Chanwon, etc.
Mardi 7 janvier
La mobilisation s’étend au secteur public. 4000 salariés des quatre principales compagnies de radio et télévision entrent en grève : Corean Broadcasting System (CBS), Munhwa Broadcasting Corp. (MBC), Education Broadcasting System (EBS) et Christian Broadcasting System (CBS). Quelque 17’000 salariés syndiqués des centres hospitaliers et médicaux de Seoul participent à la grève.
Mercredi 8 janvier
Devant le succès de la mobilisation du 7, la direction de la KCTU envisage une accentuation des grèves et des mobilisations. En effet, pour la première fois depuis la flambée de grèves de 1987, les syndicats du tertiaire (fédération des employés, des assurances maladie, de la presse, des employés de l’université, des enseignants, etc.) manifestent une claire volonté de se joindre au mouvement. Les représentants de ces syndicats se réunissent à Seoul.
Les autorités judiciaires décident de reporter l’application des mesures légales prises à l’encontre des dirigeants syndicaux.
Jeudi 9 janvier
Les travailleurs des entreprises du groupe Hyundai reprennent le travail. La police accroît sa pression autour du parvis de la Cathédrale Myongdong à Seoul, où est toujours installée la direction de la grève. Le siège de la KCTU est occupé par la police, ainsi que le siège de trois fédérations, celles de la métallurgie, du secteur hospitalier et de l’automobile.
Vendredi 10 janvier
Le mouvement de grève continue. Selon la KCTU, 200’000 travailleurs y participent. La société Hyundai Motor Co., le plus grand fabricant d’automobiles de Corée de Sud, décide un lock-out (fermeture de l’entreprise). Une manifestation de protestation de 20’000 salariés a lieu dans la ville de Ulsan. Un travailleur de 32 ans, Chong Chae-song, s’immole par le feu. Universitaires, artistes, professeurs, représentants des églises chrétiennes et bouddhistes multiplient les pétitions demandant l’abrogation des lois votées le 26 décembre.
Le président du Parti de la Nouvelle Corée, au cours d’un entretien avec le président de la FKTU (Park In-sang), cherche à ce que cette fédération se désolidarise du mouvement de grève. Le président de la FKTU rejette cette proposition, ce qui traduit la pression populaire en faveur de l’abrogation des lois « adoptées » le 26 décembre.
Le BIT et le TUAC (organe de consultation sur les questions du travail de l’OCDE) font connaître leur opposition à la législation imposée par le gouvernement de Kim Young-sam.
Samedi 11 janvier
Une délégation de la CISL (Confédération internationale des syndicats libres) participe à un grand meeting dans le parc Chong-Myo à Seoul. Le secrétaire général Marcello Malentacchi de la Fédération internationale de la métallurgie, membre de la CISL, y déclare : « Votre lutte est la nôtre ». Les dirigeants de la KCTU et de la FKTU refusent de débattre à la télévision avec le président du parti au pouvoir. Ils réclament de rencontrer et de débattre directement avec le président Kim Young-sam qui a imposé les lois « scélérates ». Une véritable négociation, selon eux, ne peut commencer qu’après l’abrogation de ces lois.
Dimanche 12 janvier
La KCTU indique que les actions de grève et de mobilisation continueront jusqu’à l’abrogation des lois.
Lundi 13 janvier
La FKTU annonce la participation de ses membres pour une grève de 39 heures dès le mardi 14 janvier. Une réunion a eu lieu entre la KCTU et la FKTU afin d’établir un plan d’unité d’action. Une manifestation convoquée par l’Eglise catholique se tient sur le parvis de la Cathédrale et affirme son soutien aux salariés en grève.
Mardi 14 janvier
L’appel conjoint de la KCTU et de la FKTU à la mobilisation n’a pas le résultat escompté, malgré un écho dans les secteurs de la chimie, de la métallurgie, des transports.
5. Troisième étape de la grève
Mercredi 15 janvier
Lors d’une rencontre entre les présidents de la FKTU et de la KCTU sur le parvis de la Cathédrale Myongdong, un accord en 5 points est intervenu : 1°ree; demande d’abrogation de la loi sur le travail ; 2°ree; poursuite des mobilisations jusqu’à ce que cette revendication soit acceptée ; 3°ree; prolongation de la mobilisation jusqu’aux élections présidentielles du 8 décembre si satisfaction n’est pas obtenue ; 4°ree; organisation commune de manifestations ; 5°ree; demande à la population de soutenir la lutte, tout en s’excusant pour les inconvénients que les grèves peuvent provoquer.
Le 15 janvier marque un des
hauts moments de la mobilisation au plan quantitatif. Les manifestations sont massives dans 15 villes. Le procureur général laisse entendre que ces mobilisations participent d’une « propagande communiste », ce qui en Corée du Sud ouvre la porte à une répression sérieuse.
Le Ministère du travail publie des annonces publicitaires dans toute la presse afin d’expliquer combien la nouvelle loi est nécessaire à la compétitivité au plan mondial de la Corée du Sud.
Le président Kim Young-sam affirme que certains réglements découlant de la loi peuvent être revus, mais que la loi ne peut pas être abrogée, car cela constituerait un acte anticonstitutionnel.
Jeudi 16 janvier
Les salariés de Hyundai Motor Co., après la réouverture de l’entreprise suite au lock-out, reprennent le travail en accord avec les directions syndicales. Le syndicat des travailleurs de Asia Motor à Kwangju (ville où la dictature militaire avait exercé une répression féroce faisant des milliers de morts, en mai 1980) décident de reprendre le travail. Il en va de même à Ssanjyong Motor Co. La Cour de justice du district de Changwon dans la province de Kyongsang demande à la Cour constitutionnelle de statuer sur la légalité de la loi sur le travail. Un jour plus tard, la Cour de district de Taejon de la province de Chungchong. La Cour constitutionnelle est censée donner une réponse à la question qui lui a été posée au plus tôt au cours du mois de février. Un enquête d’opinion (effectuée par Hang-gil Research’s survey) est publiée par un des principaux journaux de Corée du Sud : 65,3% des personnes interrogées demande l’annulation de la loi sur le travail ; 93,8% s’oppose à l’utilisation de la force pour résoudre le conflit. Cela confirme l’écho public et la dynamique démocratique de la mobilisation sociale.
Réorientation de la mobilisation
Vendredi 17 janvier
Lors d’une réunion de la direction de la KCTU, la décision est prise de réduire le niveau de mobilisation après 23 jours de grèves et de manifestations. Décision est prise d’organiser des grèves chaque mercredi et des mobilisations de masse dans les principales villes chaque samedi. Une date butoir est fixée au 18 février 1997. A cette date, le gouvernement doit avoir retiré les lois « scélérates » sans quoi la mobilisation sera à nouveau accentuée, entre autres sous la forme de grèves. Cette loi est censée entrer en vigueur dès le 1er mars. Cette décision a été prise par la KCTU sur la base de deux considérations : d’un côté, le soutien dans l’opinion publique, parmi les partis d’opposition, dans les milieux universitaires et religieux s’est renforcé ; de l’autre, des difficultés importantes apparaissaient dans la poursuite de la grève au sein des entreprises les plus importantes, dont les directions déclaraient que les pertes financières subies impliquaient l’impossibilité de faire face à leurs obligations salariales.
La KCTU et la FKTU soulignent que la mobilisation pour les droits syndicaux et démocratiques doit s’inscrire dans la durée. La direction de la KCTU propose un débat avec le président du Parti de la Corée Nouvelle (PCN) à condition que la sécurité du président de la KCTU Kwon Yong-gil soit assurée et que la liberté du débat soit assurée. La KCTU avait refusé dans un premier temps un tel débat. Cette fois, c’est le PCN qui rejette la suggestion de la KCTU, affirmant que le président de la KCTU ne pouvait participer à un débat puisqu’un mandat d’amener avait été lancé à son encontre et que dès lors débattre avec lui impliquait une violation de la loi. Pour le PCN un problème se pose : tous les principaux dirigeants de la KCTU sont poursuivis par la « justice » et donc aucun n’est susceptible de débattre à la TV... si les conditions énoncée par le président du PCN sont maintenues.
Le travail reprend aussi dans les chantiers navals et dans les stations de radio-télévision. Le cardinal Kim Sou-hwan de l’Eglise catholique romaine de Corée rencontre le président Kim Young-sam afin que le dialogue s’instaure. Il fait connaître l’opposition de l’Eglise à l’usage de la force pour arrêter les dirigeants syndicaux installés sur le parvis de la Cathédrale Myongdong.
Samedi 18 janvier
Lors d’un rassemblement au parc Chong-Myo à Seoul, la KCTU annonce la reprise du travail et la stratégie de la grève du mercredi et des manifestations du samedi. La FKTU annonce des mobilisations conjointes pour le 25 janvier. La date ultimatum du 18 février pour l’abrogation de la loi sur le travail est réaffirmée.Des affrontements ont lieu autour de la Cathédrale Myongdong, la police anti-émeute augmentant sa pression.Dans la ville de Ulsan (ville du conglomérat Hyundai), un délégué syndical important est arrêté, Kim Im-chik. C’est le sixième syndicaliste arrêté durant la semaine du 13 au 18 janvier.
Mardi 21 janvier
Le président Kim Young-sam rencontre les dirigeants des deux partis d’opposition (Kim Dae-jung et Kim Jong-pil). Le désaccord est explicite : si les trois leaders politiques affirment que la « crise doit être résolue dans le cadre de l’Assemblée nationale », les deux leaders de l’opposition exigent - comme le demandent les deux confédération syndicales - que les deux lois (loi sur le travail et loi sur la sécurité) soient abrogées avant toute réouverture du débat parlementaire.
La KCTU affirme que la rencontre des partis politiques a abouti à une complet échec. La KCTU réaffirme sa volonté de poursuivre la mobilisation tant que ne sont pas obtenus : 1°ree; abrogation des deux lois ; 2°ree; retrait de l’ensemble des poursuites judiciaires lancées contre les militants et responsables syndicaux (410 personnes au total) ; suppression des licenciements punitifs prononcés au cours des grèves.
Quelque 500 représentants des églises bouddhistes, catholiques, protestantes et Won-Bul Kyo (une branche de l’Eglise bouddhiste) se sont réunis le 21 janvier, dans le temple Cho-Gae à Chong-ro (à Seoul). Ils réclament l’abrogation des deux lois. Ils demandent que la nouvelle loi garantisse les droits sociaux, syndicaux et politiques de l’ensemble des salarié(e)s. Après cette réunion, les représentants des différentes églises se sont rendus à la cathédrale Myongdong pour rencontrer les représentants de la KCTU.
Mercredi 22 janvier
Quelque 140’000 grévistes ont participé à la première grève du mercredi. Des membres de 135 syndicats de branches et d’entreprises ont participé à ce mouvement.
Un meeting réunissant quelque 15’000 personnes s’est tenu sur la place Chong-Myo. La suspension des mandats d’arrêt à l’encontre des dirigeants de la KCTU ayant été prononcée par le président Kim Young-sam, pour la première fois le président de la KCTU (Kwon jung-gil) a participé à ce meeting, venant de la Cathédrale de Myongdong. Dans son discours, il insista sur l’ambiguïté de la proposition d’une simple rediscussion de la loi au Parlement, en soulignant qu’elle visait à étouffer la mobilisation. La revendication d’annulation et de révision doit être maintenue. Après le meeting de Chong-Myo, les participants se sont rendus en cortège, sans intervention de la police, jusqu’à la Cathédrale Myondong
Jeudi 23 janvier
Les dirigeants de la KCTU décident de quitter le parvis de la Cathédrale de Myongdong et de réintégrer les bureaux de la Confédération syndicale. Une conférence de presse est organisée pour le 24. L’Eglise protestante organise une manifestation à l’Eglise Yang Lin à Seoul. Elle réclame la démission du président Kim Young-sam pour ses crimes à l’encontre de la démocratie et se prononce pour l’annulation des lois ainsi que la dissolution de l’Agence nationale de sécurité (ex-CIA sud-coréenne).
Vendredi 24 janvier
Le gouvernement, après suspension des mandats d’arrêt à l’encontre des dirigeants de la KCTU, les lève. Toutefois, des mesures répressives continuent à l’encontre des syndicalistes, entre autres sous l’impulsion de la Fédération des employeurs de Corée et de la Fédération des industries de Corée.
Dans les bureaux de la KCTU, une conférence de presse se tient. Les objectifs précédents sont confirmés (annulation des lois, levée des mesures répressives, etc.). Pour la première fois, une réunion de représentants de toutes les régions de la KCTU se fait afin d’envisager les étapes suivantes de la mobilisation.
Samedi 25 janvier - Dimanche 26 janvier
Des rassemblements réunissant des dizaines de milliers de salariés, qui reprennent les revendications centrales du mouvement syndical, se tiennent à travers le pays, entre autres à Seoul, Ulsan, Pohang (ville sidérurgique). La manifestation de Seoul était la première manifestation publique unitaire entre la KCTU et la FKTU. Elle a réuni sur la place Yoido quelque 85’000 personnes. Le 1er mai devient un objectif de mobilisation dans le calendrier fixé, la date du 18 février restant toujours un objectif important.Parallèlement à la libération de syndicalistes accusés d’avoir « mené des grèves illégales » s’ouvrent des poursuites judiciaires à l’encontre de syndicalistes dans l’ensemble du pays, poursuites engagées à la demande d’entreprises (ces poursuites concernent 420 salariés membres de 55 différents syndicats).
La Fédération des entreprises de Corée et la Fédération des employeurs de Corée demandent à leurs adhérents de ne pas payer les jours de grève. Au cours des dix dernières années, les jours de grève étaient payés. Le refus de les payer est conforme à un des nouveaux articles introduits dans la nouvelle loi sur le travail.
Lundi 27 janvier
La faillite du second producteur d’acier de Corée - Hanbo Steel - sert de révélateur du système de corruption financière propre au régime de Corée du Sud : parti au pouvoir, administration, système bancaire et grandes entreprises sont les acteurs permanents de scandales financiers et industriels. Sous la pression des autorités gouvernementales, l’entreprise Hanbo a reçu des crédits de la Banque d’Etat Korea Development Bank et de la banque privée Korea First Bank. Le découvert officiel s’élève à plus de 6 milliards de dollars et la faillite de Hanbo serait susceptible d’ébranler le système financier de Corée. Le gouvernement envisage une reprise de cette société par le conglomérat d’Etat Pohang Iron and Steel, deuxième producteur d’acier à l’échelle mondiale. Toutefois, ce scandale industriel et financier révèle une fois de plus la nature de la classe dominante coréenne.
Mardi 28 janvier
La KCTU organise une réunion nationale pour définir sa stratégie. La KCTU affirme que si elle n’obtient pas satisfaction sur ses revendications, elle ouvrira ce qu’elle nomme la quatrième étape de grèves à l’échelle nationale.
Une vaste campagne de signatures demandant l’abrogation de la loi est lancée avec l’objection de réunir 1 million de signatures dans un laps de temps très bref. Des mesures sont prises pour obtenir le paiement des jours de grève dans les grandes entreprises. Enfin, la KCTU déclare que les activités immorales et injustes liées à la crise de Hanbo, activités ruinant l’économie nationale, soient l’objet d’une enquête complète et impartiale. La KCTU suggère que les responsables soient punis pour activités illégales. Enfin, le syndicat souligne que la gestion du groupe Hanbo met en question non seulement l’emploi du groupe lui-même, mais celui de l’ensemble des sociétés sous-traitantes. La KCTU propose la mise en place d’un comité spécial qui enquête sur la corruption régnant dans la gestion de nombreuses sociétés dont les dirigeants se sont fait les supporters de la nouvelle loi sur le travail et ont soutenu la nouvelle loi sur la sécurité. La KCTU décide de suspendre pour l’instant les grèves du mercredi. Les difficultés d’organisation et la pression exercée dans les grandes entreprises sur les travailleurs rendaient cette stratégie difficile à maintenir.
Mercredi 29 janvier
La KCTU et le Comité national pour la révocation de la loi sur le travail (NCPD) - comité qui a réuni de très larges forces pour organiser la solidarité depuis le début du mouvement - ont organisé une réunion à la Cathédrale de Myongdong pour expliquer publiquement la campagne de signatures et l’organisation d’un festival culturel pour le 2 février.
De plus, les responsables du NCPD ont rencontré les responsables des partis d’opposition. Lors de cette rencontre, les points suivants ont été traités : 1°ree; la faillite de Hanbo ; 2°ree; la nécessité que les partis d’opposition n’affaiblissent pas leur opposition aux deux lois lors de leur retour à l’Assemblée nationale ; ces derniers ont confirmé qu’ils maintenaient leur position de principe : l’annulation des deux lois ; 3°ree; une campagne d’information doit être développée sur le contenu effectif de la loi sur la sécurité.
Samedi 1er février et dimanche 2 février 1997
Manifestations dans diverses villes et rencontre culturelle à Seoul.