Introduction d’"Ecologie 100% à gauche
A l’origine de cette marche se trouve le Plan Hydrologique National espagnol (PHN) qui prévoit la construction de plus d’une centaine de nouveaux barrages et d’un grand transvasement de l’Ebre vers le Sud du pays. S’était sans compter sur une opposition populaire et déterminée à ces projets dévastateurs pour l’environnement. La marche bleue européenne partie du Delta de l’Ebre le 11 août se clôturera par une grande manifestation à Bruxelles le 9 septembre.
La Marche Bleue à Bruxelles est une initiative de la Plate-forme de Défense de l’Ebre où participent COAGRET (la coordination des communautés affectées par les projets), nombre de groupes écologistes, d’universitaires, de syndicats et presque tous les partis politiques à l’exception du Parti Populaire. Après les mobilisations massives contre le PHN de Saragosse en octobre 2000 et de Barcelone et Madrid au printemps dernier, la marche a pour objectif de porter au siège de l’Union Européenne l’opposition citoyenne contre le PHN. Elle demande le blocage des financements de l’UE et revendique un nouveau plan hydrologique « qui gère la demande de cette ressource rare et qui la distribue de façon soutenable en cohérence avec la Directive Européenne des Eaux, récemment approuvée dans l’Union Européenne (UE) ».
Le parcours de la marche laisse une place importante au passage en France, avec par exemple une étape en Haute-Loire, où l’on se souvient de la lutte victorieuse contre le projet de barrage de Serre de la Fare. Une rencontre symbolique entre le Delta de l’Ebre et celui du Rhône est prévue à Arles, où se tient l’Université d’été d’ATTAC, et sera aussi l’occasion de dénoncer un autre grand projet européen de détournement de l’eau, du Rhône vers Barcelone (657 million de m3/an). La marche s’arrêtera ensuite en région parisienne du 31 août au 4 septembre avant de rejoindre l’Allemagne puis les Pays-Bas.
site web :
http://www.marchabruselas.com/
http://www.rivernet.org/marchebleu/index_f.htm
A notre avis
Par son ampleur et ses revendications, centrées sur l’application de la directive sur l’eau adoptée fin 2000, le vaste mouvement qui se dresse contre le PHN espagnol constitue une tentative nouvelle d’intégration effective des préoccupations écologistes dans la construction européenne. Toute réformiste qu’elle soit, tant par ses composantes en Espagne que par ses relais institutionnels en France (réception par la nouvelle majorité municipale à Lyon et par le conseil général du Val de Marne), cette tentative ne vient pas « d’en haut », mais bien « d’en bas », des populations mobilisées, dans un refus démocratique d’une politique imposée par la dictature des marchés qui s’étend bien au-delà du problème de l’eau. Pour Attac Essonne le lien s’établit spontanément : « dire non ! : c’est les LU ! » peut-on lire dans le tract qui appel à accueillir les marcheurs. Lobbies du « bétonnage », multinationales de l’eau, agro-business exportateur... voilà les profiteurs qu’il faut affronter. Ceux là, aucune directive de l’UE ne suffira à les atteindre, et pour cause, l’Europe libérale qu’on veut nous imposer est pour l’essentiel taillée à leurs mesures ! L’Europe sociale et écologique ne se construira pas sans une rupture avec les institutions antidémocratique de l’UE.
Bernard Cavern
L’eau au service de la spéculation urbano-touristique
L’article ci-dessous, de Roberto Epple, a été publié sur le site internet d’ European Rivers Network (ERN) qui présente les raisons de l’opposition au PHN.
En septembre 2000, le gouvernement espagnol a présenté son Plan Hydrologique National (PHN). Ce plan prévoit la bagatelle de 119 milliards de francs d’investissements durant les huit prochaines années, avec la construction de 118 barrages. 28 milliards de francs supplémentaires serviront pour le transfert de 1.050 hectomètres cubes par an depuis l’Ebre vers l’arc méditerranéen. On envisage également le transfert de l’eau du Rhône, condition imposée par le gouvernement catalan pour soutenir le projet.
Pour Madrid, il faut rendre l’accès à l’eau plus démocratique. 70% de l’eau disponible se concentre dans le nord. L’arc méditerranéen et l’Andalousie, où se concentrent le tourisme et l’agriculture intensive irriguée, regroupent 55% de la population mais dispose seulement de 23% de l’eau. Le PHN optimiserait l’utilisation d’une ressource naturelle fondamentale.
Ce plan, certainement le chantier hydrologique le plus vaste jamais envisagé en Europe occidentale, a soulevé une énorme polémique en Espagne où des grandes manifestations ont réuni 400.000 personnes à Saragosse, capitale de l’Aragon (source de l’eau destinée au zones sèches), 250.000 à Barcelone et à Madrid.
Le PHN aura d’énormes impacts sociaux et environnementaux. L’Espagne est déjà le pays du monde avec le plus grand nombre de barrages par habitant et par km2. Le long de la Méditerranée il y a un processus incontrôlé de spéculation urbano-touristique et de production agricole intensive. Cela profitera à de grandes entreprises qui n’ont pas vraiment soif, sauf d’encore plus de richesses. Les régions concernées sont Murcia, Alicante, Almeria et Valencia et puis aussi l’aire de Barcelone. Tout cela pour implanter des golfs au milieu du désert. Il ne s’agit pas d’un aménagement du territoire qui assurerait une urbanisation durable, mais de la spéculation.
Madrid explique que les agriculteurs ont besoin de l’eau, mais en réalité l’agriculture est le prétexte, car ces transferts d’eau vont surtout alimenter un marché et l’eau ira à celui qui paye le plus. Même les exploitations agricoles les plus intensives n’offreront pas la moitié du prix proposé par les entreprises urbano-touristiques. En plus c’est un modèle d’agriculture très discutable, basé sur des salaires très bas et sur l’exploitation des immigrés illégaux et légaux, une agriculture très polluante et non durable.
Le transfert de l’eau de l’Ebre jusqu’en Andalousie coûterait environ 150 pesetas par m3, alors qu’actuellement il ne coûte que 40 pts. Ce projet peut seulement se faire avec de l’argent public. Pour le Rhône cela coûterait 120-140 pts./m3, soit le double du coût de la désalinisation de l’eau de mer.
Le gouvernement argue que la population de ces régions a le droit de consommer autant d’eau que les habitants de Paris ou Berlin, car nous sommes tous européens, mais c’est une grande manipulation. Derrière le plan on trouve bien sûr les lobbies traditionnels du béton et de l’hydroélectrique, mais il y a un nouvel intérêt qui apparaît. Depuis l’adoption d’une nouvelle loi sur l’eau proposée par le Parti Popular en 1998, la gestion des eaux urbaines a été privatisée. Les marchés d’eau pour les villes sont devenus très importants et les grandes entreprises françaises sont fortement impliquées sur la côte méditerranéenne.
L’impact environnemental sera énorme. 100 nouveaux barrages représentent 100 vallées inondées, chacune avec des villages habités, et certaines sont parmi les dernières rivières sauvages en Europe. En octobre dernier, il y a eu une grève générale dans toutes les Pyrénées Centrales. Les gens refusent de quitter leur village, comme dans le temps de Franco « a punta de pistola ». Le delta de l’Ebre est le deuxième patrimoine en biodiversité d’Europe. Si on enlevait 1000 hectomètres cubes par année, le désastre serait garanti.
Le gouvernement veut avancer très vite avec le PHN. Il vient de faire adopter une loi au parlement qui est complètement contradictoire avec la Directive Cadre sur l’eau de l’Union Européenne qui doit être intégrée dans la législation espagnole en 2004. Pour Madrid il reste trois ans pour réaliser ce projet sans cette contrainte. C’est très dangereux. Si Bruxelles accepte que des fonds européens sont utilisés pour le PHN, les travaux commenceront, et on verra l’inondation de dizaines de vallées et la destruction des rivières pyrénéennes.
Selon le président du gouvernement aragonais, « demain, 80% du territoire espagnol, c’est à dire tout le centre, risque d’être transformé en une espèce de tiers-monde intérieur fournissant la matière première et la main-d’œuvre à un arc méditerranéen asphyxié par un développement trop intensif. Nous sommes en train d’assister à une désertification démographique de zones entières de l’Espagne. »
Ce n’est pas un débat seulement espagnol. Madrid attend que Bruxelles finance une bonne partie du projet. C’est pour cela que le débat doit s’élargir à toute l’Europe. Le Congrès Ibérique de Gestion de l’Eau, qui regroupe 70 universités, a transmis à Bruxelles des critiques très sévères, en demandant une nouvelle culture de l’eau qui ne repose pas sur le béton subventionné mais sur une bonne gestion et sur la conservation des ressources.
(d’après un entretien accordé à Radio Zinzine par Pedro Arrojo, professeur d’économie à l’université de Saragosse et président du Congrès Ibérique de Gestion de l’Eau)