Nos camarades du RPM-M sont engagés dans des pourparlers de paix avec le gouvernement et tissent des liens de solidarité entre les « trois peuples » de l’île.
Le Parti révolutionnaire des travailleurs de Mindanao (RPM-M) est la section de la Quatrième Internationale aux Philippines. Il est surtout implanté dans la grande île du sud de l’archipel, étant issu d’une scission régionale du Parti communiste mao-stalinien. Mindanao constitue une « frontière économique » ; les multinationales convoitent ses richesses agricoles, forestières et minières. Au nom de l’anti-terrorisme, c’est ici que les Etats-Unis ont choisi d’intervenir pour justifier le retour de leurs troupes dans l’archipel : ils prennent pour cible commode les organisations musulmanes.
Nos camarades du RPM-M sont bien implantés dans le centre, l’ouest et le sud-ouest de l’île, là où se côtoient les « trois peuples » Moros (musulmans), lumad (« peuples indigènes ») et descendants des colons chrétiens venus d’autres régions de l’archipel. Là, aussi, où la militarisation du pays est la plus grave. L’armée et les paramilitaires, sous l’égide des USA, s’opposent aux unités du Front islamique de libération moro (MILF), aux forces d’autodéfense des lumad et aux guérillas communistes. Le RPM-M intervient au cœur d’une zone de conflits où se pose en permanence la question de la guerre et de la paix.
La société philippine est accueillante et les Philippins gentils. Mais les rapports de pouvoir peuvent être d’une violence extrême. En certains lieux, le fils d’un très chrétien propriétaire foncier peut assassiner un dirigeant paysan, l’émasculer puis donner son cerveau à manger aux cochons (on n’en retrouvera pas moins, dans son hacienda, la reproduction de la grotte de Lourdes !).
Se rendre de la ville d’Iligan à Cotobato City est l’occasion d’un curieux circuit touristique. Les postes de contrôle militaires sont omniprésents. Au détour d’un virage, mon guide, un camarade clandestin du RPM-M, note que le chef d’un département administratif est tombé ici, victime d’une embuscade ; tout le monde soupçonne son adjoint qui convoitait sa place. Plus loin, les troncs de cocotier sont troués d’impacts de balles : une violente bataille a opposé l’armée aux troupes du MILF qui contrôlaient alors une importante section de la route. A la périphérie d’une agglomération, un prêtre irlandais a été tué en résistant à un gang de kidnappeurs. En ville, un abribus porte à son tour traces de balles : trafiquants de drogue et soldats ont fait le coup de feu. La violence des armes, sous toutes ses formes.
Pourparlers de paix
Le RPM-M a engagé des pourparlers de paix avec le gouvernement. Mais ils s’enlisent. En 2002, l’un des camps de l’Armée révolutionnaire du peuple (RPA) a même été bombardé et investit par les militaires. L’accord ne se fait pas sur le contenu des négociations. Le RPM-M exige que la protection de l’environnement soit traitée. Le gouvernement refuse. La question concerne les droits des lumad : toute leur vie culturelle et sociale est liée aux forêts. Or, dans la région d’Upi notamment où nos camarades sont très actifs, compagnies forestières et minières ainsi que l’agro-industrie empiètent sur leurs territoires ancestraux.
Le RPM-M ne peut pas accepter que les droits de peuples indigènes soient ignorés par les négociateurs. Pour faire le point de la situation, il a organisé une conférence, à la mi-mai, avec des représentants d’organisations non-gouvernementales et populaires. Il a présenté l’enjeu des pourparlers, les raisons du blocage et en a appelé à la mobilisation. A ses yeux en effet, les négociations ne doivent pas se réduire à un tête-à-tête entre organisations politico-militaires, gouvernement et états-majors. Directement concernée, la population doit faire valoir ses exigences. Il n’est par exemple pas question de décider à la place des lumad les conditions d’une paix acceptable dans leurs territoires ancestraux.
Cette démarche ne concerne pas seulement les pourparlers engagés par le RPM-M. Nos camarades sont profondément investis dans l’animation d’un large mouvement de la paix, unitaire, à l’échelle de l’île entière. Il s’agit notamment de construire un consensus entre communautés sur le droit d’autodétermination des Moros.
Les négociations entre le MILF et Manille entrent dans une phase très politique. Des banderoles, tendues en travers des rues de Cotabato City, appelaient au nom du Comité central du MILF la population à se rendre fin mai à un immense rassemblement pour exprimer son soutien à l’organisation armée. D’autres banderoles dénonçaient la présence étasunienne.
Solidarités
L’un des risques actuels, c’est que les négociations entre le gouvernement et le MILF fassent l’impasse sur l’existence, au sein de la Région Autonome de Mindanao Moro (ARMM), de communautés lumad. Le régime philippin applique la vielle doctrine du « diviser pour régner ». A contrario, nos camarades cherchent constamment à tisser des solidarités, à porter des propositions à même de répondre simultanément aux droits des « trois peuples » de l’île. Cet objectif imprègne l’ensemble de leur intervention. Partout où cela est possible, les organisations de masse doivent comprendre des membres des diverses communautés. Pour porter secours aux victimes des conflits militaires ou de désastres naturels, des chrétiens seront envoyés chez les Moros et des Moros chez les lumad. Mujiv Hataman, le député d’AMIN (proche du parti) est un Moro, le second de la liste était lumad et le troisième chrétien. L’intervention femme dans les communautés musulmanes est difficile, mais les Moros qui rejoignent le RPM-M doivent avoir intégré cette dimension (une grande partie du travail politique de nos camarades est d’ailleurs animé par des militantes). En signe de solidarité, des jeunes venus de toute l’île participeront prochainement dans la région d’Upi à un camp d’été (qui s’inspire de l’expérience européenne à laquelle des Philippins participent régulièrement).
On touche ici à l’un des traits les plus intéressants de l’activité du RPM-M : comment, dans une zone de conflits armés, tisser des liens de solidarité entre diverses communautés pour éviter que les droits de chacune ne s’expriment indépendamment des autres, pour que les combats populaires convergent au lieu d’entrer en concurrence.
Pierre Rousset