L’appui du monde agricole vaut-il une ou deux marées vertes ? Jeudi 7 juillet, Nicolas Sarkozy, s’exprimant sur le sujet des algues vertes lors d’une visite à Crozon (Finistère), refusait « de désigner des coupables, de montrer du doigt les agriculteurs », et dénonçait les « intégristes » de l’écologie.
Coïncidence malheureuse, le même jour, vient de révéler la préfecture des Côtes-d’Armor, deux marcassins étaient retrouvés morts sur la plage Saint-Maurice, à Morieux, envahie par une marée verte. Une plage aussitôt fermée en raison des poches de gaz toxique dans les amas d’algues vertes en décomposition.
Dopée par les rejets d’azote dus à l’agriculture et à l’élevage et par une météo favorable, la prolifération des algues vertes s’est accentuée cette saison : fin juin, 25 000 m3 avaient été ramassés en Bretagne, le double de juin 2010.
A Crozon, le chef de l’Etat a affirmé deux priorités pour enrayer le phénomène : le ramassage des algues et le développement de la méthanisation, qui transforme en biogaz le lisier riche en azote.
Une double erreur, selon Alain Menesguen, directeur de recherche à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Ce spécialiste de la modélisation des écosystèmes marins côtiers a été l’un des premiers à démontrer la responsabilité des épandages agricoles dans la prolifération des algues vertes.
Avez-vous été surpris par les déclarations du chef de l’Etat ?
Alain Menesguen : C’est un discours un peu étonnant, parce qu’on pensait avoir enfin franchi un tournant en août 2009, lors de la visite du premier ministre, François Fillon, à Saint-Michel-en-Grève, après la mort d’un cheval. Pour la première fois, les services de l’Etat avaient alors reconnu officiellement que les nitrates agricoles étaient à l’origine des marées vertes.
Cette reconnaissance suit-elle les premières morts suspectes ?
Bien avant 2009, il y avait de nombreux cas de chiens trouvés morts sur des plages. Officiellement, ce n’était jamais dû aux algues vertes.
La responsabilité de l’agriculture est-elle une certitude ?
On a longtemps accusé les eaux urbaines, les stations d’épuration, les rejets de phosphate, ce qui a conduit l’administration à apporter de mauvaises réponses au problème pendant des années. Pourtant, nos travaux ont démontré, depuis 1988, qu’il faut trois conditions pour obtenir une marée verte : de la lumière, donc des eaux peu profondes ; des courants faibles ; enfin, beaucoup d’azote, dont se nourrissent ces algues.
Depuis cinquante ans, l’apport en azote des rivières bretonnes a fortement augmenté. Les recherches ont prouvé que de 90 % à 99 % des apports azotés venaient du lessivage des terres agricoles. Un tiers de cet azote agricole provient des engrais chimiques, un tiers des bovins, un tiers des élevages porcins et de la volaille.
Cette réalité est-elle désormais acceptée par le milieu agricole ?
Une fraction du monde agricole reste dans le déni. Ils ont recours à des explications surréalistes, assurant par exemple que ce sont les marées noires, comme celle de l’Amoco Cadiz, en 1978, qui ont créé les marées vertes en détruisant les bigorneaux mangeurs d’algues…
Le ramassage des algues est-il une solution durable ?
C’est ce qu’on fait depuis trente ans, aux frais du contribuable. Depuis deux ans, ce ramassage s’est intensifié. On traite le problème sanitaire en multipliant les engins sur les plages, mais c’est une fuite en avant qui ne s’attaque pas à l’origine du mal. Il n’y a aucune raison scientifique de penser que le phénomène va s’arrêter simplement en enlevant les algues.
La méthanisation du lisier peut-elle réduire les rejets d’azote ?
Non, absolument pas. Le méthane se compose d’un atome de carbone et de quatre atomes d’hydrogène, il ne contient pas d’azote ! La méthanisation extrait le carbone du lisier pour produire du biogaz, mais l’intégralité de l’azote se retrouve dans le résidu liquide répandu dans les champs.
La méthanisation peut même accroître la quantité finale d’azote, car on ajoute des végétaux pour améliorer le processus… La seule vraie solution, c’est d’émettre moins d’azote à la source.
Quelle réduction dans les taux de nitrate est nécessaire à l’éradication des marées vertes ?
Les scientifiques estiment à 2 ou 3 mg/l la quantité « naturelle » de nitrate dans les rivières bretonnes. En 1971, date des premières mesures, on était déjà à 4,4 mg/l.
Aujourd’hui on atteint 30 mg/l en moyenne. Chaque année, c’est l’équivalent d’un Amoco Cadiz de nitrates qui se déverse sur les côtes bretonnes ! C’est désagréable à entendre, mais redescendre à 20 mg/l n’aura aucun effet sur les marées vertes. Il faudra passer sous la barre des 10 mg/l pour commencer à rendre la quantité d’algues vertes acceptable. Cela demande un effort considérable.
Propos recueillis par Grégoire Allix
L’Anses conseille le port de masques et de détecteurs
Gaz toxiques
Dans un avis rendu public le 7 juillet, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) dénombre une trentaine de gaz dégagés par la putréfaction des algues vertes : sulfure d’hydrogène, ammoniaque, formaldéhyde…
Ramassage
Selon le rapport, le ramassage, le transport et le traitement des algues doivent être effectués au maximum « quarante-huitheures après échouage » pour éviter la putréfaction : au-delà, des « poches de gaz » dangereuses peuvent se former.
Equipement
L’Anses suggère de « privilégier un ramassage mécanique » où le travailleur est exposé à distance. Et recommande « le port d’un détecteur individuel portatif de sulfure d’hydrogène » et de masques respiratoires.
* Article paru dans le Monde, édition du 15.07.11. | 14.07.11 | 11h30 • Mis à jour le 14.07.11 | 11h41.
Pourquoi les algues vertes sont-elles toujours là ?
Mardi 05 juillet 2011
Chaque année, ce sont les mêmes images effrayantes de vagues vertes s’échouant sur les plages bretonnes. L’été dernier, un cheval était mort tandis qu’en 2009 deux chiens avaient succombé, forçant les populations locales et les élus, avec l’aide de chercheurs, à organiser d’immenses opérations de ramassage de ces algues vertes qui envahissent nos côtes. Malgré tout, un an après la mise en place par le gouvernement d’un plan national de lutte, leur prolifération se poursuit toujours davantage.
D’où viennent les algues vertes ?
Ces algues existent depuis toujours dans la flore sous-marine. Mais elles prennent une ampleur particulière lorsque trois facteurs sont réunis : des fonds faibles et une eau claire, ce qui est le cas des plages bretonnes, un confinement naturel de la biomasse et surtout, une source d’azote minéral sous forme de nitrates ou d’ammonium.
Or, depuis 40 ans, l’apport d’azote dans la mer est très important en Bretagne en raison des nitrates dont sont gorgés les cours d’eau. En 2009, 9 % des stations de suivi des cours d’eau dépassaient le taux autorisé de 50 mg de nitrates par litre et 75 % avaient une qualité d’eau « médiocre », avec un taux situé entre 25 et 50 mg par litre, selon l’Observatoire de l’eau en Bretagne. Pourquoi ces nitrates ? En raison des engrais utilisés pour l’agriculture (100 000 tonnes d’azote produites chaque année dans la région) et des déjections du bétail et des cultures fourragères pour l’élevage (250 000 tonnes), soit un apport à la terre annuel de 350 000 tonnes d’azote, bien plus qu’elle ne peut en supporter. Résultat : plus d’un quart (80 000 tonnes) de cet azote est en trop et part à la mer, drainé par les rivières.
« Cette année, toutes les conditions ont été réunies pour voir un accroissement des algues vertes, explique Alain Ménesguen, ingénieur à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Le soleil et la chaleur de mai leur ont permis de réaliser leur photosynthèse, puis les pluies de juin leur ont apporté tout l’azote qu’elles nécessitaient pour se développer. »
Quelle est leur importance ?
Au 15 juin 2011, 20 000 m³ d’algues vertes avaient déjà été ramassées selon la préfecture de Bretagne, contre 12 000 m³ à la même date en 2010. Si les volumes ont peu évolué dans les Côtes d’Armor – 12 544 m³ en 2011 contre 11 947 en 2010 – ils ont par contre été multiplié par six dans le Finistère – 7 577 m³ en 2011 contre 1 098 en 2010. Alors que sur l’ensemble de l’année dernière, 61 000 m³ avaient été ramassés par quelque 80 collectivités, les associations s’attendent à des volumes encore plus importants d’ici l’automne.
« Les filets d’algues vertes sont partout et en quantité, se désole André Ollivro, porte-parole du collectif Urgence marées vertes et co-auteur du livre Les marées vertes tuent aussi. C’est la première fois que l’on en voit en Normandie, à la Baule ou en même en Vendée, avec l’île de Noirmoutier ou d’Oléron. » En Bretagne, 110 sites seraient concernés par leur échouage, selon un récent rapport du Conseil économique et social de Bretagne (Ceser).
Que faire pour lutter contre leur prolifération ?
Jusqu’à présent, la priorité a été donnée à l’action curative plus qu’à la prévention, via le plan national de lutte contre les algues vertes - pour l’instant seulement adopté par la baie de Lannion, début juillet. Ainsi, entre 2007 et 2010, les volumes ramassés d’algues vertes ont cru de 27 000 à 61 000 m³ et les coûts de ramassage et de traitement sont passés de 345 000 à 850 000 euros, calcule le Ceser.
« Le ramassage intensif est un pis-aller au problème des marées vertes. Il coûte très cher, il transforme les plages en chantier permanent ce qui pénalise le tourisme et il pose la question du stockage et du séchage de ces algues, qui s’avèrent dangereuses en cas de décomposition anaérobie », explique Alain Ménesguen. Un problème majeur qui a même conduit un maire, dans la petite ville de Trez-Bellec, à stocker à l’abri des regards, dans un bois, 160 m³ d’algues, dont il ne savait que faire, raconte Rue89.
« Comme on ne peut pas utiliser d’herbicide en mer, qui tuerait la faune et la flore sous-marine, la seule solution pour lutter contre les algues reste donc de réduire l’excédent de fertilisation azotée des terres en diminuant soit la taille des cheptels, soit l’apport de nitrates dans l’agriculture », poursuit le scientifique. Mais ce retour à des pratiques agricoles moins intensives est délicat, car les autorités, qui n’ont jamais cessé de délivrer des permis d’élevage, se préparent à publier, selon l’association UFC-Que Choisir, des décrets et arrêtés permettant d’augmenter de 20 % les taux d’épandage du lisier, la limite étant pour l’instant fixée à 170 kg d’azote par hectare. « Tant que l’on ne touchera pas à l’économie de l’élevage, si sacrée en Bretagne, la mer continuera de vomir les excédents de nitrates », conclut André Ollivro.
« Les actions doivent être menées au niveau local. Dans certaines régions, les éleveurs doivent adopter de nouveaux modes de fonctionnement, en particulier remettre les vaches dans les prairies car l’herbe permet un plus grand stockage et recyclage des nitrates », explique Patrick Durand, directeur de recherches à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) de Rennes. Une production locale de nourriture est aussi nécessaire : l’import, par exemple de tourteaux de soja en provenance d’Amérique du Sud, impose de consacrer de la place pour le stockage ce qui limite la surface d’épandage et augmente les concentrations en nitrates. « Mais dans d’autres régions, comme en baie de Saint-Brieuc ou dans le Finistère nord, les concentrations sont telles que les éleveurs devront forcément réduire la quantité de leurs cheptels », complète le scientifique.
Audrey Garric
* http://ecologie.blog.lemonde.fr/2011/07/05/pourquoi-les-algues-vertes-sont-elles-toujours-la/