La zone euro n’a pas de banque centrale. Et la BCE, direz-vous ? La BCE est tout sauf une véritable banque centrale puisque le traité de Lisbonne (art. 123 et 130) lui interdit d’être un prêteur en dernier ressort pour les États. Et les présidents de son directoire ont toujours prêché l’orthodoxie la plus stricte. Le point aveugle de cette politique est que le crédit, limité pour les activités productives, était facilité pour nourrir les restructurations permanentes du capital financier : à la veille de la crise de 2007, la masse monétaire dans la zone euro augmentait à un rythme annuel de près de 12 %, trois fois plus que les besoins de l’économie réelle.
Pendant de nombreux mois de crise la BCE a refinancé les banques à un taux très faible, tandis que celles-ci exigeaient des États en manque de liquidités des taux cinq ou six fois supérieurs. Depuis un an et demi, la BCE a été obligée de racheter sur le marché secondaire 200 milliards d’euros de créances d’État dont les banques se défaisaient parce que trop risquées. Coup double pour les banques et double peine pour les populations auxquelles la note est présentée via l’austérité.
L’opposition entre Mme Merkel et M. Sarkozy fait illusion. La première ne concevrait une intervention de la BCE qu’à condition que les politiques budgétaires soient encore plus strictement encadrées. Le second fait mine de rompre avec l’orthodoxie, mais en réalité tous les deux sont d’accord sur l’essentiel. En effet, avec les autres gouvernements de la zone euro, ils ont imaginé un Fonds européen de stabilisation financière (FESF) pour ne pas avoir à changer le statut de la BCE et pour laisser prospérer le marché des obligations d’État. Ni la BCE ni le FESF n’achèteront en première main les titres publics. Les États seront toujours obligés d’emprunter sur les marchés financiers lorsqu’ils seront en déficit. Et le FESF lèvera lui aussi des fonds sur ces marchés pour les prêter aux États en difficulté. Le dogme résiste donc : Austérité salariale + Austérité budgétaire + Austérité monétaire = le triple A, symbole fétiche de la finance capitaliste.
La zone euro et toute l’Union européenne sont malades : à tel point que même l’Allemagne, l’Autriche, la Finlande et les Pays-Bas, considérés comme des pays vertueux, attirent aujourd’hui la méfiance des marchés financiers dont ils ont jusqu’ici favorisé la démesure ; à tel point aussi que les principales banques centrales du monde viennent au secours en abondant le marché interbancaire en dollars.
Mais les tabous sont en train de tomber. Il n’y a pas d’autre solution pour amorcer une transformation des politiques économiques et sociales que de « réinstituer » une véritable banque centrale. La BCE doit pouvoir monétiser les déficits publics, c’est-à-dire acheter directement aux États leurs bons du Trésor, et monétiser la part des dettes accumulées qui ne sera pas annulée pour cause d’illégitimité. À court terme, c’est le seul moyen de stopper net toute montée des taux d’intérêt exigés par les marchés ; à moyen terme, c’est relégitimer la création monétaire pour financer un développement de qualité. Deux conditions sont nécessaires : une réforme fiscale radicale pour arrêter l’hémorragie des déficits et la socialisation du secteur bancaire pour déprivatiser la monnaie.
Et si on ne peut changer la BCE ? Il faut imposer au maximum de banques centrales nationales de financer les besoins collectifs. Autant on pouvait considérer comme suicidaires les sorties isolées de la Grèce ou de la France de l’euro, autant s’affranchir de règles mortifères est nécessaire car une banque centrale n’a pas besoin de se refinancer, sauf en devises. C’est dire combien le capitalisme mondialise mais ne peut pas penser l’unité du monde, notamment en imaginant une banque centrale et une monnaie mondiales qui ne soient pas celles du pays dominant. Pourtant, il faudra.
Jean-Marie Harribey