Quasiment tous les dirigeants actuels du LPP, y compris les dirigeantes, ont été emprisonnés sous le régime Musharraf en raison de leur engagement dans les luttes pour les droits démocratiques et les droits des ouvriers et des paysans. Mais le LPP a réussi à maintenir son espace politique et a refusé d’être réduit à la clandestinité.
Indépendance des mouvements sociaux
Contrairement aux partis de la gauche traditionnelle qui ont construit des organisations contrôlées par eux, depuis sa création le LPP s’est donné pour but d’apporter de l’aide au développement des mouvements sociaux indépendants ainsi que des organisations ouvrières et paysannes. Ainsi il n’y a pas de syndicat dépendant du LPP, mais au contraire nous avons soutenu le développement de la Fédération nationale des syndicats (NTUF), constituée en 1998, et nous avons également contribué à la construction de la Confédération ouvrière du Pakistan (PWC) depuis ses débuts en 1994.
Lahore. Militants du LPP rassemblés devant une gare d’autobus pour protester contre l’augmentation des tarifs de transports et appelant la population à continuer à payer l’ancien tarif.
De même, le LPP n’a pas une organisation paysanne qui lui serait soumise. Il apporte son soutien au mouvement paysan Anjaman Mozareen Punjab dans les fermes militaires et, en 2003, il a aidé au rassemblement de 22 organisations paysannes ayant constitué le Comité paysan de coordination du Pakistan (PPCC), uni sur la base d’une plate-forme commune.
Depuis 2000, le LPP a soutenu le développement de la Women Workers Help Line (WWHL, Réseau d’aide des femmes travailleuses), qui est devenue la première organisation que beaucoup de femmes travailleuses ont rejointe.
Le LPP a également soutenu en 2003 le développement d’une organisation de jeunes, le Front progressiste de la jeunesse (PYF), qui a fait une réelle percée chez les jeunes. En 2000, le LPP a consacré de l’énergie pour aider à la fondation de la Fédération nationale des étudiants (NSF) et nous continuons à aider ce courant ancré traditionnellement à gauche à se développer pour devenir une grande organisation étudiante.
Cette orientation consistant à soutenir et à développer l’indépendance des mouvements sociaux a été une caractéristique distinctive du LPP. En 1992, au cours des discussions dans le Groupe de lutte — le prédécesseur du LPP — nous avons pris la décision d’aider à la construction des mouvements sociaux et même d’initier et de consolider les organisations sociales indépendantes. Nous avons ouvert des écoles pour les enfants qui travaillent et, avec l’aide du Syndicat suédois des enseignants, nous avons développé ce réseau. D’autres syndicats et organisations progressistes de Suède nous ont aidé à lancer plusieurs autres projets, qui vont depuis l’organisation de nouveaux syndicats, en passant par la mise en place d’un Centre de ressources syndical — qui réalise des documentaires vidéo sur le syndicalisme, jusqu’à des campagnes en faveur de la paix et de la démocratie. Ce travail a été coordonné par la Fondation pour l’éducation, devenue depuis la Fondation du travail pour l’éducation (Labour Education Fundation, LEF). A partir de 2000, la LEF s’est imposée comme une organisation sociale indépendante et joue un rôle vital pour le développement du mouvement syndical au Pakistan.
Aux origines du LPP
Revenons en arrière : en 1992 le Groupe de lutte a rejoint le Comité d’action commun pour les droits populaires de Lahore (JAC) au moment de sa fondation et ces relations de coopération se sont poursuivies lors de la fondation du LPP. Et bien qu’au milieu des années 1990 le LPP fut l’objet de nombreuses attaques de la gauche, le présentant comme un « parti des ONG », nous avons refusé la polémique, espérant que notre pratique sera la meilleure des réponses.
La stratégie du LPP de construction des réseaux et des alliances incluait aussi l’unité de la gauche au Pakistan. Nous avons fait partie des coalitions Awami Itehad en 1997, puis de Awami Jahoori Tehreek (2006) et nous faisons partie aujourd’hui du Comité de coordination des partis progressistes.
Les militants du LPP ont été actifs dans la construction d’autres réseaux, aux côtés de ceux d’autres groupes de gauche et des mouvements sociaux, tel le comité contre la guerre (1991) ou l’Alliance contre les privatisations (2005). Depuis 1996 nous organisons chaque année le festival Faiz Ahmad Faiz Amn Mela. Le poète révolutionnaire Faiz Ahmad Faiz a inspiré des millions de gens dans le sous-continent indien et dans le monde entier. Un des poètes ourdou les plus respectés, il a consacré toute sa vie à la gauche et au mouvement pour la paix.
Nous pensons qu’il est important d’apprendre à travailler ensemble dans un pays où ceux qui s’opposent activement à toute perspective socialiste sont nombreux et où certains refusent même de s’écouter. Il est important d’être en même temps ferme sur les principes et très flexible tactiquement. Cela signifie que nous exprimons nos opinions, même en étant en désaccord avec d’autres, mais que nous travaillons pour maintenir des rapports cordiaux.
Regagner l’espace politique
Après avoir lancé le LPP sur Facebook, en 24 heures nous avions reçu des réponses de plus de 200 amis. Lancée le 19 janvier 2010, notre page Facebook en attire chaque jour davantage.
La LPP a aussi construit depuis 2004 un groupe de courrier électronique sur Yahoo, appelé Nouvelles socialistes du Pakistan, connu sous son sigle SPN. Avec plus de 5400 membres, c’est le plus grand réseau électronique pakistanais d’informations et de débats politiques, devenu une référence pour les forces progressistes non seulement au Pakistan mais aussi à l’échelle internationale.
En 2002 le website du LPP était le site politique le plus consulté au Pakistan. Si le développement des sites politiques lui a ravi cette première place, il continue à être largement consulté, restant une bonne source d’informations sur le syndicalisme, le mouvement paysan et les opinions progressistes.
Depuis 1997, les militants du LPP publient un magasine en ourdou, Mazdoor Jeddojuhd, mensuel durant dix-sept ans, puis hebdomadaire. Il dispose d’une édition imprimée, financée par les abonnements, et son édition électronique est largement lue au Pakistan et dans le monde.
Le LPP est fier du bilan de sa vie démocratique interne. Nous avons tenu tous nos congrès aux moments opportuns et notre cinquième congrès a eu lieu les 27-29 janvier 2010. Pour la première fois, ce congrès a été conclu par un meeting massif. Deux mouvements de travailleurs et de paysans se sont associés à nous pour l’organisation de cet événement, en espérant organiser ainsi le plus grand rassemblement des forces de gauche dans la province du Pendjab.
Tous ces événements ont lieu alors que les grands partis des riches ont délaissé le peuple travailleur au Pakistan, laissé à la merci de l’exploitation du soit-disant marché libre et de l’agression impérialiste. Les prix grimpent alors que les salaires n’augmentent pas.
Les partis religieux de droite apportent un soutien politique total à toutes les actions violentes des fanatiques religieux, menées sous le prétexte de « lutte contre l’impérialisme ». Les attaques quotidiennes des drones états-uniens permettent à ces fanatiques de trouver une justification politique pour poursuivre leurs agissements. L’espace pour une politique progressiste a été réduit par le conflit entre les partis de droite au service des riches et les fondamentalistes religieux. Le congrès du LPP et la conférence de masse des ouvriers et paysans sont une tentative d’arracher cet espace perdu. Il s’agit d’un début. C’est notre réponse à la croissance du fondamentalisme religieux. Les mobilisations de masse de la classe ouvrière vont renforcer sa voix et l’aideront à contester la droite. Le LPP engage tous les moyens matériels pour financer ces événements, mais il n’a pas de riches bailleurs de fonds. Nous avons réussi une souscription de près d’un million de roupies (8 500 euros) et une souscription de trois millions de roupies (25 600 euros) est encore en cours [1] pour pouvoir faire face aux dépenses nécessaires à la mobilisation sociale.
Importance de la solidarité internationale
Le LPP considère comme essentielle sa participation à des mouvements et à des alliances internationales et régionales. Il fait partie du mouvement antimondialisation et il a aidé à construire au Pakistan les mobilisations et manifestations anti-impérialistes internationales. Nos militants ont participé à tous les Forums sociaux mondiaux depuis celui de Mumbai, en 2004. Nous avions pris part à la construction du Forum social pakistanais et, en 2006, à l’organisation du Forum social mondial à Karachi.
Au cours de sa première année le LPP avait fait partie du Comité pour une Internationale ouvrière (CWI-CIO), qu’il a quitté. Depuis il a établi des liens étroits de coopération avec plusieurs tendances, groupes et mouvements internationaux, dont le Parti socialiste démocratique (DSP) d’Australie, le Parti socialiste écossais, la IVe Internationale ainsi que la LIT et l’UIT d’Amérique latine. Avec d’autres organisations et militants qui ont quitté le CWI-CIO, il a formé un groupe socialiste de débats. Nous avons également établi des liens avec les syndicats de Suède et, plus tard, avec les sections du Parti social-démocrate suédois de Göteborg et de Kalmar. En 2004 le LPP est devenu observateur permanent aux réunions de direction de la IVe Internationale.
L’influence de la gauche s’accroît
Deux jours durant le Ve Congrès du LPP a contribué à faire avancer le processus révolutionnaire au Pakistan. Il a réuni des camarades issus de différentes traditions et tendances en vue de débattre de la construction d’un parti ouvrier de masse, indépendant de l’influence des capitalistes et des féodaux. Ce fut une expression de la bravoure et de l’influence croissante de la nouvelle gauche au Pakistan.
Plus de 140 délégué-e-s et quelques observateurs, représentant les 7263 membres du LPP ont examiné les aspects politiques et organisationnels du parti. Pour la première fois ils représentaient le Sind, le Pendjab, le Baloutchistan, le Gilgit-Baltistan, le Siraiki Waseeb, le Pachtounkhawa et le Cachemire. Il y avait les dirigeants des syndicats, des mouvements sociaux, des mouvements de paysans et de travailleurs, tous désireux d’apprendre les uns des autres et de discuter leur orientation future.
Les camarades ont voyagé de nuit pour arriver au Centre pour la paix et l’harmonie de Faisalabad, administré par une organisation sociale et permettant la tenue d’un congrès résidentiel. Sur le chemin, un délégué du Baloutchistan a été blessé dans un accident ferroviaire et a dû être hospitalisé.
Trois camarades ont présidé le congrès, qui a commencé par deux minutes de silence à la mémoire de sept camarades n’étant plus avec nous depuis le quatrième congrès : Abdullah Qureshi (tué dans un attentat-suicide à Swat, le 9 Décembre 2007), Jilal Shah (mort en 2008) , Master Khudad (tué dans un attentat-suicide à Peshawar en octobre 2009), Rehana Kausar, Najma Khanum et Abdul Salam Salam (morts dans un accident de la route en décembre 2009). Les délégués ont pris connaissance des messages de solidarité de la IVe Internationale, de la LCR du Japon, du PC de Cuba, du NPA de France, de l’ISO des États-Unis, du PC de l’Inde (M-L), de l’Association indépendante de juristes de Grande-Bretagne, du RSP d’Australie, du Comité d’action des consommateurs du Pakistan, du groupe de solidarité avec les peuples de l’Asie du sud-est de Toronto, de l’Action Aid International, de Workers International Network, de SAAPE et de l’OCI de Grèce.
Les projets de documents sur l’orientation nationale et internationale du LPP — pas moins de 120 pages — ont été présentés.
La discussion internationale a été introduite par un rapport de Farooq Tariq, expliquant les fondements de la crise capitaliste internationale, du désastre écologique et de l’occupation impérialiste de l’Irak et de l’Afghanistan. Il a souligné le déclin du réformisme et la montée du fondamentalisme islamique. Y a-t-il une issue ? Quelles sont les forces qui peuvent sauver la planète et défier le nouveau visage de la contre-révolution ? Où, en Afrique, en Amérique latine et en Asie peut-on voir un défi à la mondialisation impérialiste ? Il a présenté l’état de la lutte des classes et ses perspectives, mettant l’accent sur le rôle des femmes ainsi que sur la nécessité de renforcer les liens internationaux en tant qu’élément indispensable pour préparer la révolution future. Dans le cadre de la discussion, où une bonne dizaine de délégués ont enrichi le rapport, Pierre Rousset (NPA, France) et Simon Butler (Alliance socialiste, Australie) sont intervenus sur la crise et le changement climatique. Intervenant au nom de l’Organisation afghane révolutionnaire du travail (ALRO), Arif Afghani a souligné l’aggravation des conditions sociales et économiques des masses afghanes. Notons que ne pouvant être présent, le secrétaire général du PC de l’Inde (marxiste-léniniste), Dipankar Bhattacharya, a adressé un message au Congrès, où il écrivait notamment : « Il est impératif pour la gauche, tant en Inde qu’au Pakistan, de résister à la conception impérialiste et de travailler sans relâche pour la paix, la coopération et l’amitié bilatérales. Le PCI (ML) et le LPP ont des antécédents d’initiatives communes et d’échanges mutuels en vue de cet objectif et nous sommes certains que dans les jours à venir nous serons en mesure de renforcer encore nos liens de camaraderie et de vaincre les desseins de nos gouvernements pro-impérialistes. »
Perspectives du LPP
Le débat sur les perspectives du LPP a été introduit par Farooq Ahmed. Il a souligné la similitude entre la politique du gouvernement civil actuel et celle du régime militaire du général Pervez Musharraf et insisté sur le fait que la montée de l’intégrisme religieux constitue une menace directe pour les organisations de la classe ouvrière. L’agression impérialiste de Washington et les attaques quotidiennes des drones alimentent l’attrait populaire pour le fanatisme religieux. Farooq Ahmed a fait également valoir que si l’actuel gouvernement civil fait beaucoup de bruit au sujet d’un possible coup d’État militaire, c’est dans le but de dissimuler sa politique antipopulaire. Mais même s’il y a peu de probabilités dans un avenir proche d’un changement du mode de domination, la meilleure défense du gouvernement civil consisterait en une politique d’augmentation du niveau de vie des masses.
Plus de 30 camarades sont intervenus dans ce débat, présentant divers aspects de la situation politique et économique au Pakistan et approfondissant l’analyse. La question nationale, la montée du fondamentalisme religieux, les politiques économiques impérialistes et la baisse du niveau de vie des masses ont été analysées.
C’est le camarade Nisar Shah qui a introduit le débat sur les perspectives organisationnelles du LPP. Il a insisté sur la croissance significative du parti depuis son précédent congrès en 2007. Pour la première fois le LPP est présent sur l’ensemble du territoire pakistanais, y compris au Baloutchistan, au Gilgit-Baltistan et dans les régions tribales du nord-ouest. La croissance la plus importante a eu lieu dans Phuktoon Khawa, où le LPP compte actuellement plus de deux mille membres. Il a mis l’accent sur la nécessité de développer les cercles d’études et les écoles de formation pour garantir l’intégration des nouveaux membres.
En second lieu, en insistant sur sa corrélation avec la croissance du parti, il a mis l’accent sur le rôle du LPP dans le développement du mouvement ouvrier et des mouvements sociaux. L’encouragement de la solidarité entre les régions et de la solidarité internationale, la participation active dans les mobilisations anti-impérialistes y jouent un grand rôle.
Avant l’ouverture de la discussion générale, les secrétaires du LPP du Sind, du Baloutchistan, du Pukhtoon Khawa, du Pendjab et du Siraiki Waseeb ont présenté des rapports provinciaux pour compléter le rapport général. Un amendement statutaire changeant le nom de l’instance dirigeante de Comité national en Comité fédéral a été adopté à l’unanimité. Un autre amendement, proposant de réunir le Comité fédéral deux fois par an au lieu de trois a été rejeté, 31 membres du Comité fédéral — dont neuf femmes — ont été élus à bulletin secret (il y avait 37 candidatures). Le Comité fédéral a tenu sa première réunion et a élu en son sein le Comité exécutif fédéral, qui est la direction quotidienne du parti. Nisar Shah a été élu (pour la seconde fois) secrétaire général, Farooq Tariq — porte-parole, Bukshall Thallo — secrétaire à l’Education et à la Culture, Nisar Lighari — secrétaire à la Jeunesse, Nasir Mansoor — secrétaire au Travail, Mehr Abdul Sattar — Kissan (secrétaire à la Paysannerie). L’élection de la secrétaire du Travail féminin a été reportée à la réunion suivante.
Rassemblement historique des ouvriers et paysans
Le 29 janvier, une conférence internationale des ouvriers et paysans s’est tenue à Faisalabad, la troisième ville du Pakistan. Elle a été organisée conjointement avec le Labour Qaumi Movement (LQM) et le Anjaman Mozareen Punjab (association des locataires), les deux organisations ouvrières et paysannes les plus actives dans le district de Pendjab, dont l’activité a capté l’imagination de milliers de gens. Les dirigeants des deux mouvements avaient participé la veille au congrès du LPP en tant que délégués. C’était la première fois que ces deux mouvements agissaient dans l’unité. Plusieurs autres organisations sociales, dont South Asia Partnership (SAP), l’Institut pakistanais de recherche et de formation (PILAR), Patan Taraqiyati Tanzeem, Women Workers Help Line (WWHL), ont également mobilisé les femmes et on comptait plus de mille participantes. On remarquait les paysannes des Fermes militaires Okara et des travailleuses de divers usines.
Les militants du LQM ont travaillé jour et nuit pour couvrir toutes les voies. Normalement, seuls les partis riches peuvent rassembler assez de ressources pour décorer ainsi la ville, mais cette fois-ci la détermination militante a permis de rendre visible le message du nouveau mouvement ouvrier et paysan. Les bannières, les affiches et les slogans inscrits à la craie sur les murs étaient partout. Le fameux défilé de Dhabi Ghat était couvert d’une mer de drapeaux rouges. De nombreux stands d’éditeurs de gauche rappelaient les années 1960. Durant les deux semaines qui ont précédé la conférence, la ville était décorée des drapeaux rouges du LPP et du LQM
L’arrivée massive des paysans de divers districts, dont Lahore, Okara, Depalpur, Renala Khurd et le domaine militaire de Kumala, était impressionnante. Après avoir parcourus le pays, plus de 3 000 paysans sont arrivés en cortège, habillés de manière traditionnelle et portant des tambours Dhool Damaka.
Défi tenu
C’était un véritable défi que de tenir une conférence massive alors que les attaques suicidaires et les explosions de bombes sont quotidiennes. Pour les classes opprimées, c’était aussi le symbole qu’elles peuvent s’unir et compter sur leur propre direction. Mis à part les rassemblements religieux, il y a longtemps qu’autant d’ouvriers et de paysans ne s’étaient ainsi rassemblés au Pendjab. A la fin de la conférence, un jeune ouvrier de Faisalabad m’a dit : « Je suis venu ici pour voir ce que c’est qu’une conférence des ouvriers et des paysans. Maintenant j’ai le téléphone de Maina Abdul Qayum, le dirigeant du LQM. Je vais organiser les travailleurs dans mon usine. » Il n’y avait pas de syndicat dans cette usine textile jusqu’à maintenant…
Pourtant la conférence se tenait dans une atmosphère tendue et seulement les militants ont osé s’y rendre. Les autorités locales s’étaient préparées à des attentats, installant des portes de sécurité, des ambulances et des véhicules des pompiers autour du lieu de la conférence. Dix mille personnes y ont pris part, alors que nous en espérions le triple. Mais beaucoup de sympathisants locaux avaient eu peur des attentats et n’ont pas osé venir.
Les deux mots d’ordre principaux de la conférence concernaient la délivrance à tous les travailleurs de l’industrie des cartes de sécurité sociale et la garantie de la propriété des terres aux paysans des Fermes militaires. Les slogans mettaient en avant la solidarité et la révolution : « Travailleurs du monde entier, unissons-nous ! », « La douleur de l’un c’est la douleur de tous ! », « Vive la solidarité de la classe ouvrière ! », « Ceux qui cultivent doivent semer ! », « L’Asie est rouge ! », « Encore un effort pour faire tomber les murs ! », « Le socialisme est la seule réponse ! », « La révolution est notre voie ! », « Notre stratégie, c’est la lutte ! », « Propriété de la terre ou la mort ! », « Les droits syndicaux sont nos droits humains ! », « Donnez-nous des cartes de sécurité sociale ! », « A bas le capitalisme et le féodalisme ! », « Non au FMI et à la Banque mondiale ! », « A bas l’impérialisme américain ! », « Non aux attaques des drones et au fondamentalisme religieux ! », « Pour un Pakistan pacifique et démocratique ! », « Droits égaux pour les femmes ! », « Non aux lois discriminatoires ! », « Arrêtez la violence, donnez une chance à la paix ! »
Les orateurs et oratrices, venus de tout le Pakistan, mais aussi de France (Pierre Rousset pour le NPA), de Grande-Bretagne (Nasim Bajwa, un éminent avocat des droits humains) et d’Australie (Simon Butler de l’Alliance socialiste), ont souligné le caractère indispensable de l’unité des ouvriers et des paysans pour vaincre la politique des riches et des féodaux. Ils ont exigé que toutes les terres agricoles occupées par les Fermes militaires soient rendues aux paysans qui y travaillent depuis plus de cent ans. Ils ont exigé un salaire mensuel minimum de 15 000 roupies (130 euros) dans toutes les usines. Ils ont annoncé leur intention de participer aux prochaines élections locales à Faisalabad et dans d’autres villes. Ils ont condamné les atrocités commises par les militaires au Baloutchistan et assuré le peuple Baloutche, en lutte contre l’exploitation et l’injustice, de leur solidarité. Enfin, ils ont exigé la réapparition des disparus.
Renouveau de l’identité prolétarienne
« C’est un nouveau départ et ce ne sera pas le dernier événement de ce genre, nous rejetons les choix politiques et économiques de ce gouvernement qui sont dictés par l’impérialisme états-unien ». Cet extrait d’une des interventions reflète le sentiment de tous : on assistait à un début historique de la politique de la classe ouvrière au Pakistan. Les oratrices et les orateurs ont noté que Washington ne veut rien donner au peuple pakistanais et que la politique du FMI et de la Banque mondiale appauvrit chaque jour davantage la classe ouvrière. Ils refusent les diktats du FMI et de la Banque mondiale, exigent que le gouvernement arrête les privatisations et garantisse des subventions à l’agriculture. Ils ont revendiqué la fin des lois discriminatoires, exigeant que tous les citoyens aient les mêmes droits aux yeux de la loi et de la Constitution.
En conclusion, ils ont dit être las des querelles intestines entre le Parti du peuple pakistanais [2] et la Ligue musulmane Nawaz [3], qui ne s’opposent pas au sujet des questions qui préoccupent la classe ouvrière mais uniquement sur la manière de se partager la domination et de préserver leur statut privilégié. Les orateurs ont souligné la nécessité d’une politique indépendante de ces partis des riches, indiquant que c’est l’alliance des ouvriers et des paysans qui est une alternative pratique. Ils ont exhorté le gouvernement à s’occuper de la pauvreté, de la hausse des prix, du chômage et de la crise politique.
Intervenant au nom du NPA de France, Pierre Rousset a rappelé que les travailleurs français avaient obtenu le droit à la sécurité sociale après des années de lutte. Mais rien n’est acquis pour autant, car, a-t-il souligné, les compagnies multinationales avec l’appui de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) tentent de priver les travailleurs en Europe également de leurs droits acquis. La solidarité internationale des travailleurs est la réponse concrète qu’il faut développer. Simon Butler, de l’Alliance socialiste d’Australie, a pour sa part remarqué que si l’Australie et le Pakistan peuvent s’opposer au cricket, les travailleurs des deux pays doivent s’unir pour lutter contre la pauvreté et le chômage.
Tous les participants ont tiré un bilan très positif de cette conférence, qui indiquait comment l’unité aide à améliorer les rapports de forces. « Malgré toutes les menaces concernant la sécurité, nous avons pu le faire. La police a tenté de circonscrire cet événement à l’intérieur, mais nous avons réalisé notre propre plan et nous avons bien fait », me disait Rana Tahir, un des dirigeants du LQM. « C’était comme un jour de fête pour les travailleurs de Faisalabad. Nous sommes tous heureux de ce résultat. C’est le début d’une politique de la classe ouvrière dans la ville. Il n’y a que six ans que le LQM y fait ce que les grands partis ne font pas. Remplir cet espace constituait un défi, et nous l’avons fait. Nous sentons que la puissance de la classe ouvrière peut changer le société. Si nous pouvons faire ce que nous avons fait, nous pouvons faire bien plus pour soutenir les travailleurs. Maintenant l’administration devra nous écouter et nous prendre au sérieux », commentait-il à l’issue de la conférence.
Farook Tariq