Depuis février, venus d’Afrique, les palmipèdes traversent la France pour rejoindre leurs zones de nidification. C’est la migration « de retour », qui s’opère sans provoquer l’explosion annoncée de grippe aviaire. Dans son édition du 14 mai dernier, Le Monde s’interroge, titrant : « pourquoi on a tout mis sur le dos des canards sauvages » ? [1] Bonne question car, le redoutable vecteur d’expansion de la maladie en Europe comme en Afrique s’avère être le « poulet migrateur », par les voies du commerce - légal ou clandestin - de volailles, et non cette malheureuse avifaune tant décriée.
Si l’alerte au canard sauvage n’avait été qu’une mesure de précaution supplémentaire, due à l’imperfection des connaissances, la question posée par Le Monde ne serait pas si incisive. Mais, comme le note Olivier Dehoter, ornithologue au Muséum d’histoire naturelle, « les gouvernements ont généralement demandé des expertises sur l’impact des migrateurs et jamais sur les routes commerciales, ou sur la porosité de certaines frontières aux trafics ». On a pourtant toujours su que le commerce constituait le canal principal d’expansion de la grippe aviaire - et qu’en ce domaine, une action publique internationale pouvait être autrement efficace que sur les déplacements de la faune sauvage, libre du contrôle des Etats.
Parmi les « aspects sous-traités » de la crise aviaire, par opposition à notre canard sur-médiatisé, François Moutou, épidémiologiste à l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) relève notamment « les immenses problèmes économiques posés par l’épizootie dans les pays pauvres ». Le professeur Alain Goudeau (chef du département de bactériologie-virologie au CHU de Tours) dénonce le silence pudique des autorités sur « le fait que le tissu hospitalier français - qui travaille aujourd’hui à flux tendu - sera incapable de répondre » à une éventuelle épidémie de grippe humaine « hautement pathogène ». Bernard Vallat, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) veut trouver à la « surmédiatisation » de la crise des apects positifs (« l’élaboration de plans nationaux de lutte ») ; il n’en note pas moins que l’approche « migration » a pu conduire des « décideurs politiques » « à freiner les investissements indispensables pour prévenir et combattre la maladie à sa source animale dès qu’elle est apparue en Asie, autorisant ainsi le virus à coloniser les trois quarts de la planète ».
La « com » gouvernementale nous aurait-elle pris pour les dindons d’une farce médiatique ? En tout cas, s’il vous plaît, ne détruisez pas ce printemps les nids d’hirondelle ! Elles ne sont pas responsables de la très humaine expansion d’une maladie animale, la grippe aviaire.
Note
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