Les différentes réformes ou projets de réforme de la fiscalité mis en œuvre dans les pays capitalistes renvoient à la pression des intérêts dominants mais aussi à une conception du fonctionnement de l’économie fondée sur le marché. Pour les économistes néolibéraux, l’État doit perturber le moins possible l’allocation des ressources par le marché. Cette allocation est supposée optimale, c’est-à-dire porteuse du meilleur résultat possible. D’où la défiance vis-à-vis de la réglementation, la défense d’un impôt le plus faible possible, et une conception qui les conduit à privilégier certains impôts par rapport à d’autres.
Les impôts sur le revenu sont en général considérés très négativement : ils décourageraient l’effort, l’initiative individuelle, donc le progrès économique et social. La critique vise surtout les impôts progressifs ; c’est ce qui a entraîné certains pays, soit à les remettre en cause au profit d’impôts proportionnels, soit, comme en France, à réduire leur progressivité.
Contrairement aux libéraux les plus extrémistes, l’approche néoclassique standard admet l’idée qu’il y a des « défaillances du marché » ou « externalités », c’est-à-dire des situations où l’intervention correctrice de l’État se justifie. Ces défaillances doivent alors être corrigées, non par la réglementation mais par des taxes.
Un cas d’« externalité négative » est celui de l’entreprise dont la production provoque sur l’environnement des dégâts dont elle ne supporte pas elle-même le coût. L’impôt peut alors avoir une action correctrice en l’incitant à tenir compte dans ses calculs et ses choix des coûts cachés pour la collectivité. C’est la fameuse taxe Pigou, dite aussi écotaxe, destinée à pénaliser une activité polluante. Cela suppose d’avoir écarté l’éventualité de dégâts écologiques irréversibles, qui ne pourraient être évités que par une interdiction ou une limitation réglementaire des activités !1 Par ailleurs, dans les faits, différents groupes de pression capitalistes peuvent se charger de repousser la mise en œuvre d’un tel impôt, comme en France avec la taxe carbone.
On retrouve la même inspiration dans les projets, soutenus dans divers rapports publics ces dernières années, de remplacement de la législation sur le licenciement par l’équivalent d’une taxe « pollueur-payeur », par laquelle l’employeur financerait par un impôt ou une cotisation supplémentaire les coûts sociaux des licenciements : il s’agit toujours d’« internaliser les externalités » par le jeu des prix dans un cadre concurrentiel, tout en réduisant au maximum à une marchandise l’objet du calcul d’optimisation, ici la force de travail (ou la nature dans le cas de l’écotaxe).
Il est à remarquer que les socio-libéraux ont largement été gagnés à cette conception de la fiscalité. En témoigne la baisse de l’impôt sur le revenu entamée par le gouvernement Jospin en 2000.
Une écotaxe pourrait prendre place dans une politique de rupture radicale, à condition qu’elle ait pour objectif de reprendre la main sur les marchés, venant à l’appui de mesures législatives ou réglementaires, et non de s’en remettre à un marché prétendu plus efficace pour orienter les choix de production.
Louis Adam, Jacqueline Guillotin, Henri Wilno