La soirée de formation concernant les
rapports sociaux de sexe et de classe
sera l’occasion d’aborder plusieurs
questions concernant la situation des
femmes et l’oppression spécifique
qu’elles subissent. Nous avons
cependant dû limiter les thèmes et nous
avons fait le choix de nous concentrer
sur la division sexuelle du travail, comme
étant la base matérielle de l’oppression
des femmes. D’autres discussions seront
nécessaires afin d’aborder d’autres
aspects également importants pour les
femmes - et les hommes - tels que les
droits reproductifs, les violences
domestiques, la famille, etc.
L’objectif de cette soirée est donc de
souligner l’existence d’une oppression
spécifique qui se traduit par une surexploitation
des femmes dans le système
capitaliste et de montrer son actualité à
travers une analyse de la situation des
femmes sur le marché du travail. La
conclusion de notre intervention portera
sur la nécessité d’intégrer une dimension
féministe à notre perspective socialiste
et de contribuer au développement d’un
féminisme qui intègre la dimension de
classe.
1. L’approche en termes de rapports sociaux de sexe
L’approche en termes de rapports
sociaux de sexe a été développée en
France par des féministes (sociologues,
philosophes, ...) dans le sillage du
mouvement féministe des années 1970.
Le premier élément à souligner
concernant cette approche, est la
rupture avec les discours biologisant et
naturalisant qui ont tant servi à justifier
la subordination des femmes. Les
rapports entre femmes et hommes sont
des rapports construits socialement, et
pas une donnée naturelle ou biologique.
Comme l’écrit Danièle Kergoat :
« La situation des hommes et des
femmes ne sont pas le produit d’un
destin biologique mais sont d’abord des
construits sociaux. (...) Ils forment deux
groupes sociaux qui sont engagés dans
un rapport social spécifique : les rapports
sociaux de sexe. » [1]
Deuxièmement, les rapports sociaux de
sexe reposent sur un rapport
hiérarchique entre les sexes. Il s’agit
d’un rapport de pouvoir, de domination.
Il existe une oppression spécifique des
femmes antérieure aux sociétés de
classe. Le capitalisme s’est donc appuyé
sur cette oppression tout en la modifiant.
Nous analyserons en particulier,
comment ces discriminations sont
utilisées pour surexploiter les femmes
sur le marché du travail. Cela nous
permettra également de montrer que les
rapports sociaux de sexe et les rapports
de classe coexistent et s’articulent dans
notre société.
Kergoat souligne que les rapports
sociaux de sexe « ont une base
matérielle, en l’occurrence le travail, et
s’expriment à travers la division sociale
du travail entre les sexes, nommée, de
façon plus concise : division sexuelle du
travail. » C’est sur cette base matérielle
de l’oppression des femmes que nous
nous concentrerons.
2. La Division sexuelle du travail (DST) et son actualité
De tout temps et dans toutes les
sociétés, on constate l’existence d’une
division sexuelle du travail : certaines
tâches sont assignées prioritairement
aux femmes, et d’autres, aux hommes.
Cette division sexuelle du travail n’est
pas identique dans toutes les sociétés et
varie avec le temps. Par contre, ce qui
est un invariant c’est la moindre
valorisation sociale des tâches attribuées
aux femmes.
La division sexuelle du travail est basée
sur deux principes, la séparation et la
hiérarchisation.
Selon le principe de séparation,
certaines activités sont réservées aux
hommes d’autres aux femmes. Cela
signifie qu’il y a des tâches considérées
comme féminines et d’autres comme
masculines et de cette conception
découle l’assignation de certaines tâches
à l’un ou l’autre genre. Par exemple, en
Suisse, plus de la moitié des femmes
travaillent aujourd’hui dans le secteur de
la santé, de l’éducation, de la
restauration/hôtellerie, de la vente et du
commerce. En 1990, deux professions
réunissaient près de 32% des salariées -
vendeuse et employée de
bureau/commerce, alors que pour réunir
28% des hommes actifs, 10 métiers
étaient nécessaires. L’Office Fédéral de
la Statistique (OFS) note également que
les choix professionnels des jeunes sont
toujours fortement marqués par
l’appartenance sexuelle et qu’on observe
à ce sujet qu’une évolution minime
depuis 1990 [2].
Le principe de séparation se traduit de
façon encore plus évidente au niveau des
tâches reproductives, qui restent encore
une prérogative des femmes. Selon les
chiffres de l’OFS, en 1997, dans les
familles avec enfants, neuf femmes sur
dix assument seules les tâches
domestiques et familiales. Dans
l’ensemble, les femmes consacrent deux
fois plus de temps que les hommes aux
tâches domestiques et à la famille (en
moyenne 31 heures par semaines contre
17 heures pour les hommes). [3]
Le manque flagrant d’infrastructures de
prise en charge des enfants participe au
maintien de cette inégalité. Comme l’a
relevé une étude de la Commission
fédérale pour les questions féminines,
les besoins de prise en charge des
enfants n’étaient couverts, en 1991, qu’à
raison de 2 % environ (moyenne suisse).
51% des ménages confient la garde des
enfants à la parenté, notamment aux
grands-parents, qui, le plus souvent, se
trouvent être des grands-mères [4] !
En France, deux économistes de l’INSEE,
Anne Chaudeau et Annie Fouquet ont
réalisé, au début des années 80, une
évaluation de cette production
domestique : celle-ci représenterait une
grandeur de l’ordre de 50% du PIB.5 Ce
travail non rémunérée des femmes est
énorme et indispensable au capitalisme.
Il semble difficile d’imaginer qu’en
système capitaliste, ces tâches soient
prises en charge totalement et de
manière collective. La revendication
d’une réelle socialisation du travail de
reproduction (crèches, santé, éducation,
transport, alimentation, ect...) est donc,
en soi, très subversive !
Le principe de hiérarchisation
implique une valeur différentielle
accordée au travail selon que c’est un
homme ou femme qui le réalise. Le
travail des hommes vaut toujours plus
que le travail des femmes. Kergoat
souligne que « le travail des hommes a
toujours une valeur monétaire mais
aussi une reconnaissance sociale
supérieure à celui des femmes. On le
voit bien à propos des qualifications. Que
ce soit dans les services ou dans
l’industrie, on peut prêter aux femmes
des qualifications mais comme ces
qualités sont « naturelles », on ne les
rétribue pas ou mal ». [6]
En Suisse, comme dans le reste du
monde, les salaires des femmes restent
en moyenne inférieurs à ceux des
hommes. Selon les chiffres de l’OFS, en
2002, ces disparités salariales étaient de
21% dans l’économie privé et de 11%
dans l’administration publique. Dans
certaines branches, ces différences de
salaires atteignent 40%, comme dans
l’industrie de l’habillement. En 2002,
11% des femmes travaillant à plein
temps touchaient un salaire net inférieur
à 3’000, contre 2% des hommes. Les
secteurs typiquement féminins de
l’hôtellerie restauration, du nettoyage,
des services personnels (coiffure,
blanchisseries, etc.) et de la vente sont
les principaux secteurs à bas salaires [7].
Kergoat rapporte l’exemple de la lutte
des infirmières en France en 1988-89.
Les infirmières revendiquaient, outre une
reconnaissance salariale, aussi une
reconnaissance au niveau de leurs
compétences et leurs qualifications. Elles
affirmaient que savoir s’occuper des
malades, être sensible à leurs
problèmes, leurs porter attention ne sont
pas des qualités naturelles des femmes :
ce sont des capacités qu’on acquière.
D’autres sociologues, comme Maruani,
ont montré que la qualification est une
construction sociale sexuée qui a des
conséquences notamment salariales. En
effet, le problème des écarts salariaux
entre hommes et femmes est
étroitement lié à la question de la
qualification : les femmes et les hommes
ne font pas le même travail, ils n’ont pas
les mêmes qualifications, n’exercent pas
dans le même secteur d’activité, etc...
L’étude effectuée par Maruani dans le
secteur de la typographie permet de
mieux comprendre le phénomène de la
production de la différence entre
hommes et femmes. En 1983 soixantehuit
clavistes d’un journal se mettent en
grève pour revendiques l’égalité de
salaire et de traitement. Les inégalités
sont en effets éclatantes : elles (les
clavistes) gagnent deux à trois mille
francs de moins qu’eux (les typos) ; elles
sont au rendement, eux travaillent « en
conscience » ; elles ont droit à vingt
minutes par jour, eux à dix minutes par
heure ; elles terminent à heure fixe, eux
partent quand ils ont fini leur travail ;
elles sont commandées, eux pas.
Maruani montre comment au fil du
temps des distinctions ont été crées pour
distinguer le travail des typos et des
clavistes afin de justifier ce traitement
inégal. La différence des machines
utilisées à joué longtemps un rôle
important, cependant même lorsque tous
et toutes travaillent devant un clavier
d’ordinateur, le travail n’est toujours pas
exactement le même... « Les ouvriers du
livre font de la correction et de la saisiecorrection,
les clavistes de la saisie
« simple », « au kilomètre ». Et le
verdict tombe : la correction a la
noblesse du métier, la saisie est trop
simple pour être qualifiée. Même si, de
fait, les clavistes font de la correction
puisqu’elles n’ont droit qu’à 5% d’erreur.
Même si la « saisie au kilomètre », telle
qu’on la demande aux clavistes, requiert
une dextérité et une rapidité que les
ouvriers du livre ne possèdent pas :
d’elles, on exige 380 lignes/heure ;
d’eux, on attend une moyenne de 180
lignes/heure. De fait, quelles que soient
les transformations du procès de travail,
quelle que soit l’évolution du contenu
des tâches ou des performances du
matériel, la hiérarchie des qualifications
demeure. Le métier est masculin. Le
travail non qualifié est féminin. » [8].
Cet exemple n’est pas si éloigné de la
réalité que connaissent aujourd’hui les
femmes travaillant dans ce secteur. En
Suisse, le travail qualifié des femmes
dans l’imprimerie n’a été autorisé qu’au
début des années 70. C’est
principalement le syndicat qui s’est
opposé à l’entrée des femmes dans ce
secteur en ce qui concerne le travail
qualifié, alors qu’elles ont toujours été
présentes dans les imprimeries à des
postes considérés comme non-qualifiés.
Les clavistes étaient considérées comme
des travailleuses non-qualifiées. Jusqu’en
1988, le Contrat collectif de travail (CCT)
de l’industrie graphique prévoyait des
salaires minimaux différents pour les
hommes et les femmes considérés
comme non-qualifiés (2244 frs pour les
femmes et 2662 frs pour les hommes) [9].
En 1994, la commission des femmes du
Syndicat du livre et du papier a déposé
plainte contre le syndicat - en se basant
sur le principe constitutionel - car celui-ci
voulait à nouveau signer un CCT
contenant des salaires minimaux
différents. La différence actuelle
moyenne de salaire entre hommes et
femmes dans ce secteur est de 20%
pour les travailleurs qualifiés (22% en
Suisse alémanique, 4% en Suisse
romande et 30% au Tessin) et de 30%
pour les travailleurs considérés comme
non-qualifiés (25% en Suisse
alémanique, 42% en Suisse romande et
15% au Tessin) [10]. En 2000, ¼ des
femmes travaillant à des postes
considérés comme « non-qualifiés »
gagnaient moins de 3130 frs brut par
mois - soit environ 2820 frs net - (3240
frs bruts/2910 frs net en Suisse
alémanique ; 2650 frs brut/2380 frs net
en Suisse romande ; 2780 frs brut/2500
frs net au Tessin) [11].
Il faut souligner que la tendance actuelle
est de déqualifier et précariser
également les salariés hommes. En effet
le patronat s’attaque aux qualifications
(qui sont à la fois imposées, mais aussi
une reconnaissance conquise) pour les
remplacer par les compétences : une
évaluation individuelle qui ne peut pas
faire l’objet de luttes collectives. A
nouveau, l’évolution de la situation de
l’industrie graphique, et plus
précisemment ici du secteur du prépresse
(mise en page, correction, etc.),
illustre bien cette tendance. Comme
nous l’avons dit, les femmes n’ont eu le
droit d’entrer à des postes qualifiés dans
l’industrie graphique qu’à partir des
années 70. Aujourd’hui, il y a plus de
femmes que d’hommes qui terminent
l’apprentissage de polygraphe (résultat
de la fusion des deux professions de
typographe et de lithographe). Cette
évolution s’est accompagnée d’une
dévalorisation de cette profession et des
salaires. Durant la crise des années 90,
on estime qu’1/3 des emplois de
l’industrie graphique ont été supprimés.
Les salaires s’en sont fortement
ressentis. Selon les chiffres de l’OFS, les
salaires réels de l’industrie graphique ont
stagné ces dix dernières année. On peut
estimer que pour l’écrasante majorité
des salariés, les salaires réels ont en fait
baissé, principalement à partir de
1996 [12].
Si l’on observe maintenant
l’évolution de la différence de salaire
entre hommes et femmes, on observe
que celle-ci s’est faiblement réduite
depuis 1996. Selon les chiffres de
l’association patronale Viscom, cette
différence est passée de 26,5% en 1996
à 18% en 2002 pour les travailleurs
qualifiés et de 24% à 20% pour les
travailleurs considérés comme non-
qualifiés [13]. Ainsi, c’est dans la catégorie
où les salaires ont le plus baissé - les
travailleurs qualifiés - que la différence
de salaires entre hommes et femmes
s’est réduite. Ce sont ici les salaires des
hommes qui baissent pour s’aligner sur
ceux des femmes.
Le capitalisme a renforcé l’inégalité déjà
existante entre les sexe pour
surexploiter la main-d’œuvre féminine.
Cette surexploitation facilite également
un processus vers une exploitation
accrues de tous les salariés.
3. Nouvelles tendances du travail des femmes
Comment se traduit aujourd’hui cette
surexploitation de la main d’œuvre
féminine sur le marché du travail ?
3.1. Salarisation (et tertiarisation)
« Au bout de vingt ans de crise de
l’emploi, envers et contre toutes les
prévisions, l’activité féminine ne cesse
de croître » [14]
Ce constat fait par Maruani dans son
livre sur l’évolution de l’emploi des
femmes est valable en Suisse, en Europe
et dans le monde. Il est toutefois
important de préciser au préalable que si
l’activité salariale des femmes ne cesse
de croître, cela ne signifie pas qu’elles ne
travaillaient pas avant ! Les femmes ont
toujours travaillé. De tout temps, et
dans toutes les sociétés connues, les
femmes ont pris part au travail productif.
L’affirmation selon laquelle les femmes
seraient confinées à la sphère
domestique dans certaines sociétés est
fausse. Si c’est le cas de certaines
femmes dans certaines sociétés, il s’agit
des femmes d’un groupe, d’une classe,
dominante. Les autres femmes doivent
travailler afin d’assurer la survie
économique de la famille.
Dans l’histoire de l’activité féminine, la
nouveauté n’est donc pas le travail
productif mais l’emploi salarié. En Suisse
– comme dans tous les autres pays
européens - le taux d’activité des
femmes s’est accru depuis les années
1960. A cette époque, les femmes
représentaient 1/3 de la population
active. Cette proportion passe à 39% au
début des années 90 pour atteindre
aujourd’hui près de 50%. Ainsi, en 2003,
74% des femmes contre 88% des
hommes sont considérés comme actifs. [15]
Il est important de préciser que cette
évolution recouvre des réalités fort
différentes en terme d’emploi : statut
fixe ou contrats à durée déterminée,
temps plein ou temps partiel, CCT ou
contrat individuel, travail à l’appel, etc.
Si les femmes sont de plus en plus
nombreuses à être « actives sur le
marché de l’emploi », mais très souvent,
au prix d’une grande précarité de
l’emploi.
Pour les femmes, avoir un salaire, est un
élément nécessaire et fondamental à
l’autonomie professionnelle et familiale.
La dégradation des conditions d’emploi,
la précarité, réduisent souvent cet
élément à néant ou en réduisent la
portée. A cela s’ajoute le fait que la
situation de beaucoup de femmes dans
les pays du Sud (travail informel,
maquilladoras, etc..), mais aussi au nord
(travail domestique, conditions d’emploi
de la plupart des femmes migrantes,
etc..) se rapproche plus de
l’esclavagisme que du travail salarié.
Lidia Cirillo aborde cette problématique,
notamment par rapport aux pays du sud,
et affirme que « le travail salarié des
femmes, dans les conditions imposées
par la mondialisation, est fatigue
incroyable, exploitation, chantage,
insécurité et peur. » [16]
3.2. Précarisation et flexibilisation
Le travail des femmes ne peut pas être
analysé sans s’intéresser au temps de
travail, et en particulier au phénomène
du temps partiel, qu’est la principale
caractéristique de la vie professionnelle
des femmes.
En Suisse, comme dans la majorité des
autres pays européens - la principale
exception étant la France - l’entrée des
femmes sur le marché de l’emploi s’est
fait principalement, ces dernières
décennies, par le biais du temps partiel.
Les hommes sont aussi de plus en plus
souvent concernés par le temps partiel.
En effet, les nouveaux postes crées sont
souvent des postes à temps partiel.
Ainsi, en 1999, le nombre d’emplois à
temps partiel a progressé de 4,9%
contre 0,8% pour les emplois à temps
plein.
En Suisse, plus de la moitié des femmes
actives travaillent à temps partiel, contre
un homme sur dix. [17] Le temps partiel
est souvent présenté comme allant
« dans le sens des intérêts des
femmes », relevant d’un choix des
femmes devant concilier activité salariée
et travail domestique. En fait, dans la
majorité des cas, cette modalité d’emploi
est imposée aux salarié·e·s, car elle
facilite aux employeurs l’adaptation des
effectifs à une production très flexible et
qu’elle permet de baisser les coûts de la
main-d’œuvre. De plus, dans la plupart
des cas, le développement du temps
partiel se fait à des conditions telles
(travail sur appel, horaires atypiques)
qu’il est difficile pour les femmes qui
occupent ces emplois d’assumer des
tâches familiales.
Souvent, les contrats à temps partiels
sont imposés aux femmes et acceptés
faute de mieux. Le résultat d’une petite
enquête sur le temps de travail réalisée
par Comedia en Suisse romande en 2002
montre qu’il ne s’agit souvent d’un
temps partiel imposé : 40% des femmes
interrogées qui travaillent à temps
partiel aimeraient travailler plus. Selon
l’estimation d’une enquête réalisée en
Suisse romande, seuls 75% des
travailleurs à temps partiel ont un
revenu mensuel stable et une durée
hebdomadaire du travail fixe [18].
Le temps partiel correspond également à
un salaire partiel. Les salariées à temps
partiel sont également moins bien
couvertes par les assurances sociales. En
Suisse : une salariée sur quatre, soit une
femme sur deux, échappe au deuxième
pilier car son salaire est inférieur à
24’120 fr par année [19].
Les formes de travail dites atypiques
touchent également de nombreuses
femmes, et de plus en plus d’hommes.
Un salarié sur 20 travaille par exemple
sur appel. Parmi eux, 2/3 sont des
femmes. [20]. Parmi les salariés travaillant
à domicile, en 2001, 78% sont des
femmes [21]. Les salariées sont également
majoritairement concernée par les
postes à duré déterminé, 66% de ces
postes sont en effet occupés par des
femmes.
La féminisation du marché du travail se
fait donc souvent au prix du temps
partiel, des bas salaires, de la
déqualification, du travail précaire et
atypique.
3.3. Chômage et sous-emploi
Concernant les nouvelles modalités de
disparités, Maruani met l’accent sur la
création de noyaux durs de chômage et
de sous emploi féminin. En Suisse, en
2003 le taux de sans emplois est de
4,5% pour les femmes contre 3,8% chez
les hommes [22].
Ces chiffres nous disent pas tout
concernant le sous-emploi des femmes.
En effet, les statistiques du chômage ne
prennent pas en compte les femmes qui
n’ont pas droit au chômage (parce que
considérées comme inaptes au
placement pour des raisons familiales,
par exemple), les nombreuses femmes
qui renoncent tout simplement à
s’inscrire au chômage, ou encore les
« femmes au foyer » qui aimeraient
travailler mais ne trouvent pas de place.
Le fait de ne pas avoir accès à un emploi
se décline différemment au masculin et
au féminin : « là où une femme peut se
déclarer - et être considérée - comme
inactive sous le vocable de « femme au
foyer » un homme doit se définir - et
être appréhendé - comme chômeur.
L’injonction n’est ni légale, ni
administrative, elle est sociale. » La
conclusion de Maruani est que « pour
évaluer la position des femmes sur le
marché du travail, il faut prêter attention
à l’inactivité tout autant qu’au
chômage. » [23]
4. Conclusion : la nécessité d’un approche et d’une lutte féministe de classe
Il nous paraît essentiel pour tout projet
et mouvement d’émancipation d’articuler
un approche de classe et féministe.
Comme le disaient certaines féministes
marxistes dans les années 70, « la classe
ouvrière a deux sexes ». Cette
affirmation est d’autant plus actuelle que
les femmes représentent la moitié de la
population active. Une compréhension de
leur oppression spécifique, et de leur
surexploitation par le capitalisme
(notamment à travers le travail de
reproduction) est indispensable pour une
analyse en termes de classe et donc
pour une lutte de classe consciente. Les
rapports sociaux de sexe et rapports de
classes s’articulent et évoluent de
manière dialectique.
Cela signifie également que toute lutte
pour l’émancipation des femmes doit
prendre en compte la dimension de
classe et la nécessité de dépasser le
capitalisme. Non seulement parce que ne
pas voir les rapports de classe équivaut
à nier la principale forme d’exploitation
sur laquelle repose le capitalisme et qui
est subie par la majorité des femmes et
des hommes. Mais également parce que
le capitalisme s’est appuyé et s’appuie
toujours sur l’oppression des femmes
qu’aucune émancipation réelle des
femmes ne sera possible sans changer
radicalement le système.
Enfin, cette nécessité d’une articulation
dans notre analyse et notre lutte des
rapports sociaux de sexe et de classe est
réaffirmée si l’on constate avec D.
Kergoat qu’« on voit apparaître, pour la
première fois dans l’histoire du
capitalisme, une couche de femmes dont
les intérêts directs (non médiés comme
auparavant par les hommes : pères,
époux, amants, ...) s’opposent
frontalement aux intérêts de celles
touchées par la généralisation du temps
partiel, les emplois de service très mal
rétribués et non reconnus socialement,
et plus généralement par la précarité. » [24]
Face à cela, il est important de
construire un projet qui parte des
besoins, des revendications et des luttes
de la majorité des femmes, et des
hommes. Seul un projet articulant de
manière dynamique les rapports sociaux
de sexe et de classe et proposant une
rupture radicale avec le capitalisme et
l’oppression des femmes est à même d’y
répondre.
Notes
1. Kergoat D. « Division sexuelle du travail et
rapports sociaux de sexe », in : Dictionnaire critique
du féminisme, Paris : PUF, 2000
2 OFS, Vers l’égalité ?, 2000.
3 OFS, Communiqué de presse, novembre 2003.
4 OFS, ESPA, 2001.
5 Chadeau A., Fouquet A., Le travail domestique, essai
de quantification, Archives et Documents, INSEE, cité
in Dussuet A., « Système capitaliste et structure
familiale », Actes du colloque Femmes et mondialisation
du Groupe Regards Critiques, Lausanne, 2000.
6 Kergoat D., « Division sexuelle du travail », Actes
du colloque Femmes et mondialisation du Groupe
Regards Critiques, Lausanne, 2000.
7 OFS, ESS, 2002. Les secteurs des soins
coroporels/nettoyage de vêtement, de
l’hôtellerie/restauration et du nettoyage ont des
salaires mensuels bruts médians inférieurs à 4000 frs
net. Les pires salaires médians mensuels bruts : les femmes travaillant à des postes considérées comme non-qualifiés dans l’industrie de l’habillement (3120
frs), dans les services personnels (3275 frs), hôtellerie/restauration (3302 frs).
8 Maruani M., Travail et emploi des femmes, La
Découverte, Paris, 2000.
9 Source : Comedia.
10 OFS, ESS.
11 OFS, ESS, 2000.
12 Si l’on observe les chiffres de l’OFS pour la
période 1993 - 2003, il est clair que la baisse des
salaires dans le secteur de l’industrie graphique
s’est nettement accentuée à partir de 1996.
13 Les chiffres fournis par Viscom montrent
également que si l’on prend en compte dans le
salaire les suppléments pour travail d’équipe, ce qui
est le cas des statistiques de l’OFS, la différence de
salaire entre hommes et femmes de la catégorie des
travailleurs considérés comme « non-qualifiés »
atteint 30%.
14 Maruani M., Op. Cit., 2000.
15 Statistiques sur la population active, ESPA, OFS.
16 Cirillo L., « La globalizzazione e le donne », texte
rédigé à l’occasion du Forum Social de Gênes, 2001.
17 OFS, ESPA, 2003.
18 Le Temps, 7 décembre 2001.
19 OFS, Statistiques sur la prévoyance
professionnelle, 2000. Notons à cet égard que
l’abaissement du salaire de coordination prévu dans
la 1re révision de la LPP n’améliorera pas la
situation des femmes par rapport à la retraite. De
nombreuses femmes vont cotiser à la LPP malgré un
salaire très bas et perdre le droit aux prestations
complémentaires de l’AVS lorsqu’elles atteindront
l’âge de la retraite.
20 OFS, ESPA, 2002.
21 24h, 19 septembre 2001.
22 OFS, 2003.
23 Maruani M., Maruani M., Travail et emploi des femmes, La Découverte, Paris, 2000, p.75.
24 Kergoat, D. in AaVv, Le monde du travail, Paris : la
découverte, 1998.