Note de travail du NPA sur les partis tunisiens (avril–juin 2011)
Par la commission Maghreb du NPA
Depuis la chute de Ben Ali, on assiste à une prolifération de partis politiques : on en comptait plus d’une centaine à la mi-juin. Pour aider à s’y retrouver, une première version de cette note avait été écrite avec l’aide de nos divers interlocuteurs tunisiens pour préparer la venue d’une délégation du NPA entre le 23 et le 25 avril 2011. Elle a été par la suite actualisée à la marge.
Viennent en complément de cette note divers documents concernant les trois courants politiques rencontrés par la délégation du NPA : la mouvance Patriote démocrate, le PCOT et la LGO.
De l’avis général, deux courants politiques pourraient se retrouver en tête lors des prochaines élections :
– d’un côté un (ou plusieurs) parti(s) benaliste(s) reconstruit(s) sous d’autre(s) nom(s),
– de l’autre le parti islamiste Ennhada.
A noter que dans l’UGTT [1], qui joue un rôle central dans la vie politique, se retrouvent toutes les sensibilités. Le positionnement de ses instances dirigeantes fluctue entre :
– L’aile corrompue qui fait le dos rond, mais reste nettement majoritaire parmi les 13 membres du Bureau exécutif confédéral en place jusqu’au prochain congrès de décembre 2011 ;
– L’aile combative, dont une partie des militant.e.s constitue simultanément l’armature des partis de la gauche radicale ;
– Entre les deux, une sensibilité de gauche modérée qui cherche à construire un parti de type travailliste.
1. Les partis du centre et de la gauche modérée
La place des divers partis du centre ou de gauche modérée est actuellement des plus réduites. Aucun. On peut ranger dans cette catégorie :
– Le PDP, de Chebbi et Maya Jribi, qui existe sous ce nom depuis 2001 (et auparavant sous le nom de RSP depuis 1983). Ce parti d’opposition légale sous Ben Ali a vu fondre sa popularité après sa participation aux différents gouvernements Ghannouchi. [2]
– Le « Mouvement Ettajdid » représenté par Ahmed Brahim [3]. Ce parti, fondé en 1993 et légal sous Ben Ali, est un parti de centre gauche. Il a pris la suite du Parti communiste tunisien qui a suivi une évolution comparable à celle de l’ex-Parti communiste italien. [4]
– Le Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL) de Mustapha Ben Jaafar. Fondé en 1994, était un parti légal sous Ben Ali. Il avait le statut d’observateur de l’Internationale socialiste. Il en est devenu la section officielle depuis que le parti de Ben Ali en ait été exclu... trois jours après que le dictateur ait été renversé. [5]
– Le Parti socialiste de Gauche (PSG). Fondé en 2006, c’est une scission droitière du PCOT.
– Le Parti du travail de Tunisie, fondé en mai 2011 par Abdeljalil Bédoui (expert économique de l’UGTT désigné pour siéger dans le premier gouvernement Ghanouchi), en compagnie de deux membres du Bureau exécutif de l’UGTT considérés comme non corrompus.
– On rattache souvent à cette famille le CPR de Moncef Marzouki.
2. La gauche radicale
Les partis considérés en Tunisie comme faisant partie de la gauche radicale ont tous participé à la fondation du Front du 14 janvier (en compagnie des partis nationalistes arabes). [6]
A l’exception d’un petit courant trotskyste représenté aujourd’hui dans la LGO, les partis de la gauche radicale ont comme matrice commune « Perspectives », fondé en 1964. Ce courant, né à l’époque de la guerre au Viêt-Nam et du développement de la résistance palestinienne, s’est en grande partie maoïsé à partir de 1967. Après avoir milité à l’Université, les anciens étudiants ont commencé à travailler et sont alors devenus syndicalistes, en particulier dans l’enseignement.
Il existait par ailleurs un petit courant trotskyste.
Au cours des années 1970, le courant marxiste-léniniste a éclaté, et s’est alors durablement structurée en deux grandes familles :
– Echoola (L’étincelle), qui a donné naissance à la mouvance Patriote démocrate,
– Amel Tounsi (Le travailleur tunisien), dont est issu le PCOT.
En plus de divergences idéologiques, une part importante de cet éclatement des marxiste-léninistes semble revenir au positionnnement des uns et des autres sur le plan syndical.
En 1978 avait eu lieu une répression meurtrière et une attaque d’ampleur contre l’UGTT. Bourguiba avait arrêté Habib Achour, le secrétaire général, et l’avait remplacé par un homme de confiance dans le but de caporaliser le centrale syndicale.
Les Patriotes démocrates ont exigé le retour d’Habib Achour et se sont battus pour remettre en place la vie syndicale sur des bases légitimes. Ils ont pour cela rebâti clandestinement l’UGTT sous le nom de Comité d’initiative syndicale. Ils ont notamment fait paraître 6 numéros clandestins du journal Echaab. Le grand procès de 1979 a été appelé le procès d’Echaab clandestin. Cette attitude courageuse explique en grande partie le poids considérable des Patriotes démocrates au sein de l’UGTT depuis des dizaines d’années. Les militants ayant crée en 2005 le PTPD [7] sont le plus souvent issus de cette tradition de travail syndical clandestin.
Il est parfois reproché aux militants ayant crée par la suite le PCOT [8] de ne pas avoir agi à l’époque de la même façon. Ils leur est reproché d’avoir continué à militer dans les syndicats pendant la période où ceux-ci avaient été totalement annexés par Bourguiba. Ce serait une des raisons pour lesquelles le PCOT a a eu par la suite une influence plus faible que les Patriotes démocrates dans l’UGTT.
Aujourd’hui, certains des Patriotes démocrates estiment que la plus grande erreur qu’ils ont commise à l’époque avait été de liquider le parti pour mieux s’introduire dans le milieu syndical et rebâtir clandestinement l’UGTT. Le courant représenté aujourd’hui par le PCOT, a par contre maintenu sa structuration en parti clandestin contre vents et marées.
La mouvance Patriote démocrate a été renforcée par des étudiants issus de l’UGET, dont certains étaient en désaccord l’orientation du Comité d’initiative syndical organisant le travail syndical clandestin. Ils proclamaient représenter l’orthodoxie maoïste. Les militants animant aujourd’hui le MPD de Chokri et « Les Patriote démocrates » de Jamel sont souvent issus de cette tradition.
Dans les cinq dernières années de la dictature, le PTPD et le PCOT ont pratiqué, en ordre dispersé, une ouverture envers des partis situés à leur droite.
– Le PCOT au sein de la coalition du 18 octobre regroupant les islamistes d’Ennhada et le PDP.
– Le PTPD au sein d’une alliance avec Ettajid (et quelques petites forces) refusant toute alliance avec Ennhada.
La révolution de 2011 a redistribué les cartes : le 20 janvier, le PCOT et le PTPD se sont séparés de leurs alliés antérieurs respectifs, et se sont retrouvés dans le Front du 14 janvier regroupant l’ensemble des autres partis de la gauche radicale et des partis nationalistes arabes de gauche (se référant au nassérisme et au baathisme).
Après la chute de Ghanouchi, le 27 février, le balancier est reparti dans l’autre sens. Sans discussion préalable au sein du Front du 14 janvier, plusieurs de ses composantes ont immédiatement accepté de sièger dans la « Haute instance » mise en place par le nouveau Premier ministre. Franchissant un pas supplémentaire, le PTPD et le MPD ont ensuite, au nom de la lutte contre Ennhada, participé à une alliance avec des partis de centre-gauche dont Ettajid. Cela sert d’argument à des nationalistes ayant participé à la création du Front du 14 pour prendre leurs distances avec les partis issus de la tradition marxiste.
La Ligue de la gauche ouvrière (LGO) a vu le jour au lendemain du 14 janvier. Il a été fondé par des militantEs dont la plupart avaient été membres de l’OCR, la section tunisienne de la IV° internationale, organisation qui avait cessé d’exister en 2002. [9]
La LGO a participé à la création du Front du 14 janvier. Ses militant.e.s les plus connu.e.s sont Ahlem Belhadj (de l’association féministe ATFD), Nizar Amami (de la fédération PTT de l’UGTT), Jalel Ben Brik Zoghlami (ancien prisonnier politique) Abdessalem Hidouri (membre de la coordination nationale des délégués du sit-in des Kasbah 1 et 2), Fathi Chamkhi (Raid-Attac, CADTM).
3. Les partis nationalistes arabes
Sous la dictature, les nationalistes arabes travaillaient étroitement avec les partis de la gauche radicale, en particulier au sein de l’UGTT et parmi les avocats. Dans les locaux de l’UGTT, il est fréquent de voir affiché aux côtés des portraits des fondateurs du syndicalisme tunisien, ceux de Nasser, Arafat ou même Sadam Hussein. Les nationalistes arabes se sont tout naturellement alliés aux partis de gauche pour former le Front du 14 janvier.
Les relations entre les nationalistes et une partie de la gauche radicale se sont ensuite tendues, à propos de l’attitude à suivre envers la « Haute instance ». Elles se sont encore aggravées depuis que le PTPD et le MPD, au nom de la lutte contre Ennhada, participent à une alliance avec des partis de centre-gauche comme Ettajid.
4. Ennhadha
Depuis des années, le débat fait rage en Tunisie sur le rôle d’Ennhada [10] et l’attitude à avoir envers elle. Dans son compte-rendu de délégation en Tunisie, l’Union syndicale Solidaires écrit :
"La plupart des personnes que nous avons rencontrées estime que l’organisation islamiste Ennahdha devient une des principales forces politiques du pays : elle réalise un important travail de terrain, utilise les mosquées pour faire passer ses idées et dispose de beaucoup d’argent. Ennhadha pourrait être une des deux premières forces politiques à l’issue des prochaines élections. Un débat existe ensuite au sein de la gauche concernant le positionnement des intégristes :
* Certains estiment qu’Ennahdha a connu une réelle évolution : séparation de la mosquée et de l’Etat, égalité des droits entre hommes et femmes, etc. Ils estiment que les médias exagèrent le danger intégriste qui, à force d’être mis en avant, se renforce en jouant sur l’insuffisance du changement depuis le 14 janvier.
* D’autres, et notamment les associations de femmes, estiment qu’Ennahdha tient un double langage et qu’elle finira par s’aligner sur les intégristes « purs et durs » qui multiplient les actes violents. Ils/elles craignent notamment une remise en cause des droits des femmes« . [11]
5. Et la bourgeoisie dans tout ça ?
Une partie d’entre elle, lourdement compromise avec l’ancien régime, fait le dos rond. Mais elle détient toujours l’essentiel des richesses et des leviers de commandes de l’Etat : l’armée, la police, la justice, l’administration, l’économie, etc. Les moins compromis peuplent les institutions politiques, à commencer le gouvernement provisoire.
En prévision des prochaines élections, des anciens benalistes constituent des partis politiques, d’autres s’orientent vers Ennhada. (à suivre).