PÉKIN, CORRESPONDANCE - La star chinoise Lu Liping ne se doutait certainement pas que ses messages homophobes se retourneraient contre elle. L’actrice évangéliste âgée de 51 ans, qui a joué dans les films de réalisateurs tels que Zhang Yimou et Jia Zhangke, et reçu divers prix en Asie pour ses talents à l’écran, a qualifié l’homosexualité de « crime » puni par Dieu et pour lequel il faudrait implorer le pardon divin, dans une série de messages publiés sur son micro-blog, le 26 juin.
Lu Liping a également repris sur son compte les propos d’un pasteur américain s’attaquant à la « perpétuelle dégénérescence » de New York, qui vient de légaliser le mariage gay. Contre toute attente, ces quelques mots qui auraient pu rester sans réponse ont déclenché un débat inédit sur la tolérance envers l’homosexualité.
LES HOMOSEXUELS MUÉS DANS LE SILENCE
En Chine, les gays et lesbiennes ne sont certes pas victimes de la répression réservée aux militants des droits de l’homme, et la criminalisation du « hooliganisme » a disparu du code pénal en 1997, mais beaucoup sont condamnés à se muer dans le secret sous une pression sociale qui favorise la famille traditionnelle et le lignage.
Parfois les homosexuels hommes épousent-ils des « tongqi », des « femmes de camarades » qui permettront à la famille de garder la face en société. Et si des bars gays et lesbiens ont ouvert ces dernières années dans les plus grandes villes, l’organisation d’une gay pride à Shanghaï ou d’un concours de beauté homo dans un lieu branché de la capitale l’an dernier furent court-circuités par la police.
Cette fois pourtant, même la CCTV, la puissante télévision étatique qui fixe souvent les limites du débat public sous la coupe du Parti communiste, s’est emparée de la polémique, fustigeant l’intolérance. Le journaliste Qiu Qiming a présenté dans son émission un sujet sous-titré d’un bandeau « respectons la liberté de choix de toutes les communautés ». Une floppée de starlettes ont également critiqué Lu Liping.
« L’ESSENTIEL EST D’AVOIR OUVERT LA DISCUSSION »
Léo, qui travaille dans un journal de Pékin et ne veut pas voir son nom chinois publié car il n’a pas encore osé informer sa famille de son orientation, se félicite de ce débat inédit : « En Chine, la communauté homosexuelle vit essentiellement sous terre mais maintenant les organisations de défense des droits parlent de nous, la télévision diffuse des reportages sur nous et de nombreuses personnalités publiques nous soutiennent. » Pour la société, c’est l’occasion de s’ouvrir et pour les droits des homosexuels de progresser, espère-t-il.
Wei Xiaogang, fondateur de l’association Queer Comrades (« Les camarades sont des gens normaux » en français), en référence au surnom donné aux homosexuels en Chine socialiste, applaudit lui aussi cette médiatisation positive. La télévision publique avait bien traité du sujet par le passé mais il s’agissait de l’exposition de la communauté au risque du sida, pas de la tolérance.
« Le débat a le mérite d’être ouvert. Certains dont les proches ne sont pas au courant ont pu parler d’homosexualité avec leurs amis, en lançant la conversation sur Lu Liping sans gêne puisque c’est le sujet du moment », constate M. Wei.
Si sur Sina Weibo, le réseau social à la mode auprès des jeunes urbains plutôt branchés, les commentaires sont largement positifs, d’autres plateformes sur Internet utilisées par des groupes sociaux moins progressistes ont reçu des messages homophobes. Qu’importe, répond Wei Xiaogang, « l’essentiel est d’avoir ouvert la discussion ».
RELÂCHEMENT DU CONTRÔLE IDÉOLOGIQUE
La sociologue Li Yinhe, spécialiste des questions de sexualité à l’Académie des sciences sociales de Chine, constate que la posture critique envers les commentaires discriminatoires adoptée dans le discours officiel est un net progrès.
Elle relève que la culture chinoise ancienne était relativement tolérante sur la sexualité mais que le communisme a condamné d’une manière générale les plaisirs de la chair, assimilés à des pratiques bourgeoises.
« C’était présenté comme une forme d’individualisme, contraire au sacrifice de toute énergie humaine à la cause révolutionnaire », dit Li Yinhe. Or, depuis le début des réformes économiques, le contrôle idéologique se relâche progressivement constate-t-elle : « et la visibilité des homosexuels croît. Beaucoup envisagent donc de sortir du placard ».
Harold Thibault