Est-on dans une phase de reflux du mouvement ?
La rue, les transports en commun, les cafés sont devenus les scènes de meetings politiques du quotidien : tout le monde commente, se positionne et débat à son niveau de l’actualité politique. Les associations et les partis politiques se multiplient, accueillant des hommes comme des femmes. De l’autre côté, le Conseil suprême des forces armées (CSFA), tout en préservant ses intérêts, veille à montrer aux puissances et aux bourgeoisies égyptiennes comme étrangères, sa volonté de maintenir l’Égypte dans cette stabilité : répression des mouvements sociaux, maintien de la politique économique et du lien aux États-Unis, usage de la division communautaire, torture et terreur.
La conception militaire du pouvoir qui a prévalu depuis 1952, se rétablit spontanément dès que le mouvement de masse lui en laisse la place. Cependant, si les occupants de Tahrir ont mis leur confiance en l’armée pour assurer la transition démocratique, ils ont su réagir par des manifestations de masse lorsqu’il leur est apparu clairement que le CSFA ne jugerait pas les cadres de « l’ancien régime » sans pression populaire. Le temps n’est pas au reflux, le mouvement de masse reste un acteur central, nous assistons à des oscillations d’un mois sur l’autre. Alors que les prix continuent d’augmenter, le gouvernement n’a accordé que la moitié du salaire minimum demandé, qui avait pourtant été calculé en fonction des besoins vitaux d’une famille. Face à la poursuite de la dégradation des conditions de vie, nombreux sont ceux qui se demandent à quoi a servi cette révolution. Cela va se traduire par des mobilisations, et là, impossible d’y répondre sans rompre avec la « stabilité ».
Les islamistes vont-ils être les gagnants du mouvement du 25 Janvier ?
L’audience des salafistes et des Frères musulmans n’est pas une nouveauté. Pendant le mouvement du 25 janvier, les Frères musulmans ont démontré qu’ils préféraient une place dans le système à un changement radical. Solidaires du CSFA dans la politique autoritaire, ils démontrent n’avoir ni la volonté ni les leviers pour changer en profondeur les méthodes de gouvernement (répression et terreur), corollaires de la situation sociale. Les Frères musulmans et autres forces islamistes (notamment le parti al-Nour, et les Gamaat islameya) pourraient bien faire de bons scores aux élections de cet automne, voire avancer sur leurs ambitions de moralisation islamique de la société, sans que cela n’affecte les rapports de forces réels et les dynamiques profondes de contestation qui animent l’Egypte.
Pour remettre en cause l’influence de l’islamisme dans la société, le meilleur moyen reste la lutte sociale où les solidarités de classe s’expriment, et où l’action collective prime sur la morale comme moteur du changement. L’enjeu est de créer un pôle capable de défendre un projet d’émancipation tout en défendant politiquement la centralité du mouvement de masse dans le changement.
Où en sont les luttes sociales et le mouvement ouvrier ?
Le mouvement du 25 Janvier et les grèves qui ont conduit à faire basculer Moubarak (débutées quatre jours avant sa chute) s’inscrivent dans un cycle long de contestation sociale ouvert au début des années 2000. Au sein de ce cycle le nombre de grèves s’est réduit après le 11 février, cédant la place à un intense mouvement d’organisation dans les syndicats indépendants. Ces derniers sont confrontés à des difficultés parmi lesquelles la permanence du syndicat officiel dans les lieux de travail malgré la condamnation de son comité directeur dans la vague des procès de l’été. On ne peut que souhaiter la coordination et l’auto-représentation des mobilisations de travailleurs dans des syndicats indépendants, mais les luttes ouvrières auront lieu de toutes façons et, après un été manifestant, c’est un automne gréviste qui s’annonce.
Mélanie Souad