Le ralliement en février des partis de l’opposition traditionnelle au mouvement de contestation a encouragé les jeunes à installer un camp de toile sur la place faisant face à l’université, pour réclamer le départ du Président, au pouvoir depuis 33 ans.
L’octroi du prix Nobel de la paix à la militante yéménite Tawakkol Karman devrait apporter un second souffle à la révolution yéménite, dont le caractère pacifique a été battu en brèche par les face-à-face sanglants qui opposent depuis plusieurs jours les partisans et les opposants au président Ali Abdallah Saleh. Les milliers de jeunes, qui ont campé jeudi et vendredi sur la place du Changement à Sanaa, ont laissé éclater leur joie à l’annonce de l’attribution du prix prestigieux, pour la première fois, à une femme arabe. Dans un pays où la contestation contre le régime ne faiblit pas, les femmes disent également leur joie et leur satisfaction, surtout que la société yéménite ne leur accorde aucune liberté de mouvement. Ce prix Nobel les encouragera assurément à poursuivre le combat pour leur émancipation.
Bien que peu nombreuses, certaines d’entre elles ont tenu à exprimer un enthousiasme mesuré « car Tawakkol Karman est membre du parti Al Islah, la branche yéménite des Frères musulmans ». Mais dans tous les cas, les femmes sont « sincèrement reconnaissantes du courage » de cette militante des droits humains : la première à avoir osé descendre dans les rues yéménites, le visage découvert. Une véritable révolution dans ce pays miné par les archaïsmes et le conservatisme. L’événement réjouit aussi les hommes. Khaled Al Anesi, avocat des droits de l’homme au côté de Tawakkol Karman dès les premières heures de la révolte, en tête.
« C’est un choc. On ne s’y attendait pas du tout. Ce prix va changer beaucoup de choses. Cela va relancer l’attention sur la révolte yéménite et aussi embarrasser beaucoup de pays arabes et internationaux. Enfin, cette récompense va encourager davantage les activistes des droits de l’homme à se battre », a-t-il soutenu. Journaliste et militante de la première heure pour la liberté d’expression et les droits des femmes, Tawakkol Karman a joué un rôle de premier plan dans le déclenchement, fin janvier, des manifestations estudiantines contre le président Saleh. Connue pour son opiniâtreté, elle a conduit les manifestations qui s’ébranlaient chaque jour de l’université de Sanaa pour être dispersées, le plus souvent à coups de bâton, par les partisans du régime toujours en place malgré près de neuf mois de révolte.
Le ralliement en février des partis de l’opposition traditionnelle au mouvement de contestation a encouragé les jeunes à installer un camp de toile sur la place faisant face à l’université, pour réclamer le départ du président, au pouvoir depuis 33 ans et qui refuse de partir. « L’attribution du Nobel est une récompense pour le peuple yéménite dont la révolution est pacifique et qui restera pacifique jusqu’à la victoire, malgré les tentatives du régime de l’entraîner chaque jour vers la violence », a déclaré, à la presse, vendredi, Mme Karman de sa tente sur la place du Changement. Avec un prix Nobel en poche, Tawakkol et ses compagnons de révolte espèrent à présent poser le dossier du Yémen sur la table des Nations unies afin d’accentuer la pression sur le régime de Ali Abdallah Saleh et accélérer sa sortie.
Anis Zineddine