La reconnaissance par le panel de l’Union africaine d’Alassane Ouattara comme président de la République de la Côte d’Ivoire n’est pas une surprise. Seul le silence du président sud-africain Jacob Zuma – seul chef d’État parmi les cinq à être proche de Gbagbo – a étonné. Gbagbo se retrouve ainsi de plus en plus seul sur la scène africaine et internationale.
En revanche, le panel a été incapable de répondre au mandat de l’Union africaine en n’indiquant pas les mesures contraignantes qui obligeraient Gbagbo à quitter le pouvoir. Aujourd’hui, la CEDAO qui regroupe les pays d’Afrique de l’Ouest, insiste pour que l’ONU intervienne avec ses 12 000 soldats, mais l’instance internationale considère que cette affaire doit être réglée au niveau africain. Bref, chacun se renvoie la balle, conscient de la difficulté du problème.
L’inquiétude des gouvernements des puissances occidentales est que la Côte d’Ivoire risque fort d’embraser une région déjà très instable. En effet, le Bénin pourtant réputé pour sa stabilité démocratique, est en proie à des agitations contre les fraudes électorales du président sortant Boni Yayi, tout comme le Togo où les manifestions hebdomadaires se sont renforcées contre le projet de Faure Gnassimbé de réduire les libertés. Le Burkina Faso connaît une mobilisation de la jeunesse étudiante inégalée depuis une décennie, avec les facultés en grève contre le meurtre par la police d’un jeune étudiant. Même au Sénégal, l’accusation par le pouvoir d’un prétendu complot, visant à renverser Wade, traduit son inquiétude.
En Côte d’Ivoire, en attendant, l’option des armes est choisie par les deux camps et l’on observe une escalade de la violence. À Abobo, Yopoungon ou Anyama, des quartiers à forte densité humaine d’Abidjan, les affrontements se font à coups de mortier et de lance-roquettes RPG 7. On compte des centaines de morts et près de 800 000 déplacés. La guerre continue aussi dans l’ouest du pays où les Forces nouvelles qui soutiennent Ouattara et les Forces de sécurité présidentielles se disputent les villes de Zouan Hounien, Toulepleu, Doké et Duékoué, causant des dégâts considérables parmi les populations civiles. Des dizaines de milliers de personnes se réfugient vers les pays frontaliers, notamment le Liberia, fuyant la guerre mais aussi les zones sous contrôle de l’un ou de l’autre camp, où arbitraire, violences et exactions restent le lot quotidien des populations.
Le pays est victime du blocus économique décrété par la communauté internationale, afin d’étrangler financièrement le clan Gbagbo, mais la réalité est tout autre. L’opulence est toujours de mise pour les dignitaires du régime, par contre la situation devient dramatique pour les populations. Les paysans ne peuvent écouler leur production de café et cacao, principale richesse du pays, pour le plus grand plaisir des spéculateurs sur le marché international. La rareté des biens de première nécessité a entraîné un marché noir et une très forte augmentation des prix. Pire, désormais les accès aux soins sont quasiment impossibles comme les dialyses rénales, les trithérapies pour les personnes séropositives, etc.
Des manifestations d’étudiants et de personnels de santé ont eu lieu devant le siège de l’OMS pour attirer l’attention sur la situation sanitaire du pays. Dans quelques semaines, plus aucune opération chirurgicale ne pourra se faire faute de médicaments. Mais cela n’empêche nullement l’Union européenne de continuer d’interdire aux navires civils remplis de denrées et de médicaments d’accoster dans les ports d’Abidjan ou de San Pedro.
L’ONU ne fait qu’aggraver la situation des populations les plus pauvres, déjà victimes de la guerre entre Ouattara et Gbagbo, en refusant de lever l’embargo qui frappe la Côte d’Ivoire. C’est certainement lié au devoir d’ingérence… humanitaire.
Paul Martial
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 96 (31/03/11).
L’ASPHYXIE FINANCIÈRE DU PEUPLE IVOIRIEN
Tous les moyens semblent bons pour faire partir Laurent Gbagbo, dit le boulanger à cause de son habitude de rouler tout le monde dans la farine. Bien que l’option militaire semble de plus en plus lointain, d’autres méthodes plus subtiles sont employées pour faire partir celui qui a été proclamé Président de la République par la cour constitutionnelle ivoirienne. Le camp de d’Alassane Ouattara, l’autre président de la Côte d’Ivoire, déclaré lui vainqueur des présidentielles ivoiriennes de novembre 2010 par la CEI (Commission électorale indépendante) et retranché depuis dans un hôtel d’Abidjan avec son gouvernement, ne compte désormais plus sur une intervention de la communauté internationale. Les heurts de plus en plus violents entre les deux camps doivent nous inquiéter car la Côte pourrait aller tout droit vers la guerre civile. Les images récentes de populations entières fuyant la guerre doivent nous inciter à prendre toute la mesure de ce qui se passe actuellement en Côte d’Ivoire.
Après les menaces d’intervention militaire, l’option de l’asphyxie financière de Gbagbo n’est peut être pas non plus la meilleure des solutions. Le peuple ivoirien sera le seul a en souffrir. La fermeture de la direction nationale de la Bceao en Côte d’Ivoire isole « les opérateurs économiques ivoiriens de la possibilité de mener à bien leurs transactions financières », d’après Blaise Ahouantchédé, le directeur général du Groupement interbancaire monétique de l’Uemoa (Gim-Uemoa) qui promeut la monétique au sein de la zone.
La Côte d’Ivoire, c’est 40% du PIB de la zone Union Économique et Monétaire Ouest Africaine ( UEMOA) et toute asphyxie financière de la Côte d’Ivoire aura une influence certaine sur le reste de l’Afrique de l’ouest. Laurent Gbagbo menace d’ailleurs de créer sa propre monnaie, ce qui n’est pas très compliqué. Il suffit que sa nouvelle monnaie soit adossée au dollar ou encore au yuan chinois ou le Rand sud africain pour que cette option ne soit plus une utopie. Pour tous les Africains qui réclament depuis de nombreuses années la fin du franc CFA, principal outil de domination de l’ex-colon français, ce serait par ailleurs un signal fort que beaucoup soutiendraient. Mais en attendant, les Ivoiriens attendent leurs salaires de février et tirent le diable par la queue pour se nourrir. A-t-on le droit de prendre ainsi en otage tout un peuple à cause de conflits politiciens ? Pourquoi ne recompte t-on pas les bulletins de vote pour être définitivement fixé ? Pourquoi ne pas organiser de nouvelles élections ?
La crise ivoirienne cache certainement plus de choses qu’il n’y paraît. Derrière la guerre entre Ouattara et Gbagbo, il faut aussi voir une nouvelle donne en train de se poser dans ce pays si important pour l’ancien colonisateur français. Est-ce le début de la fin de la Françafrique qui se joue en Côte d’Ivoire et en Tunisie ? Tout, en tout cas, semble l’indiquer mais la vigilance reste de mise car l’impérialisme capitaliste, tel un phœnix a appris depuis des siècles à renaître rapidement des cendres toutes chaudes de la révolution.
Moulzo
Dimanche 20 mars 2011