Un bilan du système soviétique lors de l’UE 2010 du NPA a montré que ce système n’avait finalement rien apporté de positif durable, aussi bien sur le plan de la démocratie que sur celui de l’économie ou de l’écologique. Il ne faut certes pas jeter le bébé avec l’eau du bain de cette première expérience socialiste à grande échelle, mais il faut néanmoins s’interroger sur la qualité des théories qui ont produit l’eau et des pratiques révolutionnaires qui ont rempli la baignoire.
Il y avait sans aucun doute de bons stratèges dans la conquête du pouvoir chez les bolcheviks, mais quelle en a été l’utilité s’ils n’ont réussi qu’à mettre en place une dictature et un système socio-économique qui a tenu moins de huit décennies ? L’impérialisme est une constante du capitalisme que l’on trouve dès ses origines, ce n’est donc pas un stade particulier de son développement mais seulement un moyen d’assurer l’élargissement de sa reproduction. Le stade ultime du capitalisme correspond à sa mondialisation et elle est, aujourd’hui, en voie d’achèvement. Depuis le début du 20e siècle l’évolution du capitalisme a été considérable, la situation que nous connaissons actuellement présente de profondes différences avec celle de la Russie de 1917. En quoi les recettes stratégiques des bolcheviks peuvent-elles alors servir de guide à la cuisine révolutionnaire d’aujourd’hui ? Ce sont aujourd’hui nos propres recettes que nous devons élaborer et si les pratiques des bolcheviks peuvent être source d’enseignement c’est principalement en analysant les erreurs commises pour ne pas les reproduire.
Dans le programme d’Erfurt dont Engels fit la critique on trouve cette phrase : « Le Parti social-démocrate n’a rien de commun avec ce qu’on appelle le socialisme d’État, avec le système des exploitations par l’État dans un but fiscal, système qui substitue l’État à l’entrepreneur particulier et qui par là réunit en une seule main la puissance de l’exploitation économique et de l’oppression politique ». En approuvant cette phrase, Engels se trouve dans le droit fil de la pensée de Marx qui était lui-même très critique sur la conception lassallienne du rôle de l’État. C’est pourtant ce socialisme d’État que les bolcheviks ont instauré en URSS, un système qui en donnant un pouvoir énorme à un parti unique ne pouvait qu’aboutir à un système bureaucratique portant en germe une dictature.
On peut donc déduire de cette réalité que la meilleure des stratégies révolutionnaires n’est rien si le projet qu’elle supporte est vicié dans sa base économique. L’objectif final du NPA, son projet tel que défini dans ses textes fondateurs, est de construire un socialisme du 21e siècle. C’est dans ce sens que de nombreux anticapitalistes venant des mouvances libertaires et altermondialistes l’ont rejoint. On peut alors comprendre les nombreux départs que nous avons subi non pas seulement sur des divergences stratégiques, mais aussi sur le fait que la question stratégique occulte totalement la question du projet. Quel est l’intérêt d’un parti politique pour les gens : sa stratégie ou son projet ? Si l’on veut faire progresser le parti, attirer de nouveaux militants et sympathisants, croit-on qu’on pourra le faire sur l’attirance de notre stratégie ou sur celle de notre projet ?
La stratégie et le projet ne sont pas des questions indépendantes. C’est en premier lieu la différence de projet qui nous distingue du Front de Gauche, ou du moins devrait nous distinguer car pour l’instant notre absence de projet global empêche beaucoup de travailleurs de faire la différence. La stratégie du PC repose sur son manque de projet en rupture avec le capitalisme. C’est cette démission idéologique qui permet son ralliement à la gestion « de gauche » du capitalisme, mais en même temps c’est ce ralliement qui l’empêche de construire un projet anticapitaliste. Cet exemple met en évidence une dialectique entre stratégie et projet, dialectique confortée par le fait que la communication sur le projet peut directement s’intégrer dans la stratégie.
Dans son texte « 20 défis… » [1], Samuel aborde de nombreux points prétextes à plusieurs débats, je m’intéresserai seulement ici à la première partie : « la société socialiste ». C’est en premier lieu la manière d’appréhender la question qui m’interpelle. En faisant des propositions sur l’économie, la police, l’armée, la démocratie, la république, n’est-on pas en train de chercher à travailler sur un projet « clé en main » ? Je précise que cette remarque n’est pas une « critique facile », mais qu’elle sert à mettre en évidence une difficulté bien connue dès lors qu’il s’agit de travailler sur un projet socialiste révolutionnaire.
Isaac écrit : « On recommence par le milieu, peut-être, mais beaucoup de choses sont à reprendre à zéro » [2], mais où donc serait le milieu dont parlait Daniel ? Certains aspects théoriques et pratiques sont certainement à reprendre à zéro et d’autres à conserver, qu’ils soient anciens ou plus récents, mais y a-t-il un milieu dans l’histoire de la pensée et des pratiques socialistes ? L’important est surtout de repartir sur de bonnes bases. Je pense que nous serons tous d’accord pour conserver cette découverte de Marx qu’un système socio-économique repose sur une base économique et que c’est sur cette base que se construisent les superstructures. L’armée, la police, les institutions font parties des superstructures or dans son texte Samuel met sur le même plan la base économique et les superstructures. A une base économique donnée correspondent des superstructures policières, militaires et institutionnelles adaptées, d’où l’importance première que l’on doit accorder à la question de la (non)propriété du capital qui est le fond de la base économique. C’est un point où il ne doit pas y avoir de flou ou de confusion car c’est celui qui sert de support pour déterminer ensuite le rôle et la fonction des superstructures. En ce sens, la bureaucratie soviétique n’était pas un accident de parcours mais découlait logiquement d’une base économique fondée sur la propriété d’État.
Samuel pose la question de la propriété du capital au niveau de sa répartition entre différents acteurs économiques. Cela signifie-t-il que le socialisme peut se construire sans l’abolition de cette propriété ? D’autre part, sur la base de quels critères un moyen de production et d’échange serait-il suffisamment « grand » pour être socialisé ? Et d’ailleurs qu’entend-on par « socialisé » , quelles différences entre « étatisés » et « socialisés » ?
« La tendance du marché concurrentiel est d’accumuler du capital. » Certes, si ce marché est capitaliste, seulement pourquoi un marché concurrentiel serait-il forcément capitaliste ? Le discours dominant nous a tellement matraqué l’idée que le marché était obligatoirement capitaliste que même des gens avertis s’y sont laissés prendre. On peut tout à fait penser un système concurrentiel entre des entreprises autogérées, entreprises sous statut de type associatif et financées par du crédit public, système qui conserverait les avantages qu’apporte le marché concurrentiel tout en rendant impossible toute accumulation de capital.
Ces quelques remarques devraient suffire pour montrer que cette question essentielle est bien plus complexe que semble le penser Samuel. Elle est un point de clivage historique entre les révolutionnaires libertaires et étatistes qui, à mon avis, pourrait aujourd’hui trouver des réponses satisfaisantes pour tous. Sa résolution impose une réflexion collective méthodique dans le cadre d’un groupe de travail (socialisme du 21e siècle) du NPA.
Michel Lasserre
Le 24/04/2011