« Je n’ai jamais réussi à définir le féminisme. Tout ce que je sais, c’est que les gens me traitent de féministe chaque fois que mon comportement ne permet plus de me confondre avec un paillasson » Rebecca WEST. 1913.
Quel titre ambitieux ! Ou comment faire en sorte que personne ne soit d’accord avec vous. Avant de commencer cette contribution, il est bon de préciser qu’elle n’a vocation qu’à lancer un débat qui, il faut bien le dire, s’organise sur de très mauvaises bases. Question tripale s’il en est, question qui nous a déchiré-e-s, question qui n’est jamais prise par le biais du bilan politique mais toujours par le biais d’études sociologiques.
Autre précaution, les femmes des quartiers populaires ne sont pas « une », elles ont des visages variés, elles sont plurielles et avant de lire la suite, il faut faire un effort de mise à distance d’une image construite par les dominants.
Depuis plusieurs années les courants les plus réactionnaires mais aussi une partie de la gauche du pays se plaisent à faire passer les quartiers populaires pour des zones de non-droit pour les femmes et pour toute idée émancipatrice. Nous devons condamner cette vision due au mépris de classe et au racisme. Pour autant cette dénonciation ne doit pas nous faire basculer dans un autre sens. Beaucoup de contributions pour dénoncer cette dérive tombent dans un autre travers. Le féminisme est montré alors comme un potentiel danger, une source de confusion idéologique qui stigmatise les populations des quartiers populaires. A partir de là, par un effet domino, tout mouvement de femmes ou féministes dénonçant les violences faites aux femmes est marqué du sceau de la méfiance.
Nous devons dans les quartiers populaires, dénoncer le racisme et l’islamophobie mais aussi mettre en avant une vision féministe. Ne pas le faire serait considérer d’emblée que certaines populations ne sont pas prêtes à percevoir la complexité de la société dans la quelle nous vivons, ou ne seraient pas prêtes à lier les deux combats. Je renvoie sur cette question au texte de réponse à Capucine et Lisbeth écrit par Hélène, Marie-Do, Ingrid, Sophie et Josette. [1]
Quartier populaire et questions privées : une vieille histoire
(Parce que les pauvres sont toujours la plèbe)
Cette manière de criminaliser les couches les plus pauvres sur les questions de la vie privée n’est pas nouvelle. Au XIX° siècle la vision bourgeoise présentait les classes ouvrières ou paysannes comme quasi systématiquement violentes contre leurs enfants et leurs femmes. Cette vision stéréotypée de l’homme ouvrier, père de famille était bien évidemment scandaleuse. Pour autant certains problèmes existaient. Beaucoup de ces problèmes familiaux furent pris en charge par le mouvement ouvrier. Le problème de l’alcoolisme, du refus de la violence dans les familles paraît sur tous les tracts. Ainsi, le mouvement ouvrier, très rapidement s’est posé la question de la vie privée, basculant d’ailleurs souvent dans des visions normatives de ce que devait être une famille ouvrière ou paysanne honnête.
Une fois présenté ce tableau, peut-on dire que lorsque les instituteurs de la III° République enseignaient aux enfants qu’il ne fallait pas boire parce que cela rendait les gens violents, ils avaient tort ?
Par cet exemple, je veux montrer que mettre dans un même panier la vision de la bourgeoisie des forges, celle des institutrices et instituteurs de la III° République, et celle des bourses du travail, ne nous viendrait pas à l’idée.
Par ailleurs, alors que ce questionnement sur les conditions de vie familiales était posé, d’autres femmes issues de couches plus aisées de la population se battaient pour obtenir le droit de vote et le droit à l’éligibilité. Aujourd’hui dans l’histoire de l’évolution de la condition des femmes ces deux questions restent liées. A l’époque, tel ne fut pas le cas…. Une partie du mouvement ouvrier et de la gauche se battaient contre ces revendications dites bourgeoises qui dévoyaient la lutte de son combat essentiel.
Beaucoup, dans nos rangs se réclament aujourd’hui du « Black Feminism », et voient un titre qui leur semble intéressant (en le collant artificiellement à nos réalités nationales). Mais qui a lu « Racisme, féminisme et lutte des classes » d’Angela Davis, voit à quel point ces questions ont toujours été complexes. Il existait des suffragettes racistes, des abolitionnistes contre le droit des femmes et des hommes abolitionnistes et féministes qui se faisaient moquer par tous les autres.
Je ne reviendrai pas sur tous les aspects de cette problématique mais il règne dans notre parti une manière manichéenne de voir cette question. Le gouvernement et la gauche bien-pensante présentent le stéréotype de l’homme des quartiers (noir ou arabe) comme violent, machiste et réactionnaire. Il faut se battre contre cette vision. Mais si un homme des quartiers est violent, réactionnaire ou machiste, il faut y voir le produit de l’oppression sexiste et le combattre aussi.
Féminisme et associations de quartiers
Le recul du mouvement féministe qu’a connu la société a bien évidemment concerné aussi les quartiers populaires. La disparition des structures issues du PC, des militants chrétiens de gauche, la fin des équipes liées à la « Marche pour l’égalité », etc… ont laissé un vide, y compris sur ces questions.
Nous voilà revenues, à la base, réexpliquer que les femmes doivent sortir de la sphère privée, doivent se battre pour maintenir quelques droits. Les conditions de vie des femmes dans les cités marseillaises, par exemple, dépendent très souvent du travail effectué par les maisons de quartier. Celles qui ont la chance d’avoir un bon centre social militant, auront la chance de connaître leurs voisin-e-s, et seront plus résistant-e-s face à la détérioration des conditions de vie et aux oppressions qu’elles subissent. Clubs de couture, clubs cinéma, points de discussions entre parents (souvent les mamans), cours du soir ou aides aux devoirs sont autant de bases de potentielles résistances. Ce n’est pas obligatoirement du féminisme mais c’est un début de prise de conscience. Pourtant, cela ne règle pas tous les problèmes.
On reproche aux féministes d’être absentes des interventions dans les quartiers. C’est souvent un procès injuste qui leur est fait. Les féministes sont des militant-e-s, de moins en moins nombreus-es qui font leur maximum, là où elles (ils) sont : par exemple dans leur travail quand elles exercent dans un quartier populaire
Féminisme populaire, syndicats et partis
Avec la baisse de l’organisation des populations des quartiers dans les structures traditionnelles du mouvement de masse, le travail féministe de base a dû trouver d’autres biais pour exister. Il est plus facile de se battre collectivement pour le droit du travail dans une usine que de se battre pour les droits de femmes au chômage, cumulant des contrats précaires, des petits boulots ou se battant dans la jungle des démarches administratives pour les minimas sociaux. C’est en cela qu’une prise de conscience collective devient très difficile. Aujourd’hui, 80% des travailleurs précaires sont des travailleuses. Par ailleurs, c’est elles le plus souvent qui gèrent les obligations familiales. L’appellation politiquement correcte de « famille monoparentale » cache principalement l’expression « mère seule ».
Face à cela et comme dans beaucoup de pays pauvres, se développe, un « féminisme populaire », qui fait du féminisme sans le savoir ou en le sachant très bien, se battant pour des droits concrets et immédiats. Dans certains quartiers, si le tissu social reste dense, ces groupes voient le jour, vivent et organisent les femmes entre elles. Mais très souvent, ces structures, confrontées à des problèmes immédiats, cherchent des solutions immédiates. C’est tout à leur honneur mais cela pousse quelquefois à ne voir les femmes des quartiers que dans le cadre de la cellule familiale. On est aidé-e en tant que mère.
Autrefois, les réponses immédiates à des problèmes concrets finissaient par être absorbées et digérées par les structures traditionnelles du mouvement ouvrier. Même si cela nécessitait des batailles au sein même de ces groupes (débat sur le droit de vote, sur l’égalité des salaires, sur l’avortement….). Aujourd’hui chaque lutte acharnée menée par ces structures est aussitôt oubliée ou est à recommencer.
C’est en cela que le CNDF est une structure essentielle à préserver. Non pas parce qu’elle répond immédiatement aux problèmes des filles des quartiers populaires mais bien parce que cette mise en commun des organisations, ce lien entretenu avec les structures traditionnelles du mouvement social permet de créer une caisse de résonnance pour ce travail féministe quotidien. Notre intervention en tant que militant-Es politiques doit être de cet ordre là, lier les combats des femmes avec une histoire, et avec des groupes syndicaux, politiques pouvant faire caisse de résonnance. [2].
Et s’il faut tirer un bilan…. Tirons-le sérieusement
Le féminisme serait-il post-colonial ?
Il serait idiot de penser que la polémique sur le féminisme post colonial (voir appel de 2004) n’était qu’un simple piège. Il faut bien évidemment tirer les bilans du féminisme des années 1970. Pour autant, les mêmes qui se réclament d’un féminisme différent, ne font dans leur appel de 2004, aucune distinction entre les divers courants féministes qui existaient. Il n’y plus qu’une seule féministe blanche, potentiellement raciste et toujours donneuse de leçons. Souvent, le lien est fait aussi avec les institutions et quelquefois avec les théories de nos ennemis. Par exemple, on peut lire à Lyon, en mars 2007, dans un appel à un meeting par le groupe « Rebellyon.fr , collectif des féministes indigènes » : « Personnalités politiques, intellectuel-e-s, féministes, représentants institutionnels... en France, se penchant avec humanisme et compassion sur le sort des femmes issues de l’immigration post-coloniale que NOUS sommes ». On peut comprendre que cette généralisation et la confusion qu’elle autorise énervent.
Tirer le bilan du féminisme, ce n’est pas globaliser. Les féministes qui se réclamaient d’un féminisme lutte des classes se sont battues pied à pied pour que leurs idées l’emportent. Tel ne fut pas le cas… Mais c’est toujours un peu fort de café de voir que l’on accuse ces courants des dérives réactionnaires de leurs ennemis.
On glorifie le militant ouvrier qui s’est battu seul face à la droite, au stalinisme et aux trahisons de la gauche. Cela ne nous viendrait pas à l’idée de le renvoyer aux côtés de BHL, simplement parce que ce qu’il défendait ne l’a pas emporté.
Le mouvement féministe comme le mouvement ouvrier a subi les effets de la contre offensive ultralibérale. De nouveaux courants prétendent bousculer les rangs des féministes et posent aujourd’hui la question d’une possible dérive raciste mais ils prennent parfois un raccourci fort injuste et surtout fort malsain.
Le féminisme serait-il bourgeois ?
Le féminisme, on le sait est un mouvement qui traverse les classes et qui depuis les années 1970, traverse les murs de la vie privée. Les problèmes des femmes de la haute bourgeoisie n’ont rien à voir avec les problèmes de la femme de ménage sans-papier. Mais pourtant l’amélioration du droit du travail pour les unes donnera un peu d’air aux autres. C’est ce qui fait la force et la faiblesse de cette lutte. Ainsi, fallait-il se battre pour le droit de vote des femmes alors que les ouvrières mourraient de pneumonie dans les usines ? La réponse est « oui ». Les deux combats se mêlent. Les deux luttes se sont nourries. N’en déplaise à certain-e-s.
Alors est-ce qu’un féminisme porté par des femmes bourgeoises peut donner des réponses pour les femmes des quartiers populaires ? Les penseuses féministes de gauche (même les plus « postcoloniales » …) sont des intellectuelles, elles sont souvent issues de classes aisées. Ce constat est le même pour tout le mouvement ouvrier. Mais on note ici, que l’origine sociale des penseurs du socialisme revient peu, voire pas du tout dans nos débats. Il devrait en être de même pour les intellectuelles féministes.
Un exemple polémique : « Ni putes, ni soumises »
Difficile au regard du titre de ne pas tirer le bilan du mouvement « Ni putes, ni soumises ». Quand on lit la charte initiale, c’est sans conteste un cri de colère féministe que l’on retrouve dans le « Livre blanc des femmes des quartiers ». Le refus du silence et la réaction collective à la mort d’une jeune fille brûlée vive ont initialement été aussi marqués par le refus de la stigmatisation des populations des quartiers. Pourtant rapidement, le problème s’est posé… Fallait-il parler des conditions de vie des femmes dans les quartiers et alimenter jour après jour les escarcelles des racistes et des réactionnaires ? Je continue à penser que ce mouvement a répondu à une attente, à un problème. Mais l’absence d’une perspective d’émancipation prenant en compte l’articulation des dominations a entrainé une dérive rapide et catastrophique. En choisissant progressivement de se parer du seul rempart de la laïcité bourgeoise, la fin était prévisible. Cette évolution manifeste en négatif le fait que c’est justement dans une résistance s’appuyant sur une analyse liant entre elles les dominations que résident notre perspective pour le féminisme.
Le problème des violences faites aux femmes était alors renvoyé à un problème de « jeune de banlieues ». Fin du bal, tout le monde y retrouvait ses petits. Ceux qui voulaient voir dans ce mouvement, une simple stigmatisation de plus des populations des quartiers, ont fini par avoir raison. Le combat des jeunes filles des quartiers a fini dans l’imaginaire collectif à en être réduit à une simple alternative entre le port du voile ou non, gommant tous les autres combats. Fadéla Amara, ministre de Sarkozy a clôt le processus.
C’est la triste loi du rapport de force perdu lié à la loi de la société machiste. La faute est retombée sur les déjà bien fragiles épaules du mouvement féministe dans sa globalité. Et là dedans, pas de ligne de partage : le mouvement féministe lutte des classes s’est vu assimilé, voire accusé de cette dérive au même titre que les autres.
Qui se souvient aujourd’hui du départ des camarades marseillaises ou d’autres qui quittent NPNS pour protester contre ces dérives, qui se souvient encore du départ de NPNS du CNDF parce que ce dernier refusait de faire un Nième rappel aux valeurs de la république. Et surtout qui veut s’en souvenir ?
Cet exemple là, n’est que ce que Nancy Fraser explique à un niveau international, beaucoup mieux que moi. Elle cite dans son article « Féminisme et capitalisme : une ruse de l’histoire » [3], l’exemple des campagnes des ONG pour les droits humains : « les campagnes pour les droits humains des femmes, dit-elle, furent intégralement centrées sur les questions de violence et de reproduction, par opposition aux enjeux de pauvreté…. Ces efforts ont eux aussi fait passer la reconnaissance avant le redistribution ». Enjeu de reconnaissance, finalement plus facile à accepter pour les capitalistes.
Alors que faire ?
J’ai donné quelques pistes, en évoquant la participation au CNDF ou en se battant jour après jour dans les structures de masse auxquelles nous devons participer afin que les questions des droits des femmes soient portées de la façon la plus large possible. J’ai rendu hommage aussi aux associations de femmes, aux féministes, aux maisons de quartier qui jour après jour mènent des luttes concrètes. La crise du capitalisme, sans précédent, qui n’en finit plus de rebondir, a déjà eu des effets immédiats sur les quartiers populaires. Croire que cela n’augmentera pas les violences dans ces quartiers serait mal connaitre ce que c’est que subir la pauvreté et la fin de tout espoir. Comme souvent les femmes seront en première ligne. Il faudra alors recommencer un travail qui lie le féminisme aux questions de classe, tout en luttant pied à pied contre les stéréotypes.
Safia Lebdi (une des perdantes de la bataille dans NPNS) disait en 2004 : « On aborde souvent la problématique des cités comme un ailleurs avec ses codes, ses règles et ses rituels. En fait cet univers n’est que le miroir de la société où chacun de nous voit les traces de nos renoncements… car en réalité, il n’y a pire violence que celle du libéralisme sauvage qui manipule l’individu au point de ne plus lui laisser de conscience, sinon celle de sa fausse liberté qui tourne à vide et finit par le déprendre de lui-même »
Manue Johsua