Prologue
Aujourd’hui, vendredi 20
mai à 9 h. du soir, à la
Puerta del Sol (Madrid)
et sur d’autres places dans plus
d’une centaine de villes de l’Etat
espagnol, des dizaines de milliers
de personnes manifestent leur indignation
contre la dictature des
marchés et contre un système politique.
Elles contestent la prétendue
représentativité de ce dernier
et partagent l’espoir d’une autre
société et d’une autre politique :
les uns l’appellent « démocratie
réelle », les autres « révolution ».
L’enthousiasme excuse les hyperboles
abondantes à propos de
ce mouvement, qui a débuté le 15
mai à Madrid. On fait des analogies
avec la prise de la Bastille [14
juillet 1789], la Commune de Paris
[18 mars-28 mai 1871] ou avec la
place Tahrir [Le Caire, dès le 25
janvier 2011].
Bien sûr, nous ne sommes pas
en présence d’une révolution,
même s’il s’agit peut-être du désir
de voir une révolution en finir avec
le vieux monde capitaliste.
Après 18 jours, l’ayant payé de
846 morts, de milliers de blessés
et de détenus, les manifestant·e·s
de la place Tahrir ont affronté
une dictature sanguinaire et obtenu
la chute du dictateur [Hosni
Moubarak]. C’est l’une des épopées
les plus héroïques de notre
époque. En revanche, dans mon
pays, nous assistons aujourd’hui à
un soulèvement d’indignation citoyenne,
rien de moins et rien de
plus, porté par un cri collectif : « Ça
suffi t ! ». Certes, on peut y décerner
l’« écho » des révolutions arabes :
– Par exemple, l’occupation d’un
espace public pour en faire effectivement
un espace public, et non
plus de simples lieux de passage
pour des consommateurs et des
passants renfermés, femmes et
hommes ; de petites villes alternatives
basées sur la coexistence,
l’échange des idées, la reconnaissance
des intérêts, des amis et des
ennemis communs, des villages de
la « cité future » ;
– Le potentiel organisationnel de
la communication par le biais
des réseaux sociaux, qui permet
de partager les informations et
les opinions en comprimant le
temps et l’espace, d’une manière
instantanée et proche, sans doute
chaotique, mais adéquate pour ce
mouvement qui surgit, pluriel et
divers – particulièrement dans sa
composante jeune, pour laquelle
le réseau est une forme de relation
sociale naturelle ;
– Enfin, le dépassement et le rejet
de la peur, qui sera mis à l’épreuve
ce soir à minuit, lorsqu’entrera en
vigueur l’interdiction des campements
par la junte électorale et
l’exigence de leur démantèlement
par la police. Les gens du « 15 mai »
– nom que s’est donné le mouvement,
en référence à sa date de
naissance – ont déjà dit qu’ils ne
bougeraient pas. Et ils ne bougeront
pas.
Ces échos semblent, et heureusement
qu’ils le sont, les héritiers
d’un internationalisme du
21e siècle, fait d’apprentissage et
de fraternité. Cet internationalisme
ne transmet ni programme
ni consignes, mais des impulsions
à l’imagination, cette puissance
révolutionnaire si oubliée et si nécessaire,
spécialement pour ouvrir
des chemins, là où il semble ne
pas en exister. On me dit qu’aujourd’hui
même des dizaines de
personnes se sont rassemblées à
Genève en solidarité avec le mouvement
du 15 mai ; des actions
similaires se produisent dans
d’autres lieux du monde, écoutant
aussi les échos qui arrivent des
campements de mon pays, comme
un message dans une bouteille
lancée à la mer du capitalisme
pour dire : « Faites comme nous ! ».
Enfin, il existe une mer et les tempêtes
s’approchent.
Le mouvement du 15 mai a
conquis en à peine quelques
jours une légitimité énorme en
désobéissant aux normes établies,
en exerçant des droits sans
se demander si ceux-ci sont autorisés
ou non par les pouvoirs et les
règles qui régissent la servitude citoyenne
quotidienne. Là se trouve,
me semble-t-il, la valeur la plus
importante de cette expérience vécue
par des milliers de personnes.
raison pour laquelle il ne faut pas
la considérer comme un bel, mais
éphémère, feu d’artifice : c’est une
lumière durable qui nous montre
des brèches que nous ne voyions
pas auparavant.
C’est aussi un réveil qui interpelle
la société, qui lui pose
des problèmes politiques réels,
par-delà les rites ennuyeux des
campagnes électorales. Depuis le
15 mai, bien que nous nous trouvions
en pleine campagne pour
les élections municipales et régionales,
le mouvement – et non les
campagnes des candidat·e·s – est
le protagoniste de l’actualité politique.
Ce mouvement interpelle aussi
les « avant-gardes », heureusement
débordées par un événement imprévisible,
pour lequel il n’y a pas
de réponse dans les livres, dans lequel
il s’agit surtout d’apprendre et
de participer, en faisant que l’enthousiasme
partagé n’évite pas
de regarder le mouvement réel en
face, sans trop le théoriser quand
il vient à peine de naître.
Chaque mouvement social
construit sa propre grammaire.
nous pouvons comprendre
plus ou moins difficilement les
grammaires de l’écologisme, du
féminisme, du syndicalisme…
Mais nous avons plus de peine à
comprendre la grammaire de ce
nouveau mouvement, parce qu’il
se construit maintenant, entre
consensus et conflits, dont nous
ne savons pas où ils vont aller, ni
même s’ils déboucheront sur un
mouvement social articulé.
En tout cas, le mouvement du
15 mai est maintenant sans aucun
doute « le mouvement réel qui critique
l’ordre existant », ou pour le
dire d’une autre manière, « l’anticapitalisme
social réellement existant
». il a sans doute devant lui un
avenir difficile, très exigeant. Mais
nous pouvons dire avec confiance
que plus rien ne sera comme avant
et que tout sera meilleur qu’avant.
I.
Je voulais commencer par
une note d’espoir, parce qu’il
y a peu de raisons d’espérer
dans les pays concernés par mon
exposé : le Portugal, l’irlande, la
Grèce et l’Espagne. Trois d’entre
eux sont déjà soumis aux plans de
sauvetage de la « troïka » barbare :
Fonds monétaire international
(FMi), Union européenne (UE)
et Banque centrale européenne
(BCE). Le quatrième – mon pays,
l’Espagne – se trouve sur une frontière
mouvante et peut connaître
dans ces prochains mois une situation
similaire, selon la volonté des
« marchés ». Un guignol – parmi
tous les chroniqueurs qui sévissent
dans les pages d’opinion des
grands médias – s’est cru spirituel
en baptisant ces quatre pays
« PIGS », c’est-à-dire « cochons ».
Le cochon est un animal sympathique,
particulièrement généreux
pour l’alimentation humaine. Si
l’on veut utiliser son nom comme
insulte, il faudrait l’appliquer à
cette « troïka » d’agents de la finance,
mal déguisés en services
publics, ou à leurs dirigeants en
fonction, ou qui ont récemment
démissionné.
On parle d’« aide », de « plan de
sauvetage ». Quel sauvetage ? Le
Bloc de Gauche (Portugal) a dénoncé
très clairement le contenu
de ces plans : sur la supposée
« aide » de 78 milliards d’euros
accordée récemment au Portugal,
12 milliards sont destinés aux
banques portugaises ; 50 milliards
aux créanciers étrangers (en majorité
de grands groupes financiers
européens) ; de plus, les intérêts de
cette « aide » coûteront au peuple
portugais des montants s’élevant à
30 milliards d’euros.
Ainsi, en même temps que l’on
détruit l’« Etat-providence » pour
la population, on crée un « Etat providence
» pour la finance, dont
les classes travailleuses payent le
coût avec le chômage, les baisses
de salaires, les coupes dans les services
publics et la perte de droits
sociaux.
Le chômage est le problème social
le plus grave de ces pays : son
taux est de 16 % en irlande, de 20 %
en Espagne. il est bien plus élevé
pour les jeunes : 45 % en Espagne.
On comprend bien la nature de ces
aides, en constatant qu’en Grèce
– qui a déjà enduré une année de
« sauvetage », mille emplois disparaissent
chaque jour. Nul ne doute
que des processus similaires se dérouleront
dans ces pays durant de
longues années, si l’on ne réussit
pas à imposer une résistance efficace à cette version européenne
des néfastes « plans d’ajustement
structurels », qui – sous l’égide du
FMi – ont dévasté tant de pays du
Sud dans les années 1980.
Dans ces conditions, ce qui est
étrange, ce ne sont pas les campements
sur les places de mon pays.
Ce qui devrait nous étonner, c’est
qu’ils aient tant tardé et qu’ils ne
se soient pas déjà étendus à toute
l’Europe.
II.
Alors que la plus grande
crise du capitalisme de
ce dernier siècle dure
depuis trois ans, pourquoi des
explosions sociales importantes
n’ont-elles pas eu lieu ? Je propose
quelques idées pour en débattre,
qui pourront ensuite servir
à mieux définir nos tâches.
1. Socialement, la crise avance
comme une inondation lente,
mais constante : elle progresse
du bas vers le haut de l’édifice
social et commence déjà à toucher
sérieusement les secteurs
de « consommateurs solvables »,
qui pensent pourtant pouvoir y
échapper et sont la base de la stabilité
économique et sociale du
système ; dans les pays, dont nous
traitons, ces secteurs représentent
30-40 % de la population.
« Etre sauvé des conséquences de la
crise », cela signifie fondamentalement
disposer de revenus qui permettent
d’acheter sur le marché
les services et les droits sociaux
dont la majorité de la population
se trouve privée par les politiques
d’« ajustement ». A mesure que ce
pouvoir d’achat se détériore, on
valorise les services et les droits
sociaux perdus. Ainsi, les consensus
sociaux actifs qui soutiennent
le système tendent à s’affaiblir et
des possibilités de convergences
s’ouvrent entre une partie de ces
secteurs sociaux et les classes travailleuses
qui souffrent déjà des effets
de la crise dans toute sa dureté.
2. La majorité de la population
est déjà sérieusement affectée par
la crise, mais elle ne dispose pas
d’outils de lutte sociale et politique
pour y faire face. raison pour laquelle
elle ne se reconnaît pas
elle-même comme sujet collectif,
avec une conscience claire de
l’adversaire et avec la conviction
qu’il est possible de l’affronter et
de le vaincre. Dans ces conditions,
un malaise fragmenté se fait jour :
les victimes de la crise se regroupent
en « poches » sans relations
entre elles ; elles n’ont pas d’expériences
continues d’action commune
; elles manquent d’une expression
politique qui orienterait
leur désespoir et leur rage contre
le capitalisme, et elles se trouvent
mal protégées face à la démagogie
de la droite et de l’extrême droite.
Après trente ans de néolibéralisme
aux effets dévastateurs – non seulement
sociaux et politiques, mais
aussi idéologiques et moraux -, la
dynamique dominante du malaise
social ne s’oriente pas naturellement
vers la gauche. il existe
déjà de nombreuses preuves que
ce malaise peut bénéficier à la
droite et à l’extrême-droite, bien
que dans le cas de nos quatre pays,
l’extrême droite n’a pas encore une
expression politique autonome significative.
On peut estimer qu’il
s’agit d’un paradoxe, mais en réalité,
à l’occasion de la plus grave
crise capitaliste, il faut ramer à
contre-courant pour construire
une alternative anti-capitaliste.
3. Les organisations appelés en
premier lieu à défendre les intérêts
des victimes de la crise sont les
« institutions de la gauche » : syndicats
majoritaires et partis parlementaires.
Leur échec cuisant
contribue de manière décisive à la
démoralisation et à la désorientation
des classes travailleuses.
Il est certain que les syndicats
majoritaires sont indispensables
pour organiser des mobilisations
et des grèves générales (ou qui
tentent de l’être). De fait, ils les
ont organisées au Portugal, en Espagne
et, à dix reprises, en Grèce.
Ce sont les organisations sociales
les plus nombreuses dans ces
pays : une affiliation syndicale de
quelque 40 % en irlande, 22 % en
Grèce, 20 % en Espagne, 16 % au
Portugal. Mais, depuis plus de
trente ans, ils ont été incapables
de résister à l’avance du capitalisme
néolibéral. ils ont ainsi développé
et consolidé une culture
de la négociation à la baisse, en
abandonnant les secteurs les plus
vulnérables : les chômeurs et les
chômeuses, les immigré·e·s, les
jeunes précaires…
La chute de cinq
points en moyenne de la participation
des salaires au revenu national
durant la dernière décennie
est la conséquence claire de ces
politiques. Les syndicats majoritaires
n’ont ni la volonté politique,
ni la conscience et l’énergie militante
pour mener la lutte en faveur
d’une alternative à la « dictature
des marchés ». Ainsi peut-on comprendre
que dans une enquête
publiée récemment par le journal
El Pais, relative à la confiance des
citoyen·ne·s dans les organisations
et les institutions, les syndicats
arrivent en queue de peloton, audessous
des banques, juste avant
les partis politiques et les multinationales.
Quant au système politique, il
repose sur un « bipartisme » tournant,
où la droite et les partis dénommés
« socialistes » se partagent
le pouvoir. Dans le cas de l’irlande,
l’alternance se fait régulièrement
entre deux partis nationalistes de
« centre-droite », Fianna Fáil [parti
républicain légal fondé au milieu
des années 1930, après la guerre
d’indépendance et la guerre civile,
ndt] et Fine Gael [fondé à
la même époque par les partisans
du traité de partage de l’irlande en
1922, ndt]. En situation de crise
économique, le parti gouvernemental
en place perd les élections,
sans que cela signifie un déplacement
significatif de la population
vers la droite ou vers la gauche, ni
une changement des orientations
économiques fondamentales [1].
4. Enfin, la gauche anticapitaliste
ne progresse pas, là où elle a acquis
un poids politique important
(Portugal, Grèce), et elle est
toujours loin d’incarner une référence
politique significative en
Irlande et dans l’Etat espagnol ; en
Irlande, l’opposition populaire à la
politique d’ajustement s’est orientée
vers le parti nationaliste Sinn
Fein [parti républicain historique,
fondé au début du 20e siècle, qui
fut pendant plusieurs décennies
le bras politique de l’Armée républicaine
irlandaise, IRA, et co-gouverne
simultanément l’Ulster avec
les unionistes protestants, loyaux à
la couronne britannique, ndt].
Si nous mettons ces faits en rapport
avec la situation difficile du Nouveau
Parti anticapitaliste (NPA) en
France et les reculs électoraux successifs
de Die Linke en Allemagne,
alors que les Verts avancent, le panorama
n’autorise pas une interprétation
générale simple – parce
que le Bloco de Esquerda, le NPA,
Syriza [coalition électorale de la
gauche anticapitaliste grecque,
ndt] ou Die Linke, pour nous référer
aux plus grandes organisations,
mènent des politiques très
différentes, mais aucune d’entre
elle ne permet d’avancer – et invite
à une réflexion de fonds et prolongée,
de préférence dans un cadre
européen.
III.
Comme contribution très
élémentaire, je propose
quelques thèmes de réflexion :
1. Pour reprendre une idée très
stimulante d’Alain Bihr, les partis
gouvernants – quelle que soit leur
orientation politique – ne cherchent
plus prioritairement à être
légitimés par la population, mais
par les marchés. Dans ces conditions,
le répertoire traditionnel
des actions de masse et de protestation
– grandes manifestations,
grèves générales – les affecte peu
en soi, lorsque ces actions ne font
pas partie de plans de lutte plus
larges et prolongées. il faut donc
penser à de nouveaux répertoires
d’action.
2. Pour les populations, les
politiques d’ajustement prennent
l’aspect de « mandats impératifs »
sur lesquels il n’est pas possible
d’agir par les procédures légalement
établies : votes lors d’élections,
grèves ou autres actions
qui acceptent les cadres légaux,
chaque jour plus restrictifs et
adaptés aux intérêts des « institutions
de la gauche ».
3. L’ampleur et la multiplicité des
agressions – emploi, retraites,
soins, politiques énergétiques,
services publics, privatisations,
flux de fonds publics vers le secteur
privé, directement ou indirectement
déterminés par l’ « ajustement
structurel » - rendent peu
crédibles les objectifs de réforme
portant sur des problèmes particuliers
et requiert des alternatives
nécessairement globales, mais pas
forcément anticapitalistes. Dans
des conditions de faiblesse des
rapports de forces, ces alternatives
– y compris comme version actualisée
d’un programme de réformes
style « Etat social » - semblent inatteignables.
4. L’absence de résultats par la
lutte affaiblit la confiance dans
l’action collective. Un processus
d’accumulation de forces doit en
effet se baser sur des succès partiels.
5. En conclusion, l’ensemble de
ces facteurs débouche sur l’absence
d’espoir de changements
positifs dans la majorité de la
population. Cela confirme ainsi
le slogan néolibéral : « Il n’y a
pas d’alternatives », pas au sens
programmatique, mais quant
aux possibilités de changer de
manière significative l’évolution
de la situation. Le défi, c’est
de savoir comment obtenir que
les objectifs, considérés comme
justes par les classes travailleuses,
soient aussi jugés possibles. C’est
seulement ainsi que les majorités
sociales victimes de la crise capitalistes
pourront croire (ou croire
à nouveau) à l’utilité de la lutte.
IV.
Que faire et comment le
faire ? Seule l’expérience
de nouvelles luttes sociales
peut le révéler. Au mieux, nous
pouvons examiner quelques pistes
très générales et qui tentent d’être
praticables :
1. Les problèmes sont urgents,
mais les alternatives et les rapports
de force pour y faire face
doivent être envisagés à moyen
terme. Cette discordance des
temps devrait nous inciter à prioriser
des campagnes avec une
certaine stabilité et un caractère
largement unitaire. Pour cela,
il est fondamental d’éviter les
consensus imposés d’en haut et
d’apprendre à gérer démocratiquement
les désaccords et les
conflits inévitables.
2. il y a une grande convergence
dans la gauche sociale et politique
sur d’importantes revendications
de base (politique fiscale, emploi,
opposition à l’énergie nucléaire,
services sociaux : santé, éducation,
soins, etc.) ; le problème, c’est
de leur donner une crédibilité et
un appui social. En ce sens, une
campagne commune à moyen
terme pourrait être très utile : par
exemple, pour l’audit de la dette.
Cela touche une question centrale
de la politique économique,
peut servir de « pont » pour relier
des problèmes immédiats avec
des objectifs anticapitalistes, et
peut gagner une large légitimité
sociale.
3. il est nécessaire d’élargir nos répertoires
d’action en prêtant attention
surtout aux nouvelles formes
de luttes surgies « d’en bas » : par
exemple, les campements actuels ;
mais aussi, les expériences de blocage
de l’économie réalisées lors
des grèves françaises [contre la
« réforme » des retraites] d’octobre
2010. Ces actions débordent la légalité
et doivent se protéger de la
répression policière et judiciaire
– qui constitue déjà un grave problème
en Grèce. Obtenir une forte
légitimité sociale, c’est la première
condition.
4. il faudrait donner sens à la
gauche politique anticapitaliste en
fonction d’une politique à moyen
terme. La réflexion et les débats
sur les problèmes théoriques et
stratégiques sont nécessaires,
mais nous ne disposons pas de la
base indispensable d’expériences
pratiques actuelles pour pouvoir
les lier à la politique concrète.
Plus, précisément, l’une des plus
grandes difficultés pour la politique
anticapitaliste, c’est de
trouver des « ponts » pratiquement
effi caces pour relier les résistances
et les indignations déjà présentes
aux objectifs futurs de renversement
du capitalisme. Pour cela,
il faut éviter ce que l’on pourrait
appeler la « fuite stratégique »,
dans le sens de remplacer par des
débats conceptuels et des analogies
historiques la diffi culté à développer
des politiques concrètes,
orientées sur le moyen terme.
5. Finalement, il manque des objectifs
forts pour donner un sens
aux nécessaires résistances immédiates.
Mais il faut savoir mesurer
bien les temps. Par exemple,
parmi ces objectifs, il me paraît
spécialement important de briser
l’actuel champ politique de la
gauche. Un projet qui aspire à
être socialement crédible pour
affronter la classe capitaliste en
défendant les intérêts des classes
travailleuses devrait comprendre
la nécessité de créer une force politique
qui mette fin à la majorité
politique des « partis socialistes »
au sein du « peuple de gauche » et
au régime bipartite d’alternance
au pouvoir.
Mais si cet objectif est
fixé comme une tâche immédiate
sans compter sur le besoin préalable
de construire un rapport de
forces social puissant – un rapport
de force qui semble n’exister dans
aucun des pays dont nous avons
traité – qui le porte et le rende
crédible, il peut se transformer en
slogan de propagande vide ou en
opération tactique sans avenir.
V.
Pour terminer, je vais revenir
aux campements.
il serait aventureux de
prévoir que ceux-ci réussissent à
se muer en mouvement social à
moyen terme, capable de confluer
et de s’articuler avec d’autres mouvements
: féministe, écologiste,
syndicaliste combatif… Quelque
chose qui pourrait même parvenir
à remplacer, à l’échelle internationale,
le mouvement « altermondialiste
» moribond. Peut-être, devront-ils se borner à être, durant
un temps, l’expression active de
sentiments et d’aspirations très largement
partagées, mais difficiles à
formuler en termes concrets d’accord
collectif. En tout cas, pour la
gauche anticapitaliste – au moins,
mais pas seulement, dans l’Etat espagnol
–, il est vital d’y participer,
en partageant ses expériences, ses
débats, ses espoirs…
Comment être « dedans » ?
Pour paraphraser le Manifeste
communiste, sans avoir d’intérêts
propres qui nous séparent
du mouvement ; en ayant pour
seul signe distinctif de représenter
toujours les intérêts du mouvement
dans son ensemble et sa
dimension internationale. Ainsi,
nous parviendrons à convertir
l’indignation individuelle de
nombreuses personnes en lutte
collective pour la dignité. Voici,
en conclusion, un bon résumé
de la politique anticapitaliste
que nous devons défendre.
Miguel Romero
Democratia real Ya !
Nous, chômeurs, mal rémunérés,
temporaires, précaires,
jeunes… voulons un
changement et un avenir
digne. Nous sommes écœurés
des réformes antisociales ;
d’être livrés au chômage ; que
les banques qui ont provoqué
la crise augmentent nos taux
hypothécaires ou saisissent
nos logements ; qu’on nous
impose des lois qui limitent
nos libertés au profit des
puissants. Nous accusons
les pouvoirs politiques et
économiques de notre situation
précaire et exigeons
un changement de cap. (…)
Nous entendons aider à coordonner
des actions globales
communes de toutes les associations,
groupes et mouvements
citoyens qui, par
différents moyens, tentent
de contribuer à un changement
de la situation. (…) En
avant pour la paix et la justice
sociale ! Ensemble nous
pouvons ! (www.democraciarealya.
es)
Manifeste
« Nous sommes comme toi :
des personnes qui se lèvent le
matin pour étudier, pour travailler
ou pour chercher du
travail ; qui ont une famille et
des amis ; qui travaillent dur,
tous les jours, pour vivre et
assurer un avenir meilleur à
ceux qui les entourent. (…)
Nous sommes préoccupés
et indignés par la situation
politique, économique et sociale
autour de nous. (…) Par
l’absence de protection des
citoyens ordinaires. (…) C’est
le moment de nous mettre en
mouvement pour construire
tous ensemble une société
meilleure. Nous défendons
fermement les options suivantes
:
Instaurer l’égalité, le progrès,
la solidarité, le libre
accès à la culture, la « durabilité
» écologique et le développement,
le bien-être et le
bonheur. Assurer nos droits
fondamentaux : logement,
travail, culture, soins, éducation,
participation politique,
libre développement de la
personne, consommation
permettant une vie saine et
heureuse ; (…) Promouvoir
une démocratie issue du
peuple. (…)
La majorité de la classe politique
ne nous écoute pas.
Ses fonctions devraient être
de porter notre parole dans
les institutions, facilitant la
participation citoyenne à
travers des canaux directs et
d’assurer le mieux-être de la
société (…)
L’avidité et l’accumulation
du pouvoir dans les mains
d’un nombre restreint engendre
l’inégalité, la crispation,
l’injustice, ce qui conduit
à la violence que nous rejetons.
(…) La volonté et le but
du système sont l’accumulation
d’argent, lui donnant la
priorité sur l’efficacité et le
bien-être de la société. Pillant
les ressources, détruisant la
planète, provoquant le chômage
et des consommateurs
malheureux. (…)
Nous sommes des anonymes,
mais sans nous rien
n’existerait, car nous faisons
bouger le monde. (…) Une
révolution éthique est nécessaire.
Nous avons placé l’argent
au-dessus de l’être humain
et nous devons le mettre
à notre service. Nous sommes
des personnes et non des produits
pour le marché.