PÉKIN, CORRESPONDANT - Jean-François Huchet, directeur du Centre d’Etude sur la Chine contemporaine (CEFC) à Hongkong. M. Huchet a codirigé en 2010 l’ouvrage collectif China and India in central Asia, A new Great Game paru en anglais aux Editions Palgrave Macmillan. (La Chine et l’Inde en Asie centrale : le nouveau Grand jeu).
La méfiance entre Pakistan et Etats-Unis depuis Abbottabad a pour pendant la célébration de la relation sino-pakistanaise comme intangible et au beau fixe : la Chine et la Pakistan se veulent les « meilleurs amis » du monde. Va-t-on assister à une intensification des liens entre la Chine et son voisin ?
Jean-François Huchet : La relation sino-pakistanaise est déjà capitale pour les deux pays : on a oublié que c’est une des plus fortes existantes. Si la Chine a un allié stratégique, c’est bien le Pakistan. Et réciproquement. Cette relation existe depuis très longtemps : la Chine a toujours considéré le Pakistan comme un tampon face à l’Inde, mais aussi une porte vers le monde islamique. C’est une relation avec une forte composante militaire, au sujet de laquelle beaucoup de choses restent secrètes. On sait que le Pakistan a obtenu la bombe atomique en partie grâce à la Chine. On ne sait toujours pas combien il y a de conseillers militaires chinois.
Comment décrypter alors le comportement du Pakistan ?
De manière conjoncturelle, on peut dire que les Pakistanais jouent certainement la Chine contre les Etats-Unis, mais ils ne peuvent pas forcément aller plus loin. Ce sont des signaux envoyés aux Américains pour dire, « attention, si vous continuez, on va tomber dans les bras de la Chine ».
Le Pakistan est, de toutes les manières, un pays qui joue sur son instabilité, sur son pouvoir de décomposition, un peu comme la Corée du Nord. Il a besoin de jouer la dessus avec les grandes puissances, en premier lieu les Etats-Unis…Donc je ne pense pas que le Pakistan puisse se permettre un rééquilibrage plus fort au profit de la Chine. Les Chinois aussi savent qu’une partie du sale boulot est fait par les Américains dans la région. On n’imagine pas la Chine devoir s’engager en Afghanistan.
Quel rôle vient jouer l’Inde dans le positionnement du Pakistan par rapport à la Chine ?
L’Inde n’est jamais loin dans la relation sino-pakistanaise. Le réalignement Inde-Etats-Unis, avec l’accord dans le nucléaire civil conclu en 2009 inquiète les Pakistanais. La résurgence de l’Inde dans le reste de l’Asie centrale est un autre élément qui les pousse à serrer les coudes avec leur allié chinois.
Mais jusqu’où ? Lors de la guerre au Pakistan oriental en 1971, les Pakistanais ont demandé l’aide des Chinois. Ceux-ci ont critiqué l’intervention indienne dans le futur Bangladesh, mais n’ont jamais tiré un coup de feu. Les Chinois sont prêts à aider, ils sont certes inquiets aussi du réalignement du Pakistan avec les Etats-Unis depuis la guerre contre la terreur. Mais ils regardent avant tout leur propre intérêt stratégique.
On parle beaucoup par exemple de la stratégie du « collier de perles » poursuivie par la Chine dans l’Océan indien, dont le port pakistanais de Gwadar au Baloutchistan, serait une composante. Les Chinois l’ont certes financé et construit. Ils ont la possibilité d’y faire escale, il y a beaucoup d’échanges sur le plan marchand, mais il n’y a pas de base militaire chinoise. Les Pakistanais ont un souci de souveraineté. Je ne pense pas qu’ils laisseraient les Chinois aller beaucoup plus loin qu’ils ne le sont aujourd’hui.
Propos recueillis par Brice Pedroletti