Dans le n° 184 de solidaritéS, un chapitre de notre dossier consacré aux révolutions du monde arabe (et notamment à la situation en Libye) relevait le caractère problématique des positions prises par différents gouvernements de gauche latino-américains (dont celui de la République bolivarienne du Venezuela) [1]. D’aucuns ont pu invoquer un supposé manque d’information (largement lié à la nature étroitement étatique des relations entre ces gouvernements et ceux du monde arabe). Toutefois, certains événements plus récents, concernant l’aire géographique latino-américaine, se révèlent tout aussi problématiques. Quelques exemples valent mieux que de longs commentaires.
Le 9 avril 2011, une rencontre au sommet s’est tenue entre le président colombien Juan Manuel Santos et le vénézuélien Hugo Chávez. De manière impromptue, le président post-putschiste du Honduras, Porfirio Lobo, successeur du putschiste Roberto Goriletti y a été associé. Ce rendez-vous a débouché sur l’ouverture d’un processus de médiation, censé résoudre la « crise politique hondurienne » consécutive au coup d’Etat du 28 juin 2009 contre le président Manuel Zelaya.
Par ailleurs, l’application unilatérale par le Venezuela d’un accord de sécurité – secret jusqu’ici –, conclu en 2010, avec la Colombie, a entraîné la déportation vers ce pays de plusieurs militant-e-s présumés des FARC (Force armées révolutionnaires de Colombie) ou de l’ELN (Armée de libération nationale), capturés au Venezuela. Enfin, l’arrestation à Caracas, le 23 avril dernier, du journaliste suédo-colombien Joaquin Pérez Becerra, directeur de ANNCOL (Agencia de Noticias Nueva Colombia), une agence de presse indépendante constitue un incident d’une extrême gravité. En effet, deux jours plus tard, il était été déporté vers la Colombie sur ordre du gouvernement vénézuélien en violation du principe de l’habeas corpus.
Ces événements se situent apparemment dans le cadre d’une stratégie de « détente » avec la Colombie. Si l’on peut comprendre que l’Etat vénézuélien ne veuille pas être impliqué dans le conflit intérieur colombien ou, pire encore, dans une guerre régionale (que prépare la présence de sept bases militaires US en Colombie), la complaisance de Chávez envers son « nouvel ami » colombien, Juan Manuel Santos, est choquante. Coupable d’innombrables violations des droits humains depuis des années, le régime colombien a accédé en avril 2011 à la présidence du Conseil de sécurité de l’ONU, sans que le Venezuela – candidat, il y a quelques années à la même instance et contrecarré alors par la diplomatie états-unienne – n’y fasse objection…
La médiation Chávez-Santos au Honduras (même acceptée par le Front national de résistance populaire, FNRP) n’est en effet pas sans danger. Le régime hondurien veut rompre son isolement international (en réintégrant l’Organisation des Etats américains, OEA) et surmonter sa crise énergétique, liée aux problèmes d’approvisionnement pétrolier générés par sa rupture avec l’ALBA et PETRO-CARIBE (mis en place par le Venezuela), tout en continuant à réprimer brutalement le mouvement populaire. Mais Juan Manuel Santos va-t-il faire évacuer de ce pays les paramilitaires colombiens « démobilisés », importés par les oligarques locaux, qui sévissent notamment dans dans la vallée de l’Aguán ? Rien n’est moins sûr.
Quant aux nouveaux rapports « sécuritaires » entre le Venezuela et la Colombie, ils bafouent non seulement la solidarité anti-impérialiste, mais aussi le droit international et les Conventions de Genève, comme le montre aujourd’hui l’extradition de Joaquin Pérez Becerra. Directeur de l’agence de presse alternative ANNCOL, rescapé de la liquidation physique du parti Unión Patriótica par l’armée et les paramilitaires (sa femme a trouvé la mort dans un attentat), J. Pérez s’était réfugié en Suède, dont il avait acquis la nationalité en 2001, en renonçant au passeport colombien. Son arrestation au Venezuela, ldont il était un ardent défenseur et où il s’était rendu, sans problèmes en 2009 et en 2010, a été justifiée par un prétendu mandat international « rouge » d’Interpol, dont il n’a curieusement jamais été question lors de ses autres voyages à l’étranger... En réalité, c’est Santos, comme il l’avoue lui-même, qui a demandé à Chávez l’arrestation et l’extradition de J. Pérez, qu’il présente comme un « gros poisson des FARC ».
Tomas Andino Mencia (militant révolutionnaire hondurien) le rappelait récemment : « En jouant le pompier dans les processus insurrectionnels d’Amérique latine, Chávez affaiblit à long terme son propre projet bolivarien. Car son ‘meilleur ami’ n’est pas le gouvernement fasciste colombien – qui au moment le plus inattendu lui plantera un couteau dans le dos -, mais les mouvements de libération des peuples latino-américains, les seuls disposés à verser leur sang pour défendre la révolution bolivarienne » (notre trad. sur le site www.solidarites.ne2).
Dans l’immédiat, solidaritéS se joint aux nombreux appels (émanant y compris du Venezuela) pour réclamer la libération immédiate du journaliste suédois Joaquin Pérez Becerra, ainsi que la réouverture du site Internet de ANNCOL, saboté ou fermé en Suède – sur l’ordre de qui ? – depuis le 25 avril 2011.
Hans-Peter Renk & Alfredo Camelo