Note de travail du NPA sur le PCOT (avril–juin 2011)
Par la commission Maghreb du NPA et la délégation du NPA en Tunisie.
Le porte-parole le plus connu du PCOT [1] est Hamma Hammami [2].
Ce parti, issu du marxisme-léninisme pro-albanais, s’est constitué en janvier 1986. Il a dû vivre 25 ans dans la clandestin avant d’être finalement légalisé le 15 mars 2011. [3]
Même si il est bien implanté dans l’enseignement primaire, le poids du PCOT dans l’UGTT est plus faible que celui des Patriotes démocrates. Il s’est affaibli dans les PTT en partie sous les coups de la répression : Dans les années 1990, Jilani Hammami avait, par exemple, été licencié de la Poste alors qu’il était secrétaire général de la Fédération des PTT.
Le PCOT a eu une position très radicale contre Ben Ali, ainsi que contre les trois gouvernements qui se sont succédés depuis janvier. Il présente la situation actuelle comme « une révolution démocratique à connotation sociale ».
Interview d’Hamma Hammami [4]
1. « La Tunisie est une »colonie économique« au vrai sens du terme ». Un secteur nationalisé important avait été constitué après l’indépendance, sa « privatisation a commencé dès les années 1986 : aujourd’hui, 87 % du capital de ces sociétés privatisées revient au capital étranger (chiffre 1999). Trois mille entreprises étrangères travaillent en Tunisie. Elles pillent nos richesses, exploitent nos travailleurs et rapatrient les profits qu’elles amassent. Par ailleurs, la dette extérieure de la Tunisie a aété multipliée, lors de cette période par 5,7. Actuellement, la Tunisie emprunte pour payer sa dette et non pour investir dans les secteurs productifs ».
2. « L’économie tunisienne était basée sur un accord tacite entre entre une minorité locale, familiale, et de grandes sociétés étrangères qui spoliaient le pays et usaient et abusaient d’une main d’œuvre aux salaires dérisoires ». Les pratiques du pouvoir et « le pourissement du milieu des affaires, principalement dans le secteur bancaire » expliquent que « 30 % des crédits étaient des créances douteuses » et que la fiscalité ait été utilisée « pour gratifier ou punir celui qu’on veut ».
3. « La révolution tunisienne n’a pas été seulement une révolution politique pour la démocratie, elle est aussi une révolution économique et sociale ». « Il faudra donc, dans le cadre d’une république réellement démocratique où le pouvoir sera entre les mains du peuple, aussi bien par le biais de ses représentants qu’à travers sa participation directe à la gestion de la »chose publique« , changer complètement l’anvcien système ».
4. "A notre avis, tout programme économique et social qui s’inspire de la révolution doit atteindre (notamment) les objectifs suivants :
l’indépendance du pays de toute tutelle du capital étranger (...) tout investissement étranger doit être fait uniquement pour le développement réel du pays et dans le cadre d’une stratégie nationale et populaire globale.
Satisfaire les besoins matériels et moraux du peuple, à savoir le droit au travail, l’accès à la santé, une éducation publique équitable, un transport efficace, un habitat décent et un écosystème sain.
Mettre le pays sur les rails du développement dans tous les domaines scientifique technique et culturel".
5. D’où, en plus d’une série de mesures sociales, le programme économique suivant
la nationalisation des intérêts étrangers à caractère hégémoniste et colonialiste.
L’abolition de tous les accords et conventions qui nous imposent la dépendance (...). Il est vital de les renégocier selon les intérêts nationaux, dont principalement l’accord de partenariat avec l’Union européenne.
L’effacement de la dette extérieure contractée par le dictateur...
la nationalisation des secteurs stratégiques afin de constituer un noyau dur de l’économie nationale. Ces secteurs seront gérés démocratiquement par leurs employés.
Contrairement à la campagne dont est victime le PCOT, celui-ci n’est pas pour tout nationaliser. « Au contraire, nous sommes en faveur de la propriété pour l’agriculteur, le petit commerçant, l’industriel, ou toute activité qui s’inscrit dans un cadre national (...) et assure les droits et la dignité du travailleur ».
Faire valoir dans le secteur privé les exigences du développement national et les besoins du peuple...
Donner la priorité dans les investissements aux secteurs productifs (agriculture et industrie) et à la protection de la production nationale.
Une réforme agraire au profit des petits agriculteurs et des plus démunis pour assurer le développement rural.
L’élimination de la dette des petits agriculteurs.
Accorder à la recherche scientifique et technologique une place importante dans le priocessus du développement.
L’expropriation des biens de la minorité gouvernante et le rapatriement de tous les avoirs à l’(étranger.
Mise en place d’un nouvel ordre fiscal juste et instauration du principe de l’impôt progressif sur les biens et les revenus".
6. Sur le plan politique, le positionnement politique peut être résumé ainsi :
Après le 14 janvier, « nous avons appelé à la mise en place (...) d’un gouvernement provisoire sans aucun rapport avec l’ancien régime ».
Le 11 février, « nous avons soutenu et participé au »Conseil national pour la sauvegarde de la révolution« qui regroupe la majorité des forces politiques et de la société civile ».
Après le départ de Ghanouchi, le 27 février, le PCOT a dénoncé la mise en place du nouveau gouvernement : « Sans aucune consultation, la présidence provisoire, bien qu’elle ne dispose d’aucune légitimité, a unilatéralement mis en place un gouvernement composé de personnes qui n’ont rien à voir (de près ou de loin) avec la révolution. Un gouvernement qui continue à fonctionner avec le même esprit que le gouvernement Ghanouchi, un esprit hautain et bureaucratique et qui n’est soumis à aucun contrôle. J’ai même le sentiment qu’on est en train de récréer l’ancien régime, en le maquillant un peu avec quelques réformes et de petits changements ici et là ».
De la même façon, le 14 mars, le PCOT a combattu la mise en place par le gouvernement de « l’instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique », dont un des buts est de « torpiller » le Conseil national pour la sauvegarde de la révolution.
Le PCOT dénonce « la rapidité avec laquelle a été annoncée une date pour les élections à l’Assemblée constituante ». « Le temps imparti est très court, même pas six mois, et ne permettra pas aux partis politiques, qui viennent en majorité d’être crées de bien préparer cette échéance (...). Nous pensons qu’octobre prochain serait une date raisonnable ».
A propos des relations entre le PCOT et Ennahada
"Nos relations avec le mouvement islamique en Tunisie sont passées par plusieurs étapes :
Une première étape très tendue (...) aux niveaux intellectuel, politique et social.
Durant les années 90, la répression s’est abattue sur tout le monde, nous nous sommes opposés à l’oppression des islamistes. (...) A noter que durant cette période, le mouvement islamiste tunisien avait réévalué certaines de ses positions et stratégies.
La troisième étape remonte au début 2005, date à laquelle nous nous sommes rencontrés avec Ennahdha (...) dans le cadre du « Collectif du 18 octobre pour les droits et les libertés (...). Dans ce cadre, nous avons milité ensemble pour les libertés. Lors de cette période, nous avons réussi à mettre en place des documents sur notre position commune sur les droits de la femme, la liberté des croyances et les relations entre l’Etat et la religion. Ces documents rassemblés dans un livre sont d’une extrême importance. Aujourd’hui, ce qui décidera de nos relations avec le Mouvement Ennhadha, comme avec d’autres mouvements, c’est le respect des objectifs de la révolution à savoir la liberté, l’égalité, la démocratie, la dignité et la justice sociale. Il n’est pas question aujourd’hui de revenir en arrière et d’éffacer les acquis réalisés par le peuple tunisien et dont plusieurs sont inscrits dans le document du Collectif du 18 octobre ».
Rencontre de la délégation du NPA avec le PCOT (lundi 25 avril 2011)
Sur la situation sociale et politique :
L’attente des élections entraîne dans certains cas une démobilisation.
Pourtant il y a toujours des grèves et des mobilisations.
Il y a eu une 3e tentative d’occupation de la Casbah qui s’est soldé par un échec et une forte répression.
Il y a quelques jours, une réunion de coordination nationale des Conseils de protection de la révolution locaux a eu lieu. Plusieurs dizaines de délégations étaient présentes.
Travail difficile car dans certains cas les CPR locaux sont dirigés par les révolutionnaires, dans d’autres par les islamistes, ou par les libéraux/réformistes.
Malgré tout, les gens commencent à reparler de révolution, notamment dans les régions pauvres.
La situation peut évoluer de deux façons :
• Une nouvelle insurrection avant les élections, qui mettrait en place un gouvernement populaire issu de cette mobilisation ;
• L’Assemblée Constituante débouche sur quelque chose de positif.
Dans les deux cas, les mobilisations populaires vont être décisives.
Le PCOT veut réorganiser les forces révolutionnaires sur la base d’un programme clair, au sein des conseils locaux de protection de la révolution, du Front du 14 janvier.
Selon le PCOT, il faut discuter, sans les dissocier, des deux voies possibles qui vont ouvrir une nouvelle phase de la révolution, dans les semaines et les mois à venir :
• par la Constituante
• par une nouvelle insurrection.
Le gros point faible de la révolution a été l’absence d’une direction nationale.
Il y a de grosses campagnes de dénigrement à l’encontre du PCOT, qui viennent souvent de l’ex-PC (Ettajdid) ou du PDP.
S’il y a une nouvelle insurrection, les forces de gauche pourraient se rapprocher, d’où la priorité pour le PCOT de favoriser la mobilisation populaire. Avec le relâchement de la révolution, le réformisme ne ferait qu’augmenter. Il faut donc favoriser les luttes, les grèves, les mobilisations de rue etc...
Les anciens du RCD continuent d’essayer de semer le chaos dans beaucoup de localités.
Le PCOT pousse à discuter partout d’un programme politique, économique, social.
Les 3 ou 4 mois à venir vont être décisifs.
Il y a des possibilités réelles de renverser la situation en faveur des révolutionnaires, notamment si la gauche s’unit.
Les élections à l’Assemblée Constituante :
Il faut absolument y être pour tenter d’en faire un mouvement révolutionnaire.
Ce qui pose la question de l’unité ou d’un front large des anticapitalistes pour se présenter aux élections.
Il y a une chance que les élections soient reportées (ce que demandent tous les partis révolutionnaires) car le gouvernement risque de ne pas être prêt (la population va voter sur la base de leur carte d’identité et non avec une carte d’électeur, mais il y a plus de 2 millions de cartes d’identité à fabriquer et le gouvernement n’a toujours pas commencé !).
La population n’est pas encore mobilisée sur les élections (elle parle plus d’une nouvelle insurrection), ce qui n’est pas forcément positif car si ces dernières ont lieu, il risque d’y avoir une certaine confusion (beaucoup de listes vont être présentes.).
Le PTPD et le MPD se font des illusions sur la HI et sur l’organisation des élections.
A propos d’Ennahdha :
Ennahdha a contacté récemment le PCOT pour entamer des discussions.
Le PCOT a vivement critiqué leur participation à la Haute Instance, et les putschs dans les CPR locaux.
Ils étaient ensemble au sein du Collectif du 18 octobre pour les droits et les libertés, et ont subi une très forte répression, mais le PCOT insiste maintenant sur le fait que ce collectif n’est plus d’actualité, et qu’il faut se concentrer sur le Front du 14 janvier et ses tâches révolutionnaires.
Plusieurs tendances existent au sein d’Ennahdha :
• celle qui prônait le rapprochement avec Ben Ali
• celle qui était au sein du Collectif du 18 octobre
• celle opposée au Collectif du 18 octobre.
Toutes ces tendances se retrouvent au sein de la direction d’Ennahdha, ce qui entraîne beaucoup de débats, et des déclarations et pratiques différentes.
Ennahdha a présenté sa participation à la HI comme provisoire. Pour l’instant il est toujours dedans. (NB : Ils l’ont ensuite quittée à la fin du mois de Mai).
Le PCOT a, quant à lui, refusé dès le départ de participer à la HI.
Ennahdha pourrait faire un gros score aux élections.
Le Conseil National de Protection de la Révolution :
Le CNPR va mal, et le PCOT pousse pour sa réactivation, y compris avec l’UGTT, Ennahdha.
Au niveau local, il y a beaucoup de conseils qui continuent de travailler.
Programme du PCOT :
Le PCOT s’appuie sur des sortes de « cahiers de doléances » pour constituer son programme, en prenant en compte que les problèmes sont différents selon les régions.
Quelques points de programme mis en avant :
• Nationalisation des secteurs essentiels ;
• réforme agraire, nationalisation des terres, réorganisation des fermes d’Etat, _ • résoudre les problèmes des petits paysans ;
• s’intéresser aux petites et moyennes entreprises ;
• annulation de la dette (au moins en commençant par un moratoire) ;
• impôts sur les grosse fortunes (+ récupérer la « caisse 26/26 », caisse noir de Ben Ali) ;
• récupérer l’argent de Ben Ali ;
• revoir le budget (le gouvernement actuel travaille toujours sur le budget de Ben Ali, avec par exemple celui consacré au ministère de l’Intérieur !) ;
L’anti-impérialisme
Situation en Libye :
Le PCOT se prononce contre Kadhafi et contre l’intervention impérialiste.
Le Conseil National de Transition libyen a récemment contacté le PCOT. Ils commencent à douter de l’intervention de l’OTAN.