Sources : Brunet R. (dir), 1994. Géographie universelle. Belin/Reclus ;
Pelletier Ph., Fournier C., 2008. Atlas du Japon. Autrement ;
http://silatitudes.teledetection.fr/index.php :actualité/54-mapping-japan-earthquake-and-tsunami
Dans un essai polémiste au destin retentissant, du moins auprès de ceux qui s’intéressent sérieusement à l’Asie orientale, le sinologue Jean François Billeter dénonçait l’approche néo-orientaliste du sinologue François Jullien, critiqué pour sa vision d’une Chine supposée immobile, éternelle et anhistorique [1]. On peut en reprendre métaphoriquement le titre, « Chine trois fois muette », pour l’appliquer à la façon dont fut médiatiquement traité le Japon au cours de la semaine qui suivit le récent séisme, et affirmer que le Japon a été frappé quatre fois.
Une première fois par la vague de séismes - car il y a eu plusieurs séismes, ce point est extrêmement important comme nous le verrons. Une deuxième fois par le tsunami succédant au séisme le plus important, celui du 11 mars 2011 à 14h46 (heure locale) et que les Japonais appellent officiellement le « Séisme du large Pacifique de la région du Tôhoku » (Tôhoku-chihô Taiheiyô-oki jishin), conformément aux directives du Kishôchô, alias la Japan Meteorological Agency (JMA), qui labellise les phénomènes naturels. Il est également surnommé, plus commodément et familièrement, le « gigantesque séisme du Tôhoku » (Kyôdai Tôhoku jishin). La dénomination géographique a son importance, nous le verrons aussi. Le Japon est frappé une troisième fois par les accidents nucléaires - là aussi le pluriel est important - que ces phénomènes ont déclenchés. Enfin, le plus pathétique en dehors du Japon, et tout en mettant provisoirement de côté la problématique nucléaire, il l’est une quatrième fois par la vulgate médiatico-politique occidentale qui a enfilé les approximations, les clichés, les perles et les contrevérités.
Le séisme, le tsunami et même l’accident nucléaire en ce qu’il relève aussi d’une question de lieu et d’aménagement du territoire constituent des questions éminemment géographiques. Le regard du géographe permet donc de les analyser, en conjuguant notamment les échelles. Il observe aussi comment les médias, en France singulièrement, les ont considérées. Il s’agit donc à la fois d’analyser l’enchaînement géographique des catastrophes, leur contexte socio-culturel lié aux caractéristiques du Japon et le traitement médiatique de ces deux aspects. Une telle démarche débouche inévitablement sur la question de la politique, par sa dimension d’aménagement du territoire, mais aussi sur la question de la civilisation : la japonaise, sa réalité et sa mise à nu dramatique offerte aux jugements extérieurs, et la civilisation tout court dans les choix technologiques, économiques et sociétaux de notre humanité mondialisée.
Quatre précautions doivent la guider. Premièrement, ne pas résumer le Japon à Tôkyô. Deuxièmement, ne pas confondre l’impact sismique et l’impact du tsunami qui, s’ils sont génétiquement liés, ne sont pas tout à fait de même nature, et n’appellent pas les mêmes réponses. Troisièmement, dissocier radicalement la question de la catastrophe séisme-tsunami de la catastrophe nucléaire qui n’est pas de responsabilité naturelle mais anthropique, humaine. Quatrièmement, récuser l’amalgame entre le nucléaire civil et le bombardement atomique de Hiroshima et Nagasaki en 1945.
Le centre a tremblé, la province a encaissé
5Il faut bien avouer que la géographie a été singulièrement malmenée dans le traitement effectué non seulement par les médias mais aussi par certains experts. Car les analyses sur les événements sismiques ont été déspatialisés en deçà d’une certaine échelle. La géographie a été ignorée, oubliée, bafouée même.
L’échelle macro a certes été plutôt bien traitée. C’est globalement celle de la rencontre entre les quatre plaques tectoniques sous l’archipel japonais, et des phénomènes sismiques ou volcaniques qu’elle provoque. Cela dit, elle s’est transformée en sésame explicatif sensé tout éclairer, confortant comme par hasard le point de vue d’une science dure, la géologie en l’occurrence, et masquant sa déclinaison humaine à des échelles plus fines. Car l’échelle méso (les départements en ce qui concerne le Japon) a été très mal traitée. Quant à l’échelle micro (les communes), c’est le scandale informatif pur et simple, la course au sensationnel, aux images partielles (on montre les zones dévastées, pas les zones épargnées ou protégées, mais on ne montre pas vraiment non plus le choc frontal sur les premières digues), à la surenchère non vérifiée quant au nombre de victimes ou de bâtiments détruits. Le pompon a été décroché par les analystes américains qui ont chiffré après trois jours des pertes dont on ne connaissait absolument pas l’ampleur !
L’effroi occidental s’est d’abord concentré sur Tôkyô, puis sur les centrales nucléaires de Fukushima. L’information sur l’espace réellement et sévèrement touché, à savoir le littoral oriental du Tôhoku, n’est arrivée qu’entre-temps, bien tard et de façon incomplète. Il a fallu attendre une semaine environ, c’est-à-dire l’arrivée sur place des envoyés spéciaux, pour en savoir plus dans le détail géographique, et encore, avec quasiment aucune carte. On attend toujours l’exhumation du plan d’occupation des sols de la ville de Sendai et du département de Miyagi qui n’a probablement été qu’en partie respecté dans la plaine côtière. On se demande bien pourquoi les journalistes n’ont pas été capables de parler d’emblée du Sanriku, l’argument de la défection des communications ne tenant pas puisque l’information circulait déjà sur la Toile.
Pourtant, en mettant même de côté l’hypothèse qu’un journaliste en poste à Tôkyô serait supposé connaître la géographie de l’archipel japonais où il habite (mais y habite-t-il vraiment, ou bien, justement, n’est-il qu’en « poste », sorte de situation quasi militaire d’observation dominante ?), repérer l’épicentre du principal séisme du 11 mars (à 130 kilomètres de Sendai) suffisait à deviner où allait frapper le tsunami. Cela permettait aussi de comprendre que Tôkyô - le Tôkyô du Kabutochô et de l’indice nikkei, le Tôkyô des ambassades bien protégées sur les hauteurs de Yamanote la Ville Haute, le Tôkyô du pouvoir et pilier de la Triade - allait être épargné.
Pourtant, dès la matinée du vendredi 11, heure française, certains médias français tentaient de semer la panique en pronostiquant un Tôkyô rasé et anéanti ! Ils devaient cependant se contenter - et pour cause - d’annoncer que le parking de Tôkyô Disneyland était inondé… En effet, gagnant sur la mer, l’Oriental Land Company, propriétaire de ce parc d’attractions, entreprise à capitaux japonais qui a acheté le label américain (Walt Disney Company n’est qu’un partenaire, touchant 10 % de royalties sur les entrées et 5 % sur les ventes à l’intérieur des parcs, mais ne possédant aucune action), a dû faire quelques économies pour garer les voitures de ses clients en ne réalisant qu’une simple surélévation. Tôkyô Disneyland constitue d’ailleurs un cas à part dans l’urbanisme japonais parce que, contrairement à l’habitude, il ne privilégie pas les déplacements des personnes en train ou en métro, mais en voiture, conformément au modèle américain (et occidental). Une étude faite sur la sécurité de Tôkyô Disneyland n’a même reçu aucune réponse [2].
Dès que la nouvelle de l’énorme secousse fut connue, tout le monde s’est donc inquiété du sort de Tôkyô. Certes, le choc a été rude dans la plus grande mégapole du monde, les gratte-ciels ont tangué, des vitres ont été brisées, des maisons fissurées, mais, le lendemain, les autorités japonaises ne recensaient officiellement que cinq morts pour le département de Tôkyô, six le surlendemain, autrement dit pas plus qu’un malheureusement banal accident de la route. Le gigantesque, et spectaculaire, incendie du combinat pétrochimique de Chiba (probablement à l’origine des quatorze morts recensés le 14 mars dans le département éponyme) s’explique probablement par une grosse défaillance locale, car aucun autre des nombreux combinats et raffineries qui ceinturent la baie de Tôkyô n’a été endommagé d’une telle façon.
Cela n’a pourtant pas empêché les témoignages sensationnalistes et inutiles d’étrangers présents à Tôkyô d’affluer sur les ondes. La palme du ridicule revient à un journaliste du service public de la télévision française qui manifestement a eu très peur, mais qui se demandait avec morgue et condescendance comment les Tôkyôtes, le soir même, pouvaient continuer à manger, boire dans les bars et même, pour certains, à draguer les filles ! Pourtant, il se vantait d’avoir vécu plus de dix ans au Japon… Fichtre, les Japonais seraient-ils des extra-terrestres pour vivre dans un pays manifestement diabolique, pour oser penser à la vie, à se sustenter, et plus si affinité, au lieu de prier silencieusement pour la Terre-Mère qui se serait montrée ingrate ?
Le Sanriku et sa mémoire du risque
Dimanche encore, soit plus de 48 heures après le principal séisme, les médias français balbutient tout juste les noms de Sendai (un million d’habitants, une ville grande comme Lyon ou Marseille, pourtant) et de Miyagi (son département). Quant à celui d’Iwate, département le plus touché, et singulièrement sa région littorale du Sanriku, silence absolu, inexistence géographique. Beaucoup de téléspectateurs ou d’auditeurs ont donc cru en toute bonne foi que si Tôkyô n’avait finalement pas été englouti, le drame se déplaçait à Sendai. Personne n’a précisé que cette métropole était située à une dizaine de kilomètres à l’arrière de la côte, et déjà un peu en hauteur, donc relativement protégée. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé : le tsunami, de surcroît ralenti par des digues intermédiaires (mais une seule d’entre elles a été montrée sur les images les plus diffusées), n’a atteint que les faubourgs orientaux de Sendai. Si la ville subit encore une semaine après les coupures d’eau et d’électricité, très peu de bâtiments ont été touchés par le séisme (ils ont donc résisté), aucun quartier de la ville proprement dite n’a été inondé (ce qui n’est pas le cas de la côte, évidemment, cf. infra), et, comme me l’a d’emblée signalé un habitant, « la vie y a lentement repris son cours ».
Dès vendredi, quelques heures après la principale secousse, un simple clic sur la Toile permettait déjà d’en savoir beaucoup. Deux options étaient même possibles. D’une part consulter Google Earth pour vérifier le décalage entre les images présentées par les médias, abusivement généralisées, et l’organisation spatiale de l’aire urbaine de Sendai. D’autre part consulter des sites japonais, ce qui suppose évidemment de connaître la langue japonaise et donc d’avoir fait l’effort de l’apprendre… Dès le 9 mars, deux jours avant, un séisme important avait été signalé. Le lendemain 10 mars, après un autre séisme survenu dans la même zone, les services de surveillance s’étaient placés en alerte, et sensibilisaient les populations. La JMA annonçait « une semaine de vigilance ». Le 11 mars, dès la grande secousse, l’alerte au tsunami est immédiatement déclenchée sur les zones côtières du Sanriku, par sirènes et haut-parleurs. Les habitants, qui disposaient d’une demi-heure pour réagir, se sont réfugiés en masse sur les hauteurs. C’est ce qu’on peut voir sur quelques images dès le samedi 12 mars, à Kamaishi notamment.
On pouvait en déduire que l’alerte avait été correctement donnée dans les autres endroits, mais de cela les médias n’en ont guère parlé. Cette réactivité des populations côtières explique le relativement faible nombre de morts dans ces régions par rapport au nombre d’habitants (cf. infra) et vu l’ampleur du tsunami. Précisons d’emblée les choses car dans la sphère médiatico-spectaculaire le chiffrage est une bataille, et un enjeu. Pour évaluer correctement les phénomènes, il faut adopter une approche spatio-temporelle, géographique, en se référant à ce qui s’est passé autrefois dans les mêmes lieux, ainsi que dans des lieux ou des moments différents mais comparables.
Le littoral oriental du Tôhoku, et singulièrement la partie du Sanriku qui est la plus avancée dans l’océan Pacifique (c’est même la partie la plus orientale de tout le Japon, c’est pour cela qu’elle est visitée par des touristes qui veulent y voir le premier lever de soleil du « pays de l’origine du soleil », Nihon/Nippon, le Japon), est bien connu des Japonais pour son exposition aux tsunami. Dès mon premier ouvrage de géographie sur le Japon (Belin, 1994, dans la Géographie Universelle dirigée par Roger Brunet), j’en parlais, et faisais figurer une carte des tsunami du Sanriku, carte reprise dans mon récent Atlas du Japon (Autrement, 2008). J’y ai également effectué un terrain à l’hiver 1989.
Je me cite fort peu modestement car je n’ai que peu de mérite : je n’ai fait que reprendre un document publié par des géographes japonais, et donner les conclusions de la monumentale thèse que le géographe japonais Yamaguchi Yaichirô a consacrée au Sanriku, avec pour mission de comprendre pourquoi les Japonais s’évertuaient à habiter cette région si risquée, et si meurtrière. En effet, dans le passé, malgré les nombreux tsunami dévastateurs, les populations ont régulièrement regagné la côte et reconstruit leur village. La conclusion de Yamaguchi est simple, et sans appel. Il donne deux raisons : d’une part, la mer est certes meurtrière mais aussi nourricière, très nourricière (le large du Sanriku où croisent les eaux du courant froid Oya-shio et du courant chaud Kuro-shio forme l’une des zones halieutiques les plus riches du monde) ; d’autre part, c’est le pays des ancêtres, il faut entretenir sanctuaires, temples et cimetières. Autrement dit, un attachement viscéral à la terre… et à la mer.
Cette configuration existe encore de nos jours. Certes la pêche japonaise s’est effondrée depuis le milieu des années 1980, passant d’une douzaine de millions de tonnes à un peu plus de cinq millions de tonnes de prises. Plus de la moitié de la consommation japonaise de produits halieutiques est désormais importée. Mais la pêche a globalement résisté dans la région du Sanriku. Le tourisme, bénéficiant de paysages sublimes, et d’une série de nouvelles infrastructures (routières, ferroviaires, hôtelières), s’y est également beaucoup développé. La région, traditionnellement reculée, plutôt reliée au reste du pays par des axes perpendiculaires au rivage et rejoignant l’axe sud-nord situé à l’intérieur des terres, est désormais mieux connectée, en particulier par des liaisons littorales. Une ligne de chemin de fer longeant le littoral y a été ouverte en… 1984. Bref, la population s’est à peu près maintenue dans la région.
Elle connaît les tsunami. Celui de 1896 survenant une quarantaine de minutes après un séisme de magnitude 7,6 a provoqué 27 122 morts et détruit 8 891 bâtiments. Dans le bourg de Yoshihama, la vague a atteint 24 mètres. Celui du 3 mars 1933 (M 8, épicentre situé à 250 kilomètres au large) a provoqué 3 008 morts. Celui dit du Chili (M 9,5 dans le sud du Chili), dont se souviennent les plus âgés des habitants, a provoqué 142 morts le 24 mai 1960, avec une vague maximale de six mètres. En fait, pour un même séisme et un même tsunami, l’ampleur des vagues et leur impact peuvent être très différents d’un endroit à l’autre du même littoral, selon la configuration de celui-ci et selon le mode d’occupation humaine.
La parade décidée dans les années 1950, et surtout après le tsunami du Chili en 1960, a été de construire de gigantesques digues. Hautes de dix mètres et larges de plusieurs mètres, elles sont situées en arrière immédiat de la plage, entre la zone portuaire et le village, coupant les habitations de la mer (désormais invisible au ras du sol). En avant, l’entrée des rias, très nombreuses dans le Sanriku, est équipée de brise-lames ou de tétrapodes en béton. La plupart des criques et des villages sont ainsi aménagés, à l’instar de l’emblématique Tarô.
Ce type d’infrastructures s’insère évidemment dans le système japonais de l’État-constructeur (doken kokka) ou de l’État BTP (bâtiments et travaux publics) (doboku kokka). Au Japon, le secteur du BTP occupe une part beaucoup plus importante dans le PIB et dans la population active (sept millions d’emplois, 10 % de la main d’œuvre) que dans les autres pays de l’OCDE, sur fond d’opportunisme politique, de clientélisme, d’appels d’offre truqués et de corruption (80 % des investissement publics concernent des travaux de génie civil jusque dans les années 2000).
L’aménagement par des hautes digues a fonctionné pour les tsunami de moindre ampleur. Mais il n’a pas protégé le 11 mars. La plupart des digues ont été dépassées. C’est notamment le cas pour Tarô dont on n’a eu des nouvelles que quelques jours après. Des voix se sont élevées pour contester l’efficacité de ce type d’équipement qui a coûté fort cher, mais qui a profité à d’autres « [3]. De toute évidence, peu s’attendait à un tsunami d’une telle ampleur, malgré les précédents historiques. Il faudra analyser les protections et les dégâts dans le détail. Certains endroits, menacés, auraient été épargnés. D’autres qui n’avaient jamais été atteints ont été touchés. L’eau qui est rentrée a eu du mal à s’évacuer car elle était piégée. Il est probable que la sensation de sécurité induite par la construction de grandes digues a encouragé la construction de maisons et de bâtiments en arrière de celles-ci. D’autres facteurs entrant en ligne de compte (dynamisme économique ou non de la commune, spéculation foncière ou non, laxisme ou non des plans d’urbanisme…), la configuration doit être examinée au cas par cas malgré l’aspect globalement dévastateur des vagues.
Parallèlement à ces mesures techniques, il faut souligner que la mémoire du tsunami est entretenue dans le Sanriku, ainsi que les mesures de protection ou de secours. Outre les digues gigantesques qui sont un témoignage prégnant de la menace, partout on trouve des indications du niveau de montée des eaux lors des précédents tsunami, des plans de zonage de protection ou de refuge, des panneaux d’accès aux routes et aux emplacements de secours, des stèles, des mémoriaux et même des musées consacrés aux tsunami. Cette socioculture de la « coexistence » (kyôson) entre le risque naturel et l’habitant est caractéristique du Japon [4]. Certes, elle n’a pas circonvenu le tsunami, elle n’en a pas empêché les dégâts immédiats et frontaux, mais elle a limité les pertes humaines grâce au bon fonctionnement des évacuations - cas particuliers excepté - et elle sous-tend une véritable entraide collective après la catastrophe. Assurément, elle constitue un facteur de résilience pour la société locale, ainsi que pour l’ensemble de la société japonaise.
Le problème du chiffrage des victimes
La région du Tôhoku compte 6,8 millions de personnes. Le département le plus peuplé est celui de Miyagi (2,3 millions d’habitants) avec la métropole de Sendai. Celui d’Iwate compte 1,4 million d’habitants. À part la région de Sendai, les Zones densément peuplées (DID) sont peu nombreuses, mais du fait de la concentration des populations au fond de rias dans des bourgades portuaires, la densité est par endroit très forte. Un calcul rapide, qu’il faudrait affiner, chiffre la population côtière à plus de 450 000 habitants (sans compter le littoral sur Akita), de la ville de Natsui au nord à celle d’Ishinomaki au sud (soit un Sanriku au sens large, conformément à l’usage japonais, l’appellation de Sanriku central ou Chûbu Sanriku étant réservée à la partie en Iwate méridional). D’après les chiffres officiels du 26 mars, le nombre de victimes (morts et disparus) dépasse les 27 000 personnes pour tout le pays, l’essentiel étant concentré dans les deux départements de Miyagi (12 461 morts et disparus) et d’Iwate (7 884 morts et disparus) (respectivement mille, et un peu moins selon le Secrétariat d’État à la police le 14 mars). Le tsunami, davantage que le séisme proprement dit, en est la principale cause. Cela fait beaucoup, nonobstant les voitures renversées, les bateaux démantibulés, les maisons inondées, les espaces ravagés par les vagues. Il faut cependant mettre ces chiffres en rapport avec d’autres. En mettant de côté les 220 000 victimes du tsunami insulindien du 26 décembre 2004, et en se concentrant sur le cas comparable du Japon lui-même, le bilan des précédents désastres est proportionnellement bien plus lourd, en particulier les 143 000 morts et disparus à l’issue du séisme du Kantô en 1923. Le nombre des 6 000 victimes lors du séisme de Kôbe en 1995 est moindre, mais il correspond à une situation très localisée et aux conséquences d’une secousse sismique, pas d’un tsunami.
Il est très rare, pour ne pas dire rarissime, que les médias se soient montrés prudents avec les premiers chiffres. Au contraire, ce fut l’inflation dans le registre du sensationnel et de la peur. La ministre chargée de l’écologie évoqua elle-même, lors d’un JT le dimanche 13 mars au soir sur France 2, la mort au Japon de « centaines de milliers de personnes ». Ce qui signifie que le bilan définitif devait être supérieur à 100 000 morts, et d’au moins 200 000 morts : à comparer avec celui des 27 000 victimes recensées quinze jours après.
Les interrogations ont pendant longtemps tourné autour des dix mille personnes dont on était « sans contact » (renraku nashi), selon la police de Miyagi. Depuis samedi 12 au soir (heure française), le chiffre circule. Il est repris un peu partout sans recul ni vérifications. À partir du lundi 14 mars, de nouvelles informations apparaissent. Des avions des Forces d’auto-défense (Jieitai) ont, d’après la NHK, repéré des plages encombrées de cadavres (mais dont on ne nous montre pas les images), 300 à 400 corps dans la ville de Takata. Le chiffre de dix mille personnes « sans contact » se focalise ensuite sur la ville d’Onagawa (celle-là même où se trouve une autre centrale nucléaire, dont on parle enfin après celle de Fukushima), parfois confondue avec Kesennuma (les très récentes fusions communales ont de surcroît brouillé la toponymie). Une hypothèse, formulée par la très bien organisée page japonaise (en japonais) de Wikipedia (entrée au nom du séisme), suppose que l’alerte n’y a pas été donnée, soit en retard, soit de façon défaillante. Elle est tout à fait recevable. On peut imaginer une coupure d’électricité causée par la secousse sismique. Mais cela ne résout pas la question des sirènes. Et, rappelons-le, les habitants ont disposé d’une demi-heure pour gagner les hauteurs, immédiates dans la région (quelques centaines de mètres, tout au plus).
Autrement dit, les Japonais, bien organisés, ont fait face autant que possible au tsunami. Mais de ce fonctionnement collectif, prévoyant et bien organisé, limitant autant que faire se peut les dégâts (les infrastructures routières ont tenu), nous n’en avons quasiment rien su pendant trois à quatre jours. Tout pour Tôkyô, rien ou presque pour la province. Rien sur les consignes d’évacuation, presque rien sur la région du Sanriku, focalisation sur la plaine de Sendai avec ses serres ravagées et son aéroport inondé.
Bientôt, tout cela sera occulté par les accidents de la centrale nucléaire de Fukushima qui pose un grave problème, et d’un autre ordre. Mais là encore, que de difficultés dans l’information. On sait que dans le domaine du nucléaire civil les autorités japonaises et singulièrement les opérateurs, tous privés, du secteur très juteux de l’électricité nucléaire, l’opacité règne depuis longtemps, malgré les protestations d’associations japonaises vigoureuses et bien structurées lors d’incidents précédents. Il est bien connu des Japonais que les dirigeants ont fait preuve à chaque fois d’une morgue incroyable. Il faut de surcroît être spécialiste ou très, très bien informé (de l’intérieur) pour savoir ce qui se passe, et s’est passé.
En revanche, le fait que personne n’ait mentionné jusqu’à lundi 14 mars l’existence de la centrale nucléaire d’Onagawa, et que personne n’ait, a priori, évoqué la situation du site de surrégénération de Rokkashomura situé au nord du Tôhoku laisse perplexe et suscite de l’inquiétude. Peut-être quelques journalistes occidentaux, avant les points presse, pourraient-ils consulter une carte ?
Le petit nipponisme ne connaît pas la crise [5]
Le président français annonça avec gravité, le vendredi 14 mars en fin d’après-midi, que la France allait « voir comment faire parvenir des équipes, des avions et des moyens ». Les Japonais n’ont, heureusement, nul besoin des « avions français » (ou d’autres pays, d’ailleurs, sinon pour des motivations diplomatiques). Quant aux experts du nucléaire ultérieurement dépêchés, s’ils sont vraiment experts, en savent-ils plus que les experts japonais, et, surtout, pourront-ils vraiment agir ?
On peut s’interroger sur les propos des officiels français prêts à envoyer des avions au Japon qui dans le même temps n’hésiteraient pas à renvoyer ceux qui viennent de la Méditerranée sur leurs propres bateaux : générosité inutile d’un coté, frilosité cynique de l’autre !
De la part du Premier ministre japonais Kan Naoto, dont le gouvernement était mal en point dans les sondages car il n’arrivait pas à respecter ses promesses électorales, il est effectivement logique d’annoncer que le Japon est en train de connaître sa plus grave crise depuis 1945, logique mais en partie vrai, seulement. Sur le seul plan du séisme, cela reste à discuter avec la catastrophe de Kôbe en 1995. Sur le plan nucléaire, c’est incontestablement vrai. Cela dit, lorsque le Parti démocrate japonais de Kan Naoto est arrivé au pouvoir en septembre 2009, de nombreux observateurs ont parlé de « troisième révolution » au Japon (après celle de Meiji en 1868 et la défaite de 1945), et on a rapidement vu en quelques mois que ce n’était pas vraiment le cas. Il faut donc rester méfiant à propos de déclarations dites historiques, même si la prise de parole exceptionnelle de l’empereur le 16 mars va dans ce sens. L’avenir dira rapidement ce qu’il en est, notamment par rapport à la question nucléaire.
En revanche, la déclaration du gouverneur de Tôkyô, Ishihara Shintarô, est franchement provocatrice. Ce néo-nationaliste xénophobe, ancien écrivain, réélu une troisième fois à son poste, déclare en effet lundi 14 mars que le Japon mérite ce qu’il vit, c’est-à-dire une « punition du ciel » (tenbatsu). Car, selon lui, « l’identité japonaise, c’est l’égoïsme (gayoku). Il est nécessaire de nettoyer une bonne fois cet égoïsme en utilisant ce tsunami. C’est vraiment une punition du ciel » [6]. Il ajoute : « L’identité de l’Amérique, c’est la liberté. L’identité de la France, c’est la fraternité et l’égalité. Le Japon n’a rien de tout cela. Seulement l’égoïsme. L’appât des choses matérielles (butsuyoku), le lucre (kinsenyoku) ». Et il conclut : « La politique, également entravée par cet égoïsme, a fait dans le populisme. Il faut nettoyer tout cela d’un coup grâce à lui [le tsunami] : la crasse (aka) que les Japonais ont accumulée dans leur cœur durant toutes ces années (sekinen tamatta Nihonjin no kokoro) ».
Le vocabulaire et la sémantique utilisés par Ishihara Shintarô dans sa déclaration jouent habilement sur plusieurs registres. La référence aux termes anglais de aidentitî (identity) et de popyurizumu (populism) connecte le Japon au monde. Elle permet la comparaison avec des pays comme l’Amérique et la France où chacun sait que la liberté et l’égalité règnent. C’est en réalité une référence à une image historique fantasmée de l’Occident, bloc inchangé et dominant, par rapport à un Japon qui, lui, aurait bougé mais perdu ses vertus, sous-entendu traditionnelles et historiques.
Il est pour le moins fantastique qu’un membre de l’élite aussi fortuné qu’Ishihara Shintarô, soutenant les piliers du capitalisme nippon, puisse s’en prendre à la cupidité supposée de ses concitoyens. Ce constat n’est pas faux, du moins en partie. Il surfe sur la vieille thématique nationaliste de la « perte des valeurs », et de la perte d’âme, ou du « cœur » (kokoro), leitmotiv du discours traditionaliste japonais. Mais il occulte complètement tout ce qui aurait provoqué cela. Le surplomb de la « punition du ciel », référence matinée de shintô primitif et de confucianisme sinisé, est paradoxal car le tsunami serait censé nettoyer les Japonais non plus au sens propre - ceux qui ont été inondés par le tsunami apprécieront - mais au sens figuré.
La « sortie » d’Ishihara a suscité des réactions hostiles. Mais il n’est pas sûr qu’elle ne fasse pas son effet en attaquant la sensibilité et le sens de la culpabilité, de la honte plutôt, très développé chez les Japonais. Ishihara retourne en outre à son profit, et contre l’Occident, l’étiquette de « populisme » dont il sait qu’il est accusé par les médias occidentaux. En survalorisant néanmoins l’Occident dans sa dimension identitaire et en dévalorisant le Japon, il cherche à fouetter l’énergie nationale nippone. Du coup, Ishihara vient s’ajouter au nipponisme des Occidentaux, à leur lecture myope et encore exotique du Japon pour frapper une cinquième fois les Japonais. Cela fait beaucoup pour eux.
À cette déclaration d’Ishihara Shintarô au Japon fait écho celle de Jean-Pierre Dupuy en France. En effet, ce philosophe, partisan d’un « catastrophisme éclairé », écrit, à propos du Japon, que « c’est comme si la Nature se dressait face à l’Homme et lui disait, du haut de ses rouleaux déferlants de vingt mètres [7] : “Tu as voulu dissimuler le mal qui t’habite en l’assimilant à ma violence. Mais ma violence est pure, en deçà de tes catégories de bien et de mal. Je te punis en prenant au mot l’assimilation que tu as faite entre instruments de mort et ma force immaculée. Péris donc par le tsunami !“ » [8]. Ce chrétien fervent explique immédiatement comment il fait le lien entre les instruments humains de mort et la violence de la nature en évoquant l’évacuation de l’île de Tinian dans les Mariannes : Tinian d’où partirent les B29 pour bombarder Hiroshima le 6 août 1945, « comme si la vague géante venait se venger de ces minuscules territoires qui avaient eu le tort d’abriter le feu sacré ».
Yes future
Que n’a-t-on pas entendu à propos du rapport des Japonais au nucléaire ! De la part de la vulgate journaliste occidentale, c’est la confusion la plus totale, et, disons-le nettement, de la contrevérité. L’holocauste atomique de Hiroshima et de Nagasaki ne peut pas, ne doit pas, être confondu avec un accident dans une centrale nucléaire, fût-il grave. D’ailleurs, les Japonais ne le font pas. Même le mouvement anti-nucléaire japonais se garde de faire l’amalgame. Hiroshima (140 000 morts à la fin de l’année 1945) et Nagasaki (70 000 morts), ce sont des bombardements, de surcroît accomplis par l’armée américaine. C’est la guerre, c’est l’histoire. C’est la défaite, puis la paix, puis la reconstruction, et une relative prospérité. Le Japon ne possède pas l’arme atomique. Il s’interdit de fabriquer tout armement nucléaire, d’en posséder et d’en utiliser, et même d’en faire transiter (même si l’armée américaine a probablement triché dans le passé). Le choix du nucléaire civil relève en revanche de décisions économiques et énergétiques, accélérées au cours des années 1970 après les premiers chocs pétroliers. Il remonte à 1955, quand la Diète autorisa des recherches dans ce domaine. Le premier réacteur nucléaire japonais commercialise de l’électricité en 1965.
La centrale de Fukushima, déjà en ligne de mire, aurait dû être fermée il y a un an. L’option nucléaire dans un pays à risque sismique très élevé, et dans des régions encore plus risquées, relève d’une irresponsabilité totale. Le plus incroyable est que les dégâts dans la centrale de Fukushima résultent surtout du tsunami, lequel a inondé des machineries essentielles pour le fonctionnement général, en particulier les systèmes de refroidissement. La construction de la centrale, bâtie au ras du niveau de la mer et à peine protégée par un modeste brise-lames, a visiblement sous-estimé le risque du tsunami. Le discours viril qui se propage chez certains au Japon, sur le registre du « on a connu les bombes atomiques, les séismes, on est prêt à mourir », traduit un désarroi dont profitent des hommes politiques comme Ishihara. Simultanément, des patrons n’hésitent pas à menacer de licenciement ceux qui ne viendraient pas à leur travail lors des pics de pollution nucléaire. Le fonctionnement collectif et le respect des consignes de sécurité qui ont limité les dégâts cachent finalement une incapacité sociale à critiquer des options qui entraînent la mort et la maladie. Du moins pour l’instant.
La question environnementale - évidemment sérieuse - masque également une dimension sociale et une dimension géopolitique. Les médias parlent beaucoup de Tepco, l’entreprise qui a construit les centrales nucléaires de Fukushima, et de ses techniciens. Ils négligent de dire que, conformément à une pratique déjà bien instaurée au Japon, les « liquidateurs » envoyés au cœur des réacteurs sont en quasi-totalité des sous-traitants, généralement des travailleurs journaliers recrutés sur le marché ad hoc de San’ya à Tôkyô. Cette utilisation du sous-prolétariat permet non seulement de faire des économies en termes de statut (pas de contrats à durée indéterminée, pas de retraites, pas d’assurances ni d’indemnisations), mais aussi de perdre la trace des contaminés, ce qui a déjà, lors des incidents nucléaires précédents, contribué à fausser gravement le bilan des dégâts. Mais cette dimension de « lutte des classes » n’est pas dans l’air écologique du temps. Quant à la dimension géopolitique, il faut souligner que la centrale a été construite en 1971 par l’entreprise américaine General Electric tandis que le troisième réacteur fonctionne avec un mélange d’uranium et de plutonium, le Mox, vendu par l’entreprise française Areva. Ce type de décisions, d’achat et de vente, est pris au plus haut sommet, et en fonction de paramètres politiques et internationaux parfois éloignés de la seule question énergétique.
Décidément, le Japon n’a pas de chance. Il ne fait parler de lui dans les médias que pour des catastrophes, rarement pour autre chose. De ce fait, il entre dans la rhétorique dominante sur les chocs et la fin du monde. En outre, les Japonais seraient décidément des êtres à part, fatalistes, assez bizarres pour vivre sur une telle terre, et le choix du nucléaire dans un espace sismique conforte cette vision des choses. La façon dont les médias français ont traité les événements le jour même, le lendemain et le surlendemain du grand séisme, révèle en tout cas comment l’Occident regarde ce pays, dans un mélange d’incompréhension apparente (en réalité fausse ou paresseuse), de condescendance (plus ou moins masquée, mais qui se révèle dans les moments aigus) et d’inquiétude (l’effet miroir, récurrent). Dans ce miroir, l’Occident ne projette en réalité que ses propres angoisses de mort, parfois à la limite du racisme.
Ce regard occidental est préoccupant. On pouvait en effet penser qu’à l’heure de l’information rapide et généralisée, dans un monde et à une époque où les livres scientifiques sur le Japon sont de plus en plus nombreux, à propos d’un pays qui est désormais facilement accessible et ouvert - comme en témoigne l’énorme intérêt des jeunesses du monde entier pour la J-Pop, la Japanese pop culture (manga, animê, musique, mouvement superflat, etc.) - un certain nombre d’idées reçues, d’approximations et de stupidités aurait été éliminé. Et cela sur deux points : les caractéristiques de la socioculture japonaise en général, et la question des risques en particulier, désormais bien traitée. Il n’en est donc rien. Cette non réception, ou bien cette mauvaise lecture (une mauvais écriture, alors ?) appelle à une modestie, dût-elle en souffrir, chez les chercheurs japonisants, et à une interrogation sur le pourquoi du comment.
Assurément, trop d’information ne signifie pas mieux d’information. Elle « tue l’information ». En fait, elle la propulse sur d’autres rails. Évidemment, les Journaux Télévisés de 13 heures et de 20 heures n’ont pas pour fonction d’éclairer le peuple télévisuel, même par un discours adapté à la compréhension de tous. Ces deux éléments ne sont pas nouveaux, ils sont confirmés. On peut leur ajouter deux autres réflexions. D’une part, il faut essayer de comprendre pourquoi persiste cette myopie occidentale sur le Japon (en parlant d’Occident, je prends évidemment le risque de simplifier et de généraliser). D’autre part, il convient de s’interroger sur l’absence d’un minimum de culture géographique chez les journalistes ou certains experts qui, du coup, n’ont pas contribué à éclaircir les choses. Faut-il y voir une perte du sens des lieux et de l’organisation des espaces ?
Flaubert disait que pour vivre heureux, il faut être pourvu de trois conditions, être bête, être égoïste et être en bonne santé, mais que si la première manquait, « tout était perdu » [9]. Peut-on cependant s’accommoder d’être bête, et de vivre bêtement ? Ce qu’il nous faut, ce n’est pas la fuite en avant, celle que nous tracent les dirigeants de ce monde, ni le catastrophisme plus ou moins éclairé, voire carrément obscurantiste, que nous dictent quelques gourous écolos. Ce dont l’humanité a besoin, à commencer par le Japon, c’est d’un retour aux lieux, à une prise de conscience de notre espace, ici et maintenant, dans une logique sociale ascendante (du bas vers le haut) et horizontale (de la commune habitée à la commune voisine), en repensant le lien global. Une « géographicité » horizontale est nécessaire pour repenser l’aménagement de notre espace.
De ce point de vue, le Japon peut à nouveau nous offrir quelque chose. De repoussoir qu’il était à l’époque du péril jaune, achevé dans l’holocauste atomique, à la fascination qu’ont ensuite exercée son système économique et sa technologie, il peut encore ouvrir des pistes. Après tout, il s’est relevé d’une guerre très meurtrière, sans armée pendant longtemps, sans bombe atomique, sans les attributs convenus de la puissance, puis il a rejoint le club des puissances riches et dominatrices sous la férule américaine. Il est temps que les Japonais réfléchissent davantage là-dessus.
Il est temps aussi, simultanément, que la jeunesse du Japon et du monde entier qui est fascinée par la J-Pop analyse de façon critique l’idéologie qui lui est en partie sous-jacente. Cette culture post-moderne est certes décomplexée vis-à-vis de la technologie, des robots et des outils informatiques divers, mais elle se combine aussi à un délire technologique dont les centrales nucléaires offertes aux séismes en sont les plus terribles expressions. La jeunesse japonaise qui n’a pas connu les bombardements de la guerre et qui fricote virtuellement avec les périls nucléaires ou militaires, les Godzilla ou les Akira, est désormais confrontée concrètement à une menace bien réelle. Cela va lui demander une prise de conscience, un fort esprit critique, une forme de renoncement, mais tel est l’enjeu du futur, et déjà du présent.
Philippe Pelletier