La campagne électorale pour les présidentielles des États-Unis de 2012 s’est officiellement ouverte avec l’annonce de la candidature de Barack Obama. Contrairement à ce à quoi on aurait pu s’attendre il y a deux ans, Obama fait face à un horizon difficile et sa réélection ne paraît pas garantie. Malgré la stabilisation du système financier, réussie grâce à l’injection massive de ressources publiques par le biais de mécanismes opaques qui favorisent les responsables de la crise eux-mêmes, l’économie réelle attend toujours l’arrivée d’une véritable relance économique. Alors que 89% des bénéfices de la croissance économique des États-Unis pendant l’administration Obama sont allés au secteur privé, le citoyen moyen continue à subir une dure réalité caractérisée par des taux de chômage élevés, des salaires à la baisse et un nombre record d’expulsions de logements. C’est précisément l’incapacité de cette administration à fournir des solutions aux problèmes criants de la population qui met en doute sa capacité à être réélue, bien qu’elle possède une machine publicitaire dotée de plus d’un milliard de dollars.
Cependant, cette situation n’a rien de surprenant si l’on regarde les choix que Barack Obama a fait dès le début de son mandat. Alors que certains s’attendaient à ce qu’il nomme une équipe économique profondément renouvelée afin de mettre en œuvre un New Deal en vue de réformer le capitalisme et procéder à une nouvelle vague de régulation de l’économie, la réalité a été toute différente. Obama a choisi les plus conservateurs parmi les conseillers démocrates, ceux-là mêmes qui ont organisé la déréglementation forcenée lors de la présidence de Bill Clinton à la fin des années 1990. La cohérence de son choix, à travers quatre noms emblématiques, est révélatrice [1].
Premier en piste, Robert Rubin est secrétaire au Trésor entre 1995 et 1999. Dès son arrivée, il est confronté à la crise financière du Mexique, premier grand échec du modèle néolibéral dans les années 1990. Par la suite, il impose avec le FMI un traitement de choc qui aggrave les crises survenues en Asie du Sud-Est en 1997-98, puis en Russie et en Amérique latine en 1999. Rubin ne doute toujours pas des bienfaits de la dérèglementation et il contribue résolument à imposer aux populations des pays émergents des politiques qui dégradent leurs conditions de vie et augmentent les inégalités. Aux États-Unis, il pèse de tout son poids pour obtenir l’abrogation du Glass Steagall Act, ou Banking Act, en place depuis 1933, qui a notamment déclaré incompatibles les métiers de banque de dépôt et de banque d’investissement. La porte est alors grande ouverte pour toutes sortes d’excès de la part de financiers avides de profits maximums, rendant possible la crise internationale actuelle. Pour boucler la boucle, cette abrogation du Banking Act permet la fusion de Citicorp avec Travelers Group pour former le géant bancaire Citigroup. Par la suite, Robert Rubin devient l’un des principaux responsables de Citigroup… que le gouvernement des États-Unis a sauvé dans l’urgence en novembre 2008 en garantissant pour plus de 300 milliards de dollars d’actifs ! Il faut préciser que les services rendus par Rubin en tant que président du comité exécutif du Citigroup ont été généreusement rétribués. Selon le Financial Times, Rubin a perçu entre 1999 et 2008 plus de 118 millions de dollars à titre de salaire, titres et actions [2]. Et ce fut précisément au cours de son mandat que le Citigroup s’est lancé dans une politique financière de plus en plus aventureuse qui a conduit au fiasco que l’on connaît et qui a coûté au Trésor public la somme astronomique de 45 milliards de dollars [3]. Malgré cela, Rubin est l’un des principaux conseillers de Barack Obama.
Deuxième personnalité en scène, Lawrence Summers hérite pour sa part du poste de directeur du Conseil économique national de la Maison Blanche. Son parcours comporte pourtant un certain nombre de taches qui auraient dû être indélébiles… En décembre 1991, alors économiste en chef de la Banque mondiale, Summers ose écrire dans une note interne : « Les pays sous-peuplés d’Afrique sont largement sous-pollués. La qualité de l’air y est d’un niveau inutilement élevé par rapport à Los Angeles ou Mexico. Il faut encourager une migration plus importante des industries polluantes vers les pays moins avancés. Une certaine dose de pollution devrait exister dans les pays où les salaires sont les plus bas. Je pense que la logique économique qui veut que des masses de déchets toxiques soient déversées là où les salaires sont les plus faibles est imparable. [...] L’inquiétude [à propos des agents toxiques] sera de toute évidence beaucoup plus élevée dans un pays où les gens vivent assez longtemps pour attraper le cancer que dans un pays où la mortalité infantile est de 200 pour 1 000 à cinq ans » [4]. Il ajoute même, toujours en 1991 : « Il n’y a pas de [...] limites à la capacité d’absorption de la planète susceptibles de nous bloquer dans un avenir prévisible. Le risque d’une apocalypse due au réchauffement du climat ou à toute autre cause est inexistant. L’idée que le monde court à sa perte est profondément fausse. L’idée que nous devrions imposer des limites à la croissance à cause de limites naturelles est une erreur profonde ; c’est en outre une idée dont le coût social serait stupéfiant si jamais elle était appliquée ». Avec Summers aux commandes, le capitalisme productiviste a un bel avenir. Devenu secrétaire au Trésor sous Clinton en 1999, il fait pression sur le président de la Banque mondiale, James Wolfensohn, pour que celui-ci se débarrasse de Joseph Stiglitz qui lui a succédé au poste d’économiste en chef et qui est très critique sur les orientations néolibérales que Summers et Rubin mettent en œuvre aux quatre coins de la planète où s’allument des incendies financiers. Après l’arrivée de George W. Bush à la présidence des Etats-Unis, il poursuit sa carrière en devenant président de l’université de Harvard en 2001, mais se signale particulièrement en février 2005 en se mettant à dos toute la communauté universitaire après une discussion au Bureau national de la recherche économique (NBER) [5]. Interrogé sur les raisons pour lesquelles on retrouve peu de femmes à un poste élevé dans le domaine scientifique, il affirme que celles-ci sont intrinsèquement moins douées que les hommes pour les sciences, en écartant comme explications possibles l’origine sociale et familiale ou une volonté de discrimination. Cela provoque une grande polémique tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’université [6]. Malgré ses excuses, les protestations d’une majorité de professeurs et d’étudiants de Harvard l’obligent à démissionner en 2006.
Sa biographie consultable sur le site de l’université de Harvard au moment de sa présidence affirme qu’il a « dirigé l’effort de mise en œuvre de la plus importante déréglementation financière de ces 60 dernières années ». On ne saurait être plus clair ! Lawrence Summers a finalement démissionné en septembre 2010 du Conseil Économique National de la Maison Blanche pour laisser la place à un personnage encore plus à droite que lui.
La troisième personnalité de l’équipe des économistes d’Obama est Paul Volcker qui en octobre 1979 alors président de la réserve fédérale, avait augmenté radicalement les taux d’intérêts aux États-Unis. Ceci a constitué, par un effet de contagion internationale, le principal détonateur de la crise de la dette publique, tant au Sud qu’au Nord, aux débuts des années 80 [7].
Quatrième personnalité choisie par Obama, Timothy Geithner a été nommé secrétaire au Trésor. Ancien président de la Banque centrale de New York, il a été sous-secrétaire au Trésor chargé des Affaires internationales entre 1998 et 2001, adjoint successivement de Rubin et Summers, et actif notamment au Brésil, au Mexique, en Indonésie, en Corée du Sud et en Thaïlande, autant de symboles des ravages de l’ultralibéralisme qui ont connu de graves crises durant cette période. Les mesures préconisées par ce trio infernal ont fait payer le coût de la crise aux populations de ces pays. Rubin et Summers sont les mentors de Geithner. En février 2009, Geithner a été sur le point de ne pas être nommé car la presse a révélé qu’il avait fraudé le fisc en occultant une rémunération reçue du FMI. Le manque à gagner pour le Trésor Public s’élevait à 34.000 dollars [8]. Finalement, pour obtenir son poste, il a remboursé sa dette au Trésor. Avec Obama, Geithner continue à défendre les grandes institutions financières privées, sourd aux droits humains fondamentaux, ridiculisé aux États-Unis comme ailleurs à cause des politiques économiques qu’il défend avec véhémence. La décision de Barack Obama au début de son mandat n’était pas banale. Il aurait pu changer la donne, en désignant des conseillers d’orientation keynésienne. Des économistes comme Joseph Stiglitz, Paul Krugman, Nouriel Roubini et James K. Galbraith étaient prêts à assumer ces responsabilités. Mais Obama a opté pour des économistes responsables de la dérèglementation bancaire des années 90 ; en d’autres termes, des amis ou agents de Wall Street. La politique économique que Barack Obama et son équipe ont mis en pratique en 2009 est très loin de celle qui a été mise en pratique en 1933 par Franklin D. Roosevelt pendant les 100 premiers jours de son mandat.
Le changement qui n’est pas advenu Malgré le fait d’avoir été élu sur la base de la promesse du changement, après 2 ans au pouvoir Obama a démontré qu’il se contente du simple rôle de gardien du statu quo actuel. Contrairement aux espoirs de certains secteurs, l’administration Obama a suivi la direction fixée par l’administration Bush sur des thèmes clés de l’agenda de politique extérieure et économique. La différence entre ces deux gouvernements est donc plus une question de style que de fond. Le manque d’actions concrètes faisant face à la crise sociale née de l’effondrement économique et financier de 2008 a érodé la base de soutien dont bénéficiait l’administration Obama. Entre 2007 et 2011, 14.4 millions de familles ont perdu leurs foyers et près de 25 millions de personnes sont au chômage ou en condition d’emploi précaire. Les politiques mises en œuvre jusqu’aujourd’hui au lieu d’être destinées aux besoins urgents de ce vaste segment de la population étasunienne, ont été employées à soutenir et assurer la survie des institutions financières responsables de la crise économique. Compte tenu de la composition de l’équipe économique de l’administration Obama, le chemin suivi n’a du être une surprise pour personne. Des personnes qui, de par leur qualité d’ex-régulateurs des institutions financières, sont directement responsables des excès de ces dernières, comme Timothy Geithner ou Ben Bernanke, ont été confrontées depuis le début à de sérieux conflits d’intérêts. Leur intérêt personnel revient clairement à étouffer leur responsabilité plutôt que de mettre en place des mesures visant à surmonter la crise. Perdre de vue cette responsabilité, non seulement politique mais aussi judiciaire, nous empêcherait de comprendre comment, face à la dénonciation des abus des institutions financières dans le délogement des familles de leur foyer ou la spéculation avec les fonds octroyés par le gouvernement pour le sauvetage de ces institutions, le gouvernement a dans les deux cas défendu les intérêts de Wall Street.
Cependant, il est clair que le plus grand signe de faiblesse a été la Loi de Réforme financière Frank-Dodd. Au lieu de profiter de la réelle opportunité qui s’est présentée pendant la crise de mettre au pas le secteur financier, l’administration Obama a mis en place une prétendue réforme qui échoue complètement à imposer des contrôles dans les champs d’opération les plus critiques de ce secteur. Approuvée en 2010, cette loi non seulement ne condamne pas l’usage de pratiques comptables douteuses qui permettent de cacher des pertes dans les bilans, mais elle renforce aussi les prérogatives des institutions « Trop grandes pour faire faillite ». Elle laisse complètement de côté la régulation des marchés des dérivés financiers. C’est cette attitude permissive envers le secteur financier de la part de l’administration Obama qui permet d’expliquer qu’aucun représentant de ce secteur n’ait été poursuivi en justice suite à une crise que le FBI qualifiait déjà en 2004 d’épidémie de fraudes. Face à cette situation, il n’est pas surprenant que le peuple américain ait tourné le dos au Parti Démocrate lors des élections du Congrès et du Sénat qui ont eu lieu en novembre 2010. Avec un discours ultra conservateur et en profitant de l’anxiété caractéristique du contexte de crise économique, le Parti Républicain a repris le contrôle de Congrès et menace de prendre celui du Sénat en 2012. En réponse à la perte du Congrès, Obama a opéré quelques changements dans son équipe économique avec la sortie de membres éminents de celle-ci comme Lawrence Summers, Cristina Roehmer et Paul Volcker. Cependant, les remplaçants choisis indiquent que les changements ne sont que de façade. Parmi eux, Gene Sperling, ancien membre de l’administration Clinton et fervent défenseur des réductions d’impôts ; Jeffrey Inmelt, précédemment directeur de la multinationale General Electric et William Daley, précédemment haut cadre à JP Morgan. Compte tenu des prérogatives du Congrès sur le budget du gouvernement et sur le niveau de la dette publique fédérale, la nouvelle donne depuis novembre 2010 a permis au Parti Républicain de bloquer complètement l’administration Obama. Cette stratégie des Républicains qui vise à diminuer ses chances de réélection, se dévoile on ne peut plus clairement dans la bataille actuelle pour élever la limite de la dette fédérale. Cette prérogative du Congrès des États-Unis fixe un montant maximum de dette pouvant être émise par le gouvernement fédéral. Elle fut créée comme mécanisme de contrôle du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif.
Historiquement, élever la limite de la dette fédérale a été une opération politique qui se mène à bien sans contretemps majeurs. Pourtant dans le contexte actuel, tout comme cela fut le cas en 1995, le Parti Républicain est en train d’utiliser son contrôle sur le Congrès pour refuser l’élévation de la limite d’endettement et ainsi forcer le gouvernement à réaliser des coupes dans les dépenses sociales. Dans le cas précédent, la limite n’a pas été élevée pendant un certain temps et quelques problèmes mineurs se sont présentés pour les marchés financiers. Mais cela a eu lieu dans un contexte de forte expansion économique. Dans la situation actuelle cependant, une cessation partielle de paiements pourrait remettre le système économique et financier des États-Unis dans une situation de fragilité et d’instabilité.
L’histoire récente nous apprend que les plus affectés par une rechute économique seront les personnes sans biens et au chômage, tandis que les banquiers et spéculateurs continueront à être protégés par l’administration Obama. Ceci n’est décidément pas le changement pour lequel le peuple étasunien, plein d’espoirs, a voté en 2008.
Daniel Munevar , Eric Toussaint