Selon une étude du Pew Center de 2009, un adulte américain sur cent est incarcéré et un sur quarante-cinq est en liberté conditionnelle. Citoyen français ayant étudié le droit aux Etats-Unis, j’ai pu observer la dureté du système pénal américain lors de mes trois années de pratique comme public defender, avocat de défense des personnes indigentes, à la Cour d’appel de Manhattan.
Pour une première condamnation mineure, l’accusé obtient parfois une brève période de détention ou la liberté conditionnelle. Mais le barème des peines augmente considérablement si l’accusé a un ou plusieurs antécédents judiciaires, graves ou non.
Pour des délits tels qu’une vente de 15 dollars (10 euros) de drogue, les accusés écopent assez fréquemment de cinq à dix ans de prison s’ils ont déjà commis le même type de crime. Peu de fonds sont investis dans la réhabilitation des détenus, et leur incarcération prolongée est parfois décrite par le terme warehousing (« entreposage »). On sait pourtant qu’une longue période de prison nuit à la réinsertion et peut déstabiliser les détenus, voire les rendre plus dangereux.
Pour les crimes classifiés comme violents ou potentiellement violents, les peines sont les plus impitoyables. Plusieurs cambriolages peuvent mener au-delà d’une douzaine d’années de prison. La peine de perpétuité est régulièrement prononcée dans les cas de meurtre, peu importent les circonstances atténuantes comme le jeune âge de l’accusé ou ses troubles mentaux.
Les personnes condamnées pour crimes sexuels, semblables à celui dont DSK est accusé, peuvent être incarcérées pour des décennies. Elles sont ensuite tenues de s’inscrire sur le registre des sex offenders (« criminels sexuels »), une forme de liste noire qui peut être d’accès public. En ce qui concerne la peine de mort, une décision judiciaire l’a rendue inapplicable dans l’Etat de New York, en dépit de l’opposition des républicains.
Les sentences imposées dans cet Etat ne sont pas plus sévères que dans la majeure partie du pays et parfois plus « clémentes » que dans le Sud, comme j’ai pu le constater en visitant le sinistre couloir de la mort en Alabama. Cependant, les personnes aisées échappent habituellement aux sentences draconiennes en raison de leur statut social et des services de meilleurs avocats. Les peines particulièrement dures sont infligées aux indigents, notamment noirs et latinos, mais aussi à de nombreux Blancs défavorisés de l’« Amérique profonde ».
L’ampleur du budget consacré à l’emprisonnement massif des pauvres soustrait des fonds qui pourraient être utilisés pour développer les programmes de prévention de la délinquance, améliorer les écoles publiques ou financer un système de santé public universel jugé trop coûteux.
Il s’agit d’un système de justice sans procès. Les affaires pénales sont en très grande majorité résolues par des accords de plaider-coupable entre le procureur et l’accusé, où une peine plus indulgente - néanmoins souvent très longue - est rendue, car l’accusé a reconnu sa responsabilité et évité à l’Etat les frais d’un procès.
Si un accusé est condamné par un jury à propos d’un crime pour lequel il aurait pu plaider coupable, le juge lui donnera couramment une peine plus importante afin de le sanctionner non officiellement, ce que l’on peut appelle, de façon informelle, le trial tax (« taxe du procès »). Etant donné la dureté des peines encourues, peu d’accusés se risquent à aller jusqu’au procès.
Certes, les crimes graves peuvent mériter de lourdes peines, pour punir le coupable, dissuader les infractions et protéger la société. Outre l’utilisation de la peine de mort - violation fondamentale des droits de l’homme - dans de nombreux Etats, la particularité du système américain réside en la manière dont des peines draconiennes sont imposées de façon routinière.
Les politiques, procureurs et juges ne prêtent guère attention aux conséquences sociopolitiques et humaines d’un système si répressif. Les avocats qui plaident que l’imposition de peines excessivement longues déshumanise la justice sont rarement pris au sérieux. Le dicton « You do the crime, you do the time » (littéralement : « tu fais le crime, tu fais le temps ») résume l’attitude des principaux responsables, que l’on pourrait qualifier d’antihumanistes. Leur conception de la justice reflète un certain populisme.
Nombre d’entre eux ne portent aucun intérêt à la criminologie ni aux sciences humaines et sociales, disciplines qu’ils estiment non pertinentes à l’entendement des questions pénales. Ils prêtent peu d’attention aux études démontrant à quel point leurs politiques sont contre-productives et coûteuses. Certains Américains, surtout parmi les progressistes et les intellectuels, s’élèvent contre ce système pénal, quoique la plupart ignorent à quel point il est incommensurablement plus répressif que celui de toute autre démocratie. Une véritable réforme n’est aucunement sur l’agenda politique.
On entend continuellement dire en France que la justice est laxiste, une préoccupation exploitée par une partie de la classe politique. Le cas des Etats-Unis démontre toutefois que la répressivité ne rend pas forcément une société plus sûre, étant donné qu’il s’agit du pays ayant de loin le plus fort taux d’homicide en Occident.
La délinquance et la criminalité sont des problèmes sociaux qui ne peuvent aisément être résolus, mais il semble qu’il y ait peu de volonté politique aux Etats-Unis tout comme en France de traiter le fond de ces questions.
Mugambi Jouet, juriste au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie à La Haye