Tapage médiatique et politique sur le voile en France, loi excluant les collégiennes et lycéennes voilées des établissements publics (loi de 2004), l’élection à la présidence d’un candidat qui aura fait une bonne part de sa campagne sur la menace que les Musulman-e-s représenteraient pour « l’identité » de la France, création du ministère de l’identité nationale et de l’immigration, chasse aux immigré-e-s sans papier-e-s. Au même moment, le gouvernement a cassé les acquis ouvriers, arrachés au terme de longues luttes sociales : l’âge du départ à la retraite a été repoussé, la précarisation croissante du marché de l’emploi fragilise les plus démuni-e-s, la privatisation des services sociaux produit déjà ses effets catastrophiques sur les pauvres et les femmes. La réduction du personnel hospitalier public spécialisé dans l’IVG (interruption volontaire de grossesse), la fonte des subventions de l’Etat aux associations féministes remettent en cause des droits eux aussi conquis suite à d’intenses mobilisations qui remontent à plusieurs décennies. La fonte des effectifs du personnel des établissements scolaires publics risque de dégrader singulièrement la qualité de l’enseignement, au détriment des plus pauvres, qui ne peuvent envoyer leurs enfants dans des établissements privés. Parallèlement, les différentes lois fiscales ont conduit à l’enrichissement des plus riches.
Conscient des effets socialement catastrophiques de ces différentes politiques sur les classes populaires et les classes moyennes fragilisées, et dans le but de préparer le terrain à sa reconduite au pouvoir, Sarkozy lance un débat sur « la laïcité ». En plaçant le projecteur médiatique et politique sur la question de l’islam, la stratégie est évidente : jouer sur les divisions des classes populaires entre ceux et celles qui sont identifié-e-s comme les « Français-e-s de souche » et les « autres ». Parmi ces dernier-e-s, les « musulman-e-s », présenté-e-s comme d’éternel-le-s ennemi-e-s de la « laïcité ». Alors que la loi fondatrice de la laïcité, en 1905 était originellement conçue pour battre en brèche le pouvoir politique de l’Eglise catholique alliée aux monarchistes, elle est devenue depuis les années 2000 une véritable machine de guerre contre les Musulman-e-s, servant toutes les stigmatisations et de multiples discriminations. La loi de 2004, en elle-même scandaleusement inégalitaire, légitime d’autres discriminations : des mères d’écolier-e-s ou de lycéen-ne-s se voient exclues des sorties scolaires au prétexte qu’elles portent un voile.
Cette « laïcité » réactionnaire et discriminatoire réduit progressivement les espaces dans lesquels les Musulman-e-s peuvent exercer des activités sociales.
De l’autre côté, en Tunisie, les militants dits « d’Ennahdha » sont sortis de la clandestinité ou rentrés d’exil. La légalisation de ce parti, si elle est interprétée comme le signe de l’ouverture du champ politique, fait aussi l’objet de multiples inquiétudes. La percée des islamistes tunisiens à partir de la fin des années 1970, leurs réactions violemment machistes contre l’autonomisation des femmes, (pour rétablir la polygamie et la répudiation) ont laissé de bien mauvais souvenirs. Les contradictions constantes des discours de leurs dirigeants (R.Ghannouchi, H.Jeballi) sur les libertés individuelles, les « châtiments corporels », le lien entre le religieux et l’Etat, la transformation des mosquées en espaces de propagande politique, inquiètent les milieux de la gauche tunisienne, auxquels nous nous identifions. Afin de garantir les libertés individuelles, les manifestations en faveur d’une Constitution instituant la séparation du religieux et de l’Etat sont de plus en plus nombreuses. Les attaques contre les manifestations pacifiques en faveur de la laïcité montrent à la fois la réorganisation rapide des militants islamistes et le contre-sens quasi-répandu sur cette revendication.
Nous, héritières de l’immigration tunisienne en France, Franco-tunisiennes résidant en France ou en Tunisie, Tunisiennes vivant en France
Nous qui entretenons des liens affectifs, familiaux et amicaux dans les deux pays :
1) Rejetons dos à dos l’instrumentalisation politicienne de la « laïcité » comme de l’islam. En France comme en Tunisie, nous estimons que les libertés religieuses doivent être garanties sur un pied d’égalité. Croyant-e-s, pratiquant-e-s, non croyant-e-s doivent pouvoir se vivre en harmonie avec leurs choix individuels. La stigmatisation des Musulman-e-s en France a trop duré, elle doit cesser ! La stigmatisation des athé-e-s en Tunisie doit s’arrêter ! On doit pouvoir se dire et s’afficher publiquement comme musulman-e en France, comme athée en Tunisie, sans être insulté-e ou frappé-e !
2) Considérons que les discours politiques des islamistes tunisiens comme de la droite française sont aussi puants l’un que l’autre. Ils s’entretiennent dangereusement. L’utilisation de la « laïcité » par la droite raciste pour dénier des droits élémentaires aux Musulman-e-s nourrit l’hostilité à la laïcité dans la Tunisie actuelle. La « laïcité » est souvent mal interprétée. A cause du « débat » que la droite raciste nous a imposé, beaucoup de Tunisien-ne-s le considèrent comme la chasse à l’islam et aux Musulman-e-s. Non : la « laïcité » n’impose à personne de croire ou de ne pas croire en Dieu, de croire en telle ou telle religion, de pratiquer de telle ou telle façon !
3) En tant que femmes, nous constituons une cible privilégiée de ces discours et de ces politiques réactionnaires. Les uns veulent nous voiler de force, les autres nous arracher nos voiles de force. Les uns nous interdisent de nous marier avec des non-musulmans, les autres nous poussent à nous marier avec des non-musulmans. R.Ghannouchi trouve que les Tunisien-ne-s ne font pas assez d’enfants. Il compte donc nous renvoyer à la maison. A R.Ghannouchi comme à N.Sarkozy, nous disons, dégagez, notre corps nous appartient !
4) En France, nous exigeons l’abrogation de la loi de 2004, et la fin des discriminations contre les Musulman-e-s.
En Tunisie, nous exigeons une Constitution qui institue la séparation du droit et de la religion parce que c’est au nom de l’identité musulmane de la Tunisie que sont justifiées les discriminations qui nous concernent (héritage, filiation, mariage). Nous soutenons sans réserve les revendications pour l’égalité des droits entre les sexes (ATFD, AFTURD, Commission Femmes LTDH, Collectif Maghreb 95 Egalité) aussi bien sur le plan juridique que dans l’application du principe égalitaire. Plus de cinquante ans après l’indépendance, et avec la Révolution de la dignité, il est temps d’abolir les discriminations scandaleuses !
Groupe franco-tunisien du Kolektif degage