Des dizaines de milliers d’Egyptiens ont répondu à l’appel, lancé lundi par la Coalition des jeunes de la révolution, à une « Marche du million pour le salut national », mardi dès 16 heures, place Tahrir, au Caire. L’exercice est galvaudé : depuis la première marche du million, organisée le 1er février, pour réclamer le départ d’Hosni Moubarak, des appels à réitérer ce moment fondateur ont été lancés à chaque soubresaut révolutionnaire, avec plus ou moins de succès.
Si les manifestants qui ont réoccupés la place Tahrir depuis vendredi 18 novembre sont une fois encore éclatés en une constellation de contestataires sans leader ni mot d’ordre unique, tous veulent désormais mener à son terme la révolution entamée le 25 janvier et faire tomber le Conseil suprême des forces armées (CSFA), à la tête duquel le maréchal Hussein Tantaoui cristallise toutes les animosités. La majorité d’entre eux devraient ainsi se retrouver dans les revendications exprimées par la Coalition des jeunes de la révolution et 37 autres formations politiques [1] :
• la démission du gouvernement d’Essam Charaf.
• la formation d’un cabinet de salut national, composée de toutes les forces politiques, à qui l’armée confierait tous les pouvoirs pour gérer la transition politique
• l’organisation de l’élection présidentielle en avril 2012
• la restructuration du ministère de l’intérieur
• l’engagement de poursuites contre les personnes ayant du sang sur les mains.
La remise, lundi dans la soirée, de sa démission par le gouvernement d’Essam Charaf, à laquelle le CSFA n’a toujours pas donnée suite, a donné un nouveau souffle aux révolutionnaires égyptiens. Depuis les affrontements meurtriers de samedi et dimanche, plusieurs mouvements pro-révolutionnaires donnaient voix à ces revendications, à l’instar de la Coalition des jeunes de la révolution du 25 janvier sur sa page Facebook, du Mouvement du 6 avril sur son site internet, de la Coalition des jeunes de Maspero ou du Front pacifique pour le changement notamment.
Les formations politiques dénonçent la répression
Face à l’ampleur et à la violence de la répression, de nombreuses formations politiques se sont ralliées à leur cause, suspendant pour certaines leur campagne électorale à quelques jours du début, le 28 novembre, des élections législatives. Un soutien inattendu est venu mardi de 250 diplomates égyptiens, qui ont lancé un appel à mettre fin aux violences et à organiser l’élection présidentielle en avril 2012, que publie le quotidien égyptien Al-Ahram avec la liste en arabe des signataires. Sur son blog Egyptian Chronicles, Zeinobia note la présence remarquée du porte-parole du ministère des affaires étrangères et souligne que « c’est la première fois qu’une telle initiative surgit dans l’histoire de la diplomatie égyptienne ».
« Nous rappelons le rôle du Conseil suprême des forces armées dans la gestion de la période transitoire et la responsabilité qu’il assume dans les développements, ainsi que sa responsabilité à maintenir la sécurité et à assurer le droit de manifestation et de grève en vertu des conventions et des traités internationaux. Les déclarations du Conseil ont confirmé ces droits et l’obligation de remettre le pouvoir aux civils dans les délais les plus courts. » Extrait de la déclaration des 250 diplomates égyptiens.
Les différentes formations politiques sont restées prudentes dans leur soutien aux révolutionnaires. Si elles ont fustigé la répression exercée contre les manifestants, elles se sont dans leur grande majorité abstenues d’exprimer des revendications politiques, afin de ne pas mettre en péril le processus électoral. Seules quelques formations politiques et des intellectuels, parmi lesquels l’opposant Mohammed El-Baradei, ancien directeur de l’AIEA aujourd’hui à la tête du Parti du Changement, avaient proposé, dans un mémorandum dont le quotidien Al-Masry Al-Youm a obtenu une copie le 18 novembre, un report des élections parlementaires, la formation d’un « gouvernement de salut national », l’élection au suffrage direct d’une assemblée constituante chargée de rédiger la nouvelle constitution, l’organisation de l’élection présidentielle et le transfert total du pouvoir à un gouvernement civil. Ainsi, des élections parlementaires ne seraient organisées qu’une fois de nouvelles lois établies dans le cadre de la nouvelle constitution.
Une situation délicate pour les Frères musulmans
Pour les Frères musulmans, première force politique du pays dont le Parti de la liberté et de la justice est donné vainqueur des prochaines élections, la situation est délicate. « La manifestation de vendredi a été une démonstration de force des islamistes et il est probable qu’un parlement dominé par les islamistes choisisse de confronter le CSFA pour qu’il mette un terme plus rapidement à la période transitoire et élise un président », estime Issandr El-Amrany sur le blog The Arabist.
Les Frères se sont rapidement éclipsés de la place Tahrir face aux développements violents dont elle a été témoin. Lundi, ils ont toutefois, dans un communiqué publié lundi sur leur site internet, pointé du doigt la responsabilité du CSFA et demandé :
• le retrait des forces de sécurité de la place Tahrir ;
• l’engagement de poursuites contre les auteurs des attaques contre les manifestants ;
• la fixation d’un calendrier pour la tenue d’une élection présidentielle au plus tard mi-2012 ;
• la démission du gouvernement une fois les élections parlementaires terminées ;
• le respect de la liberté d’expression et du droit à manifester ;
• la fin du silence et l’ouverture d’un dialogue avec les forces politiques ;
• l’édiction de loi pour purger les responsables de corruption ; et un appel à toutes les forces politiques à s’unir pour sauver l’Egypte.
Les Frères musulmans ont ainsi été parmi les seuls à répondre à l’appel lancé par le CSFA à une réunion d’urgence avec toutes les forces politiques du pays. Ils avaient ainsi décidé de ne pas participer à la manifestation de mardi pour « ne pas entraîner le peuple vers de nouveaux affrontements sanglants avec des parties qui cherchent davantage de tensions ». Le quotidien égyptien Al-Shorouq rapporte que l’opposant Mohammed El-Baradei aurait refusé de rencontrer le CSFA, préférant conserver son rôle de médiateur entre le pouvoir militaire et les forces politiques d’une part, et les manifestants de la place Tahrir d’autre part. Sur son blog Egyptian Chronicles, Zeinobia rend compte des refus opposés au CSFA par d’autres formations politiques, à l’instar notamment du parti Al-Adl (« La justice »), ou du parti El-Masryin Al-Ahrar (« Les Egyptiens libres »), qui appelle sur sa page Facebook à la fin des violences et des excuses du pouvoir.