Pour commencer, il y a 2.975 raisons, de 90 pays différents. Une inoubliable composition d’humanité qui a disparu un mardi matin il y a dix ans. Mais ce n’est que le début.
Je hais El Qaida pour tous les êtres humains qu’ils ont tué – les africains, américains, arabes, asiatiques, européens, agnostiques, athées, chrétiens, juifs, hindous, musulmans.
Je hais El Qaida parce qu’ils ont assassiné des milliers de musulmans, lors même qu’ils prétendent les représenter, y compris en mettant des bombes dans les mosquées pendant le ramadan. Parce qu’ils réduisent un riche héritage religieux a une série d’absurdes interdits. Ils retournent les formules les plus sacrées, comme Allah Akbar – Dieu est grand – en menaces, en épithètes.
Je hais El Qaida pour le Califat de fin du monde qu’ils veulent instaurer. Je hais El Qaida parce ces dix dernières années ils ont encouragé la brutalité de ceux qui, à droite, construisent des chambres d’“interrogatoire poussé” pour y célébrer des noyades simulées. Car maintenant presque tout le monde accepte qu’on torture un peu.
Mais je hais aussi El Qaida parce qu’ils ont inspiré, à gauche, les plus grandes stupidités. Proclamer qu’Ousama ben Laden n’était en fin de compte qu’une ‘victime désarmée’ dont il n’était pas prouvé qu’il ait fait quoi que ce soit de mal. Qu’Anouar El Awlaki n’était qu’un ‘religieux musulman’. Que les gens dans les tours le 11 septembre étaient ‘de petits Eichmanns’ qui ont mérité leur sort. Inanité. Je hais El Qaida parce qu’ils haïssent les femmes, les gays, les juifs, les chrétiens, les musulmans qui ne sont pas comme eux, c’est à dire la plupart des musulmans. Car ils ne font que haïr. Et ils me font haïr aussi.
Je hais El Qaida parce qu’ils veulent un clash des civilisations. Et on le leur accorde en brulant des Corans, en marchant contre les mosquées, en Iraq. Je hais El Qaida parce qu’ils soutiennent les pires mouvements musulmans – El Shabab ( ‘la jeunesse’), les taliban ( les ‘étudiants’), Boko Haram (‘l’éducation occidentale est un péché’) – ces mêmes mouvements qu’il nous faut combattre pour la vraie jeunesse, les vrais étudiants, pour avoir une éducation digne de ce nom, pour avoir un avenir. Parce qu’on doit perdre son temps à parler d’eux alors qu’on devrait parler de la construction de cet avenir pour les jeunes générations qui arrivent dans une déliquescence économique et environnementale.
Je hais El Qaida parce que c’est le Printemps Démocratique qui devrait nous montrer le chemin en avant, et que le djihadisme devrait appartenir au passé.
Je hais El Qaida pour le jeune fiancé algérien saigné à mort dans les bras de sa mère à Cherchell après qu’un attentat suicide ait mis fin à son jeûne au mois d’août ; pour Mustapha Akkad et sa fille Rima ; pour Danny Pearl, Amenia Rasool, et le Père Mychal Judge, qui tous ont cessé d’exister parce qu’El Qaida existe.
Je hais El Qaida pour les bombes à Baghdad, à Alger, à Amman, à Dar Es Salam, dans toutes les villes qu’ils ont explosées comme New York. Parce qu’une myriade de théoriciens de la conspiration les absout de leurs crimes, même quand ils déclarent les avoir commis.
Je hais El Qaida par ce qu’il n’y a aucune excuse à ce qu’ils font, et pourtant il y a des gens pour leur en trouver.
Je hais El Qaida parce que nous ne sommes pas assez nombreux à déclarer publiquement que nous les haïssons, mais ceux d’entre nous qui le font, avec les risques que cela comporte, sont cantonnés à l’invisibilité. Car un musulman qui jette une bombe fera les gros titres, mais un militant pacifiste d’ascendence musulmane n’aura virtuellement aucun écho.
Je hais El Qaida parce qu’ils rendent plus difficile à un homme comme mon père de monter dans un avion. Parce qu’ils confirment chacun des points de vue racistes sur les musulmans. Et parce qu’ils ont provoqué de la part de l’administration Bush des réponses qui confirment chaque cliché anti américain.
Et je hais El Qaida parce qu’un jour de septembre à couper le souffle, ils ont changé le monde en une explosion de cruauté.
Dix ans après, je suis prête à cesser de haïr El Qaida. Je suis prête à stopper El Qaida.
Karima Bennoune