Il y a une semaine, dans ces colonnes, Olivier Besancenot a proposé que
nous
« causions » de l’éventualité d’une candidature unitaire de la gauche
« antilibérale », lors de l’élection présidentielle de 2007. Je lui
réponds
bien volontiers que je suis prêt à causer avec lui comme avec beaucoup
d’autres, à la condition toutefois que nous parlions sans
arrière-pensées
et, surtout, sans préalables. L’unité est une démarche qui, pour
réussir et
rassembler vraiment, ne supporte pas les considérations tactiques. Elle
suppose, en revanche, une volonté qui transgresse les intérêts
respectables
mais identitaires des formations politiques qui en seraient parties
prenantes. L’enjeu, en effet, n’est pas tant une coalition qu’une
dynamique
électorale.
Où en sommes-nous ? Un an après la victoire du non au référendum sur la
ratification du projet de Constitution européenne, et quelques semaines
après la mobilisation populaire victorieuse contre le CPE,
l’alternative est
clairement posée. Doit-on se résigner à ce que nos gouvernants -
fussent-ils
de gauche - conduisent des politiques d’adaptation à la mondialisation
libérale, avec tous les dégâts sociaux collatéraux que l’on connaît ? Ou
peut-on, dans les urnes et dans la rue, imposer de nouvelles
orientations
dont le fondement soit de combattre réellement le chômage, de redonner
espoir à toute une génération et d’en finir avec l’exclusion sociale ?
La campagne présidentielle qui s’ouvre est l’occasion d’en débattre pour
toutes celles et tous ceux qui sont scandalisés par les parachutes
dorés des
patrons du CAC 40, qui refusent d’offrir comme seule perspective aux
jeunes
un avenir de précarité, qui imaginent une société plus solidaire et plus
démocratique, bref qui souhaitent remettre le monde en mouvement. Ce
débat,
me semble-t-il, appelle deux démarches intimement liées. D’une part, il
s’agit bien de discuter du fond des choses, autrement dit d’un projet
politique qui rompe avec la logique économique libérale et
productiviste de
ces vingt-cinq dernières années. D’autre part, il est décisif de
partager la
discussion avec l’ensemble des acteurs du mouvement social et pas
seulement
avec les appareils politiques.
Le spectacle qu’offre le Parti socialiste, hélas, n’est pas de nature à
faire oublier le 21 avril 2002 et ses tristes conséquences. L’unité
retrouvée dans la bataille contre le CPE camoufle mal un grand
questionnement programmatique. Les sondages les plus flatteurs ne
peuvent
faire office de projet de transformation sociale. Les socialistes, par
exemple, sont-ils tous d’accord pour revenir au contrat unique de
travail à
durée indéterminée ? Sont-ils tous d’accord pour mettre en chantier une
nouvelle République ? Sont-ils tous d’accord pour la régularisation de
tous
les sans-papiers ? Sont-ils tous d’accord pour prendre acte de la
volonté
populaire de construire une Europe sociale et démocratique ?
La gauche qui combat la mondialisation libérale, en revanche, paraît
plus
homogène sur les grands enjeux de 2007. Il faut naturellement le
vérifier et
le valider. Mais, de la Ligue communiste révolutionnaire jusqu’au
Verts, en
passant par le Parti communiste, les alternatifs et tous les acteurs des
mouvements sociaux, il semble qu’il y ait un large consensus
aujourd’hui sur
un programme de rupture avec la logique du tout-marché, du tout-libéral.
Nous sommes, en effet, à peu près tous d’accord pour proposer un plan
d’urgence et d’intégration sociale pour les plus démunis, pour assortir
le
contrat de travail d’une sécurité sociale professionnelle tout au long
de la
vie, pour considérer que les salariés ne doivent plus nécessairement
être la
variable d’ajustement pour les actionnaires, pour réclamer la
proportionnelle aux législatives et une profonde réforme des
institutions,
pour exiger que les prochaines élections européennes soient
« constituantes »,
pour imposer un moratoire sur les OGM et le projet d’EPR.
Ce large consensus ne suffirait cependant pas à dynamiser une
candidature
unitaire qui ne serait pas portée par toutes les composantes du
mouvement
social. Je comprends bien que Marie-George Buffet s’imagine la mieux à
même
de fédérer la gauche du « non », qu’Olivier Besancenot rêve d’incarner la
« gauche anticapitaliste » ou même que la gauche des Verts ait tenté de
promouvoir une candidature labellisée « gauche radicale ». Mais la
légitimité
de l’unité ne peut se passer des acteurs syndicaux, associatifs ou
« mouvementistes » qui espèrent et réclament, d’une manière ou d’une
autre, un
autre débouché électoral aux luttes que la dispersion entre de multiples
candidatures à la gauche du PS.
C’est de cela qu’il convient désormais de discuter tous ensemble. L’un
des
enjeux majeurs du cycle électoral qui vient, ne l’oublions pas, est de
briser la spirale de l’abstention et du découragement dans les couches
de la
population les plus exposées à l’exclusion ou à la souffrance sociale.
Il
n’y aura pas de remobilisation électorale sans processus démocratique de
discussion et de conviction dans les milieux populaires, à commencer
par les
banlieues. A nous d’imaginer le chemin d’une proposition puis d’une
désignation, quel que soit notre candidat ou notre candidate, dont le
point
d’aboutissement ait une portée symbolique autrement plus forte que le
vote
des seuls adhérents d’un parti.
Voilà ce dont je suis prêt à discuter avec Olivier et beaucoup
d’autres, en
ayant la ferme intention d’être disponible, le cas échéant, pour
soutenir de
toutes mes forces la candidature unitaire qui apparaîtrait la
meilleure. J’y
ajoute, toutefois, deux conditions. D’abord je souhaite qu’il s’agisse
bien
d’une démarche collective de campagne, bousculant les règles de
l’aventure
individuelle et donnant la priorité au collectif plutôt qu’à la
starisation.
Ensuite je considère que l’ennemi principal doit bien être désigné
comme la
droite et l’extrême droite, et non pas, indirectement ou subrepticement,
comme le Parti socialiste. Si nous sommes d’accord, il n’y a plus
beaucoup
de temps à perdre. Causons, mais vite !