Monsieur André-Claude LACOSTE
Autorité de Sûreté Nucléaire
6, place du Colonel Bourgoin
75012 Paris
Valence le 23 septembre 2011
Objet : demande d’informations relative à l’accident CENTRACO du 12/09/2011
Envoi : lettre recommandée avec accusé de réception
Monsieur le Président,
Le 12 septembre dernier, une explosion se produisait à l’unité de fusion de déchets radioactifs métalliques de l’installation CENTRACO. Des informations publiées le jour même – déclarations de l’exploitant et communiqué officiel –, assuraient que l’accident n’avait provoqué aucun rejet à l’extérieur de l’installation. Notre association souhaite disposer des éléments nécessaires à l’appréciation de ces conclusions.
Sur la base des dispositions législatives et réglementaires qui garantissent l’accès du public aux informations relatives à l’environnement et aux pollutions susceptibles de l’affecter, nous sollicitons par la présente la transmission d’informations précises : 1/ sur le terme source, 2/ sur le dispositif de surveillance de la CENTRACO et sur les résultats qu’il a permis d’acquérir, 3/ sur les contrôles spécifiques mis en œuvre pour évaluer l’impact radiologique de l’accident, 4/ sur les procédures applicables aux interventions sur le four de fusion des déchets radioactifs métalliques et sur le statut des opérateurs. Chacun de ces volets est explicité ci-après.
1. Des informations précises sur le terme source :
La CRIIRAD demande que soit publié l’inventaire détaillé des produits radioactifs présents dans le four ainsi que dans les pièces affectées par l’explosion. En se basant sur les déclarations de l’exploitant, l’IRSN a publié, pour le contenu du four, un chiffre de 63 000 Bq censé correspondre à l’activité totale des radionucléides émetteurs bêta / gamma présents dans les déchets métalliques en cours de fusion. Toujours selon l’exploitant, le four contenait de l’ordre de 4 tonnes de déchets ce qui correspond à une activité massique moyenne d’à peine 16 Bq/kg. Cette valeur est étonnamment faible et précise. D’une part, en effet, la CENTRACO traite des déchets dits TFA (dont l’activité peut atteindre 100 000 Bq/kg) et FA (dont l’activité est typiquement comprise entre 100 000 à 100 millions de Bq/kg) [1] ; d’autre part, lorsque la CRIIRAD avait étudié le dossier, elle avait constaté que la caractérisation complète des déchets était trop coûteuse et que la procédure de contrôle incluait l’utilisation de spectres types ce qui implique d’importantes incertitudes dans les évaluations. En conséquence, si la CRIIRAD ne réfute pas, a priori, les chiffres ci-dessus, elle demande à pouvoir en éprouver la validité et demande communication de tous les éléments d’analyse : 1/ la nature et l’origine des différents déchets métalliques présents dans le four, 2/ le descriptif et les résultats des différents contrôles auxquels ils ont été soumis (résultats détaillés par radionucléide et par lot, avec mention des limites de détection et des marges d’incertitude).
Le défaut de publication de ces données ne peut qu’alimenter la suspicion. D’autant plus que des informations contradictoires circulent dans les médias. Une personne qui intervient sous couvert d’anonymat sur le blog du site « rue89 », mais qui se présente comme membre de l’unité de gendarmerie nationale qui est intervenue sur le site, indique qu’une mesure de débit de dose effectuée au « pseudo » contact du corps de la victime atteignait la valeur de 8,5 μSv/h. Un débit de dose aussi élevé est absolument incompatible avec une activité totale de 63 000 Bq.
2. Des informations précises sur le dispositif de surveillance de l’installation CENTRACO et des polluants qu’elle rejette dans l’environnement.
La CRIIRAD demande la publication d’un descriptif précis des équipements de contrôle de la radioactivité implantés à l’intérieur de l’installation CENTRACO et dans son environnement ainsi que des résultats qu’ils ont enregistrés entre le 11 et le 13 septembre 2011. Doivent notamment être détaillés : l’implantation des stations de mesure du rayonnement gamma ambiant, les caractéristiques et l’implantation des dispositifs de contrôle de l’activité de l’air, que ce soit dans le local qui abrite le four, dans l’unité de fusion, dans l’environnement immédiat de cette unité, dans l’environnement de l’installation. Ces informations doivent notamment préciser si le contrôle de l’activité de l’air inclut, ou non, l’évaluation de l’activité du tritium, du carbone 14, des gaz rares et de façon générale, des radionucléides émetteurs alpha ou bêta purs.
La CRIIRAD demande également la publication de toutes les données relatives aux rejets d’effluents radioactifs et chimiques dans l’atmosphère via la cheminée de rejet de l’installation. Les documents demandés doivent décrire les dispositifs de contrôle en détaillant les protocoles de prélèvements (qu’ils s’opèrent en continu ou sur échantillonnage) ainsi que le protocole analytique (mesures en direct et en différé, radionucléides mesurés, limites de détection, radio- nucléides exclus des contrôles, etc.). La CRIIRAD demande communication de l’ensemble des résultats disponibles pour les rejets effectués du 10 au 14 septembre 2011 (résultats détaillés par jour, assortis selon le cas des marges d’incertitudes ou des limites de détection, avec mention de la date de l’acquisition). Selon l’IRSN, l’exploitant a indiqué, dès le 12 septembre, « ne pas avoir constaté d’augmentation de l’activité rejetée à la cheminée de l’installation ». C’est donc qu’il dispose de ces chiffres et que l’expert de l’Etat s’en fait l’écho dans son communiqué sans les assortir d’aucune réserve. Dans ces conditions, la publication des chiffres est impérative. La rétention d’information ne peut qu’alimenter la défiance.
3. Un bilan détaillé des contrôles spécifiques mis en œuvre afin d’évaluer l’accident et son impact.
Les déclarations du 12 septembre sur l’absence de rejet à l’extérieur de l’installation n’ont été assorties d’aucune démonstration chiffrée. La transparence est d’autant plus nécessaire que l’on peine à comprendre qu’une installation qui procède à des rejets d’aérosols et de gaz dans l’atmosphère, en fonctionnement normal et via le système de ventilation, puisse cesser tout rejet au cours d’une phase accidentelle impliquant une explosion et un incendie et de forts dégagements de fumée. De plus, alors que 10 jours se sont écoulés depuis l’accident, les seuls résultats chiffrés dont nous avons eu connaissance concernent 5 échantillons d’herbe analysés par l’IRSN (résultats publiés le 14 septembre). Ces contrôles ont donné lieu à la diffusion de conclusions erronées. En effet, des analyses par spectrométrie gamma ne permettent de détecter ni les radionucléides émetteurs alpha purs ni les radionucléides émetteurs bêta purs. Or, ce sont ces radionucléides que l’installation CENTRACO rejette en plus grande quantité (tritium et carbone 14 notamment). Par ailleurs, des prélèvements d’herbe ne peuvent pas renseigner sur l’impact des polluants qui ne sont pas métabolisés par la plante. D’autres types d’échantillonnages sont nécessaires.
Afin d’apprécier la pertinence des contrôles mis en œuvre et la portée des conclusions que l’on peut en tirer, la CRIIRAD demande donc communication de l’ensemble des contrôles spécifiques réalisés par les différents intervenants (SOCODEI, CEA, services de secours, IRSN, etc.), à l’intérieur et à l’extérieur de l’unité de fusion, et notamment sur les fumées, sur les déchets métalliques et sur le personnel.
Ces informations sont indispensables pour identifier les éventuelles lacunes et déterminer le niveau de garantie que les contrôles permettent de donner (absence de rejets supérieurs à telle ou telle valeur pour telle ou telle catégorie de radionucléides).
La CRIIRAD demande également la publication des modélisations relatives à la dispersion des rejets atmosphériques pendant la phase accidentelle (axe et vitesse de déplacement, expansion, altitude...) en fonction de la température du foyer (certaines sources mentionnent 1 200°C), de la vitesse et de la direction des vents. Ces informations permettront de vérifier si le plan de surveillance environnemental a bien été ciblé sur les zones susceptibles d’être le plus impactées (ce ne sont pas forcément les zones les plus proches du foyer d’émission).
4. Des informations précises sur le statut des victimes de l’accident ainsi que sur les procédures applicables aux interventions sur le four de fusion des déchets métalliques
La CRIIRAD souhaite connaître l’employeur et le statut de l’opérateur tué par l’explosion ainsi que des 4 autres intervenants qui ont été blessés. S’agit-il d’employés d’une entreprise de sous- traitance (si oui laquelle) ou d’employés de la SOCODEI (dans ce cas leur statut est-il équivalent à celui du personnel du groupe EDF dont la SOCODEI est filiale à 100% ?).
Le communiqué IRSN du 13 septembre indique que l’enquête devra déterminer si l’accident « est dû à une défaillance d’équipement ou à une erreur humaine ». D’autres hypothèses doivent être envisagées et notamment les conditions et l’organisation du travail, la formation des opérateurs et les procédures d’intervention. La SOCODEI indique que la sûreté implique « l’interposition entre le personnel d’exploitation et la matière radioactive d’au moins une barrière de confinement (fûts, parois de locaux, caisse de transport) » tout en précisant que cette barrière peut être supprimée. L’exploitant ajoute en effet : « pour les opérations à l’intérieur de cette barrière, l’obligation faite à l’opérateur de revêtir des tenues spéciales avec des appareils de protection des voies respiratoires ». Ces protections paraissent dérisoires pour des interventions directes sur un four qui peut contenir 4 tonnes de métal radioactif en fusion.
De fait, on ignore, pour l’instant, les circonstances exactes de l’accident (certaines sources évoquent l’ouverture d’une trappe à l’aide d’une barre à mine, d’autres l’utilisation d’une barre à mine pour casser la couche de métal non fondu qui s’était formé au contact de l’air, au-dessus du métal en fusion). Les investigations étant encore en cours, il est probablement prématuré de demander des informations sur ce volet du dossier. En revanche, nous souhaitons obtenir communication des procédures et dispositifs de protection qui encadrent les interventions sur le four à induction. L’exploitant indique qu’il a procédé, en 2010, dans le cadre du réexamen décennal, à une réévaluation approfondie de la sûreté de son installation et que l’ensemble du dossier a été transmis à l’ASN.
Par ailleurs, afin de compléter notre dossier, nous souhaiterions également avoir communication des documents suivants : 1/ Les Règles Générales d’Exploitation relatives au fonctionnement de l’installation CENTRACO ; 2/ Le Rapport de Sûreté ; 3/ Le Plan d’Urgence Interne ; 4/ Le Plan Parti- culier d’Intervention ; 5/ le Rapport d’activité 2010 (à ne pas confondre avec le rapport TSN). Si cela vous est possible, nous préfèrerions obtenir les documents sous format numérique (ils peuvent nous être adressés à contact criirad.org).
Vous remerciant de votre attention et restant à votre disposition pour toute précision, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de nos sincères salutations.
Pour la CRIIRAD, la directrice, Corinne CASTANIER