L’argument est largement utilisé : la reprise passera par les filières « vertes ». De nouveaux investissements, de nouvelles secteurs, de nouveaux débouchés pour la R&D et donc de nouveaux marchés offriraient à l’économie mondiale la perspective d’une nouvelle phase longue de croissance. Pourquoi pas. Car si l’on prend le seul exemple du marché automobile dans les pays occidentaux, on conçoit qu’une offre fondée sur des motorisations nouvelles (électriques, mixtes ou autres) créerait un appel d’air considérable. De même pour le secteur de l’énergie post pétrole.
Pouvoirs publics et grands groupes industriels ne cessent d’évoquer cet horizon proche : identification des activités vertes, débat sur les filières vertes « françaises », études sur l’impact « probable » sur l’emploi… En 2009, le ministre de l’environnement de craint pas d’annoncer plus de 600.000 emplois entre 2009 et 2012 et une activité économique de plus de 450 milliards d’euros grâce à la croissance « éco-efficiente ». En avril 2010, le Premier ministre souligne que la croissance verte est « un levier pour relancer notre économie dans un contexte de crise », qu’« en plus d’être un enjeu économique essentiel, la croissance verte est un enjeu social », soulignant que l’une des finalités de la protection de l’environnement est de permettre « aux ménages de gagner en pouvoir d’achat et en qualité de vie ».
Pas une plaquette financière de groupe coté qui n’évoque cette perspective, pas un colloque économique ou industriel qui prenne cela comme cheval de bataille… Saint-Gobain, Schneider Electric et Air Liquide évaluent le chiffre d’affaires provenant de leur « offre verte », assorti d’objectifs de développement. Mais, pour croire à cette bonne nouvelle, faut-il encore en ignorer tous les obstacles actuels :
1) Le développement de la recherche et la mise sur le marché de technologies industrielles nouvelles à vocation mondiale nécessite d’immenses investissements avec une prise de risque en proportionnelle. Dans une économie de marché le déclenchement de cet investissement dépend du profit escompté et de son délai. Il faut donc en attendre un débouché de masse et un retour sur investissement à horizon raisonnable.
2) L’histoire a montré que ces relances par la naissance de nouveaux marchés de masse nécessitaient l’implication sonnante et trébuchante des Etats. Or, pour la petite décennie à venir les Etats occidentaux sont piégés par leurs dettes. Le tout récent coup de rabot des dégrèvements fiscaux sur les travaux domestiques d’économies d’énergie en est la preuve.
3) La « croissance verte » n’est pas assimilable à ce qu’ont pu représenter en leurs temps l’avènement du chemin de fer, l’automobile ou l’électroménager. Dans ces trois cas, il s’est agi de strictes croissances matérielles. La relance par l’écologie devrait pour sa part s’appuyer en partie sur des principes échappant aux lois de base d’une économie marchande.
4) L’investissement privé et public ne pourrait plus être simplement guidé par le débouché solvable et par le profit anticipé. Les notions de performances économiques et de richesse créée devraient être modifiées.
Considérer comme prometteurs des secteurs du genre retraitement des déchets, énergie solaire ou aujourd’hui la voiture peu polluante n’est pas nouveau (dans l’Union européenne la demande de voiture émettant moins de 120 g/CO2 a augmenté de 23% entre 2002 et 2008 [1]). Mais « prometteurs »… tant que les débouchés et les profits sont garantis ! Ce qui n’est pas la même chanson que le credo d’une croissance garantissant un « développement durable ». Car, pris au pied de la lettre, le terme de « croissance verte » dépasse de très loin le simple ajustement de l’offre et les simples opportunités de marché.
La question est donc assez simple
Le concept même de « croissance verte », utilisée à tout bout de champ, combine par essence deux notions, celle de sa nature systémique et celle de sa puissance propulsive pour l’économie mondiale. Ou dit autrement sous forme de questionnement :
• Quelle est la chance qu’émerge une économie mondiale verte, c’est-à-dire « éco-efficiente » pour reprendre le terme du ministère ?
• Quelle est la chance qu’un nouveau long cycle de croissance se dégage à court terme grâce à la « révolution verte » ?
En effet, au-delà du probable effort des grands groupes pour se chercher des sources de développement futur, les activités et « marchés verts » ne suffisent pas à lancer un nouveau cycle de croissance (de type 1945-1975) fondé sur un changement de système productif et énergétique. Ce qui nécessiterait un certain nombre de ruptures que seuls les Etats sont susceptible d’imposer, alors qyue pour le moment on constate plutôt deux choses :
• Un détournement spéculatif du système des quotas de droit à polluer (émission de CO2) avec leur transformation en produits financiers échangeables.
• La remise en question ininterrompue de la notion de service public, de bien et d’intérêt collectif, qui reste pourtant décisive si l’on veut canaliser l’intérêt des entreprises au-delà leurs seuls objectifs de profit.
Le marché est donc incapable à lui seul d’orienter l’investissement au-delà des seules opportunités profitables. La « croissance verte » - comprise dans le sens d’un changement de fond – nécessiterait une intervention massive des puissances publiques non guidée par la rentabilité immédiate. Mais, cette action requerrait une sortie immédiate des politiques d’austérité liées aux déficits publics et une rupture avec les politiques libérales du « moins d’Etat ».
De deux choses l’une.
1) Soit, la dite-croissance verte se réduit à une simple évolution cosmétique de la mondialisation libérale. Dans ce cas, il n’y aura pas de tournant majeur. Les grands groupes développeront quelques marchés opportunistes dans les pays occidentaux mais continueront à aller chercher une croissance plus classique et pas très verte dans les pays émergents.
2) Soit, il s’agit d’un tournant qualitatif, d’une volonté de sortir l’économie planétaire des pièges dans laquelle elle s’est fourvoyée. Dans ce cas, les Etats doivent en prendre la direction, contre les lois exclusives du « tout marché » et avec une force de frappe financière majeure.
Or, ce qui est désolant dans les discours officiels des pouvoirs publics c’est qu’ils combinent une tonalité tonitruante suggérant un tournant systémique, et des mesures économiques souvent petit bras et souvent dépendantes des plans stratégiques des grands groupes. Contradictoire.
Ajoutons que si par miracle le marché se mettait à orienter massivement les investissements vers des process de production et des biens écologiquement compatibles, l’horizon de son accomplissement est de plusieurs décennies au minimum. Rien à voir avec la reprise de court terme que nous annoncent certaines références abusives du terme « croissance vert ».
Quant aux effets sur l’emploi, il faut être circonspect. Un tournant technologique planétaire est décisif pour la planète et pour l’humanité. Par contre, elle ne peut pas être comprise comme un « truc » pour résoudre la question de l’emploi. Son effet de substitution resterait sans doute insuffisant sur les prochains 20 ans pour combler les destructions d’emplois antérieurs. Se souvenir que les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) n’ont généré que 3% de l’emploi total créé entre 1990 et 2005, soit globalement moins que les destructions d’emplois. La « croissance vert » ne nous ferait donc pas faire l’économie d’un autre tournant, celui d’une économie socialement responsable, développant les emplois non marchands et les services sociaux d’intérêts généraux.
Claude Jacquin, expert auprès des Comités d’entreprise
CE et CHSCT et le comportement environnemental de leur entreprise
Les grandes entreprises communiquent sur leurs politiques environnementales. Beaucoup d’entre elles se cherchent de nouveaux débouchés « verts ». Le débat public est saturé de référence au développement durable…Et puis ?
Si aujourd’hui, les entreprises doivent répondre à un certain nombre d’obligations plus ou moins contraignantes de sécurité pour l’environnement, parfois en pouvant y substituer un droit à polluer (droits d’émission de CO2 ou taxe éco-emballage par exemple) et si les grandes sociétés cotées doivent communiquer sur leurs politiques environnementales, a-t-on fait le tour de la question ?
L’entreprise est bien le lieu où s’arbitrent les différents choix stratégiques, industriels, financiers et sociaux dont l’impact environnemental est à chaque fois spécifique. Plutôt que de penser que c’est seulement sous la contrainte des réglementations extérieures que l’entreprise s’approcherait d’une certaine vertu environnementale, il serait utile d’agir aussi à la source, au sein même de l’entreprise, en reconnaissant aux instances représentatives des droits d’information-consultation sur les effets environnementaux des choix internes.
Ajouter un droit supplémentaire de consultation des IRP
Bien mieux que les discours sur la « responsabilité des entreprises », la collectivité bénéficierait alors du droit des salariés à discuter et à porter un jugement public sur les pratiques de leur entreprise. Intégrer ce droit, selon des procédures adéquates, serait la garantie que l’intérêt de la collectivité n’est pas placé sous la seule bienveillance des actionnaires.
Pourquoi ne pourrait-il pas en être ainsi ? Le paradoxe serait en effet de prétendre défendre l’environnement comme bien commun à toute l’humanité tout en maintenant la séparation entre « citoyen » et « salarié », entre consommateur et travailleur et de laisser l’entreprise hors champs de ce débat démocratique. N’est-ce pas un bon moyen de réunifier la personnalité du citoyen-consommateur et celle du salarié ? Et même si les pouvoir public se sentent de taille à affronter seuls et par la réglementation la pression des entreprises, pourquoi ne pas doubler la mise en responsabilisant aussi les instances représentatives des salariés ?
Certaines études sur le sujet avancent que les salariés sont systématiquement « complices » de leur entreprise en matière d’environnement au nom de l’emploi. Si tel est le cas, raison de plus : plus on déresponsabilisera les salariés sur ce sujet plus cette confusion restera une éventualité.
Garantir l’indépendance des salariés sur les responsabilités écologiques de leur entreprise
Pour que les choses bougent, il faut que les instances représentatives prennent les devants. Le lien entre implications environnementales internes et externes est souvent évident. Les conditions de travail ne sont pas indépendantes de l’impact écologique vers l’extérieur des process de travail. Ce pourrait donc être une coresponsabilité du CE et du CHSCT.
A noter aussi,
• Que beaucoup de plans de délocalisation, de sous-traitance ou de sourcing lointain ne se préoccupent nullement de la trace carbone qui en découlera (centaines ou milliers de kilomètres supplémentaires de transport de marchandises par exemple).
• Que beaucoup de salariés « ont des choses à dire » sur ce qu’ils connaissent des préjudices environnementaux commis par leur entreprise ou sur la qualité des produits mis sur le marché. Mais, cette connaissance reste aujourd’hui muette ou censurée du fait des risques immédiats de licenciement pour la personne qui parle. Faute de pouvoir en faire un sujet d’instance représentative, ces questions restent taboues et enfermées dans le sacro-saint secret de l’entreprise.
Ajouter aux prérogatives des CE et CHSCT, le droit de débattre et de donner un avis sur les décisions importantes de l’entreprise ayant un impact environnementale devrait s’inscrire logiquement dans le débat actuel sur le développement durable. Pourquoi n’est-ce pas spontanément proposer par les pouvoirs publics et ces grandes entreprises qui se disent vertueuses sur le sujet ? Tout simplement parce qu’en ouvrant cette discussion dans l’entreprise, en permettant aux salariés de s’en saisir, on aboutirait à cette « dangereuse révélation » que la performance économique ne peut plus se réduire au seul résultat d’exploitation et aux gains de productivité, que l’éco-efficacité doit entrer dans les critères de performance, et que les citoyens-salariés ont leur mot à dire… au sein même de l’entreprise !
La démocratisation de la vie de l’entreprise, pourrait donc bien passer par l’exigence des instances représentatives (CE et CHSCT) à juger si un modèle économique, si un projet industriel, si un choix d’approvisionnement, si un process de production ou d’organisation commerciale se fait ou pas au détriment de la santé humaine et de l’environnement. Ajouter ce droit aux prérogatives des CE et CHSCT devrait s’inscrire logiquement dans le débat actuel sur le développement durable. Il n’y a pas besoin d’un droit supplémentaire : un projet de l’entreprise ayant un impact environnemental significatif, c’est un projet de réorganisation impliquant l’obligation de la consultation pour l’employeur. La question est bien pour les élus d’introduire l’environnement dans leur grille de lecture des projets de l’entreprise.
Claude Jacquin, expert auprès des Comités d’entreprise