« Militant, mais à part entière »
Olivier Martin
Depuis la disparition brutale d’Aguirre c’est par dizaines de messages que vous avez fait part, non seulement de votre émotion et de votre peine, mais aussi de votre sentiment d’injustice et de révolte face à l’insupportable.
Merci à toutes celles et à tous ceux qui se sont manifestéEs, à celles et à ceux qui peuvent être présentEs aujourd’hui aux côtés des ses proches : sa maman, Mme Noverraz, Sophie sa compagne, son amie, sa camarade, sa complice de toujours, la mère de leurs deux enfants, Simon son fils, Léa sa fille, et Cynthia sa nouvelle compagne. Merci aussi à toutes celles et à tous ceux qui n’ont pu se déplacer mais on exprimé leur présence en pensée à nos côtés.
Daniel Noverraz que tout le monde connaissait sous le diminutif de Nono ou plus souvent sous le nom d’Aguirre, le nom qu’il s’était choisi, nous est arrivé de Suisse, où il militait déjà à la Ligue Marxiste Révolutionnaire organisation liée à la IVe internationale comme la LCR, au milieu des années 70.
De ces années jusqu’à aujourd’hui il a été de tous les combats, de toutes les mobilisations, mais aussi de tous les débats, exerçant les plus hautes responsabilités dans la LCR et dans le NPA.
Mais c’est à Montreuil où il a vécu tant d’années avec Sophie, Simon et Léa qu’il gardait un contact étroit avec la réalité, au plus prés des luttes sociales et politiques locale. D’ailleurs bien peu se serait douté que derrière le militant d’extrême gauche montreuillois le plus connu de toutes et de tous se cachait le plus français des Suisses !
Mais l’histoire d’Aguirre, que j’appelais affectueusement Léonce ne saurait se réduire à la vie interne de la Ligue. Certes il a beaucoup fait pour l’existence d’une presse révolutionnaire, indépendante, ne mégotant jamais pour prendre sa part et, plus que sa part, dans des taches dites organisationnelles. Des souscriptions à toutes les campagnes électorales (sans avoir le droit de vote, encore une singularité qui participait du charme du personnage). Il était tout le contraire d’un aristo ou d’un apparatchik hautain, il a toujours refusé toute séparation entre les tâches dites techniques et l’animation politique.
Militant, mais à part entière.
Mais ce que je retiens de lui, ce n’est pas telle ou telle position, dans tel ou tel congrès, mais son côté non dogmatique, son refus du sectarisme, son ouverture d’esprit et sa disponibilité à être bousculé sur tout ce qui avait été, la veille encore, considéré comme une évidence.
Aguirre avait ses convictions, souvent chevillées au corps, mais loin de voir le doute comme une entrave à l’action il acceptait de le prendre comme oxygène de l’intelligence.
Aguirre ce n’était pas un militant trotskyste au sens classique du terme, plus exactement il était bien davantage, tout simplement un marxiste révolutionnaire, prenant ce qu’il y avait de mieux dans cette tradition, en premier lieu la démocratie interne, sujet sur lequel il ne transigeait pas, il n’a pas hésité bien avant tout le monde à condamner la répression à Cronstadt (refusant la logique de la tragique nécessité). Il a participé également avec certain d’entre nous (bien peu au début) à une lecture critique de ce que nous appelions les États ouvriers comme l’URSS ou les pays de l’Est. Je n’oublie pas non plus avec quelle pertinence il a perçu la place que devait occuper l’écologie dans notre programme comme dans notre activité concrète.
Outre cette disponibilité intellectuelle, Aguirre possédait aussi sa manière de débattre où le maître mot était le respect, rien ne l’attristait plus que les ruptures personnelles consécutives aux désaccords politiques, pour lui rien ne justifiait le silence et la distance. Son leit-motiv : ne jamais insulter l’avenir, garder le contact humain, militant. Pour lui cette exigence ne se réduisait pas à sa sphère partidaire ou partisane mais englobait toute la galaxie radicale.
Si Aguirre était capable de coup de gueule, et il l’était, c’était sans conséquence, l’humain, l’amitié reprenait le dessus.
Mais surtout il s’épanouissait à chaque mobilisation ou rendez-vous altermondialiste, même si, pour une raison que j’ignore (mais je ne suis pas le mieux placé pour lui reprocher) il a toujours refusé de chercher à maîtriser une autre langue que le français ! Plus qu’attentif, à l’affût de toute nouvelle expérience, il suivait tout ce qui se passait dans la gauche anticapitaliste et antilibérale en Europe. Pour autant bien qu’internationaliste convaincu il avait garder un petit côté pro-Suisse quand il parlait de Solidarités (ou moins sérieusement quand pour me taquiner il m’agitait sous le nez le journal où l’on annonçait une nouvelle victoire de Roger Federer, tennisman suisse, j’ajouterai que le Luxembourg où il retrouvait régulièrement Cynthia s’était vu hisser au rang de grand nation sportive grâce aux frères Schleck n° 2 et n°3 en vélo dans le dernier tour de France).
Léonce c’était aussi cela, tout sauf un curé rouge.
Pour lui militer c’était vivre, et la vie il l’aimait, il aimait boire, manger (il me parlait pour me faire saliver des talents de cuisinière sa maman), disponible pour toute rencontre, prêt à tout pour peu que ce fut un moment convivial.
Quand je suis tombé malade, à chacune de ses visites, mes bouteilles se souviennent de son passage, je pourrais jamais plus le remercier pour tout le bien que me faisait sa venue régulière, ses sourires et la chaleur de ses mots.
Voilà il vient de partir, je vais regretter son caractère bordélique qui lui faisait perdre au moins dix fois son trousseau de clefs par semaine et s’écrier « punaise c’est diabolique », je vais regretter les repas pris ensemble qu’il concluait par son petit verre de prune, nos longues discussions politiques, nos interrogations, nos doutes, et ses longs silences qui laissaient transparaître son extrême pudeur le concernant. Nous allons tous regretter cette infinie gentillesse, cette absence d’arrogance, ce respect de tout le monde, jamais une insulte, jamais un propos homophobe ou misogyne.
Léonce c’était un type bien, extra, super.
Un fils, un papa, un compagnon dont tous ses proches peuvent être fiers.
Aguirre se sentait fatigué, la situation dans le NPA, les départs successifs de proches, tout cela lui pesait. Il avait décidé de prendre au sérieux son état de santé et m’avait demandé de lui trouver un médecin dans le XIIIe quartier où il habitait. Ce que j’ai fait. Au téléphone il s’est voulu rassurant en me disant qu’il avait pris rendez-vous et qu’il allait être suivi. Je l’ai vu le dimanche 25 septembre, lors de la réunion nationale de la direction du NPA à ma question « comment vas-tu ? » il m’a juste répondu « je suis entre de bonnes mains, je vais me soigner », suivi immédiatement d’un « et toi comment ça va ? » Jusqu’au bout cette pudeur, cette discrétion, cette économie de mots le concernant et tout de suite cet intérêt, cette disponibilité pour l’autre.
Je l’ai eu une dernière fois au téléphone en début de semaine.
Après, comme pour vous tous le temps des pleurs est venu.
Aguirre n’aimait pas les images guerrières du style un militant ne pleure pas, il serre les poings, au contraire il aimait citer le Che « il faut s’endurcir, mais sans se départir de sa tendresse ».
Alors il faut se laisser envahir par cette tristesse qui nous submerge face à la brutalité injuste des hasards de la vie.
Cette saine colère qui l’a animé, elle est nôtre et non celle des dieux qui s’ils existaient auraient beaucoup de comptes à nous rendre.
Aguirre attachait beaucoup d’importance à être présent à chaque départ d’une ou d’un ami. Il nous disait « il faut savoir accompagner ses morts ». Il aurait été heureux de nous savoir avec lui. Maintenant que chacune et chacun ferme les yeux et se souvienne en pensant à notre camarade que le plus beau des tombeaux c’est la mémoire des vivants.
Je suis certain qu’Aguirre aurait voulu qu’à nos larmes succèdent rires et embrassades, après la cérémonie nous nous retrouverons tous ensemble pour se souvenir de tous les bons moments qu’il a su nous faire partager.
Mais avant, comme ultime au revoir collectif et pour lui dire un grand merci, je vous demande d’applaudir fort dans vos mains ce formidable ami et camarade.
« Aguirre, tu es vraiment surprenant »
Flavia Verri
Aguirre,
Nous sommes réunis ce soir pour te rendre hommage, comme tu l’as toujours fait pour tes ami-e-s et tes camarades qui nous quittaient.
Nous aurions aimé exprimer notre admiration pour toi dans d’autres circonstances, nous n’en avons pas pris le temps. Tu es parti si vite et si tôt !
Beaucoup l’ont dit, tu es un être sensible et tendre, chaleureux et déterminé. C’est pour ça que nous t’aimons. Mais pas seulement.
Tu es un anticapitaliste hors pair, toujours à défendre les opprimés, à combattre les aliénations. Tu aimes particulièrement le mot « solidarités », au pluriel.
Aguirre, tu es aussi un homme surprenant et atypique.
Ton parcours politique à la Ligue puis au NPA, a pu paraître insolite, hétéroclite voire incohérent.
Dans les années 90, tu es l’un des principaux animateurs de la tendance Révolution ! de la Ligue.
Tu crois alors à la construction d’un parti lutte des classes et de masse dont la matrice serait les organisations d’extrême gauche.
En toute logique, tu appartiens à la nouvelle majorité de la Ligue à l’initiative de la campagne avec LO aux européennes de 99 et de la candidature d’Olivier en 2002.
La campagne du non de gauche au traité constitutionnel européen est un tournant pour toi.
Depuis lors, ton engagement est de participer à la recomposition unitaire d’une gauche radicale, prenant ses racines dans le champ politique existant comme dans les nouveaux mouvements sociaux.
Au moment des collectifs unitaires contre le TCE et des comités pour une candidature unitaire, tu inities dans la Ligue un lieu d’échanges, de rencontres et de réflexion que tu proposes d’appeler l’Arbre à Palabres. Joli nom, très poétique pour ce lieu atypique.
Dans la Ligue comme au NPA, tu es toujours à l’initiative de rencontres improbables et chaleureuses entre camarades aux parcours, aux histoires et aux âges différents.
Oui, Aguirre, depuis toujours, avec intérêt et affection, tu sais créer de la complicité militante avec des camarades plus jeunes que toi. Et depuis peu, dans une situation politique difficile, tu as retrouvé dans tes combats des ami-e-s, des camarades plus anciens que les aléas du débat interne avaient éloignés. Cela a été une grande joie pour toi.
Aguirre, tu en as écrit des contributions aux débats, des motions, des projets de résolutions, des textes de congrès... de nombreux textes défendus collectivement, des textes anonymes.
Ta signature, Aguirre, c’est ton style. Qui n’est pas toujours composé de phrases courtes, ni avare de subordonnées. Mais tu sais exprimer clairement nos idées. Les camarades rechignent à écrire, nous savons que nous pouvons toujours compter sur toi.
En 2005, Aguirre, tu milites contre l’exclusion des filles voilées de l’école, contre une stigmatisation qui t’est insupportable. Et, tu participes au collectif « une école pour toutes », un nouveau lieu de rencontres improbables. Dans le débat sur le voile, qui percute la gauche, le mouvement féministe, et bien évidemment la Ligue et plus tard le NPA, tu nous montres encore ta capacité à écouter et à échanger avec tous et toutes.
Du reste Aguirre, si tu penses que l’école doit être pour tous et toutes, tu penses aussi qu’il faut la détruire.
École = prison, enseignants = matons : tu n’es pas toujours dans la provocation !
C’est seulement maintenant que Sophie nous apprend ce que l’école t’a fait endurer quand tu étais enfant.
Mais bon, Aguirre, ça ne t’a pas empêché de militer avec une horde d’enseignants et d’aimer une institutrice avec qui tu as construit une partie de ta vie, avec qui tu as eu de si chouettes enfants.
Sophie, tu l’admires et tu en parles. Son opinion compte et sur tous les sujets.
Tout comme Cynthia, ta compagne avec qui ses dernières années, tu as construit une nouvelle vie, ton domaine, ton jardin luxembourgeois.
Aguirre, tu es vraiment surprenant.
Tu peux t’absenter d’une réunion de direction, pour prendre le temps d’écouter tes ami-e-s désemparés.
Tu arrives à travailler dans un placard désordonné, mais à la fin les comptes sont toujours bouclés.
Tu apprécies les défilés de mode de Lacroix car tu es passionné de haute couture. Si tu n’avais pas été militant, tu aurais été styliste, avoues-tu dans tes moments de rêverie. Les draperies travaillées, les tissus bariolés te plaisent même si pour toi le noir et le rose te vont si bien.
C’est du côté salle de bain que tu nous as bluffés. Sur l’étagère, nous avons trouvé de nombreux produits de beauté.
Aguirre, il y a une femme qui vit ici, demandons-nous pleins de préjugés ? Ben non, pourquoi ? Réponds-tu.
Ben, c’est à qui, toutes ces crèmes de soin, d’hydratation, de shampoings divers et variés ?
Ben, à moi !
T’inquiète, Aguirre, tu es beau gosse !
« Bon punaise », ton départ c’est « inouï, impensable, inimaginable » !
Tu nous manques déjà tellement...
Aguirre, tu l’as écrit si souvent à la fin de tes messages, aux ami-e-s, aux camarades :
Aguirre, c’est à notre tour de te le dire :
Bises, tendresses et amitiés de la part de nous tous.