Même si le mot n’est pas prononcé, c’est un thème central de chacun des discours présidentiels. Ce sera l’un des enjeux principaux de la campagne de 2012. Le remplacement des cotisations sociales par une augmentation de la TVA « sociale » était en sourdine depuis 2007. Son annonce « intempestive » par Jean-Louis Borloo entre les deux tours des législatives aurait coûté, selon Jean-Pierre Raffarin, leur siège à une quarantaine de députés UMP.
Le tour de passe-passe est simple : sans toucher au salaire net (ce que le salarié touche directement chaque mois), réduire les cotisations sociales, c’est réduire la part du salaire mise en commun et versée aux organismes de retraite complémentaire, à la Sécurité sociale et à Pôle Emploi pour financer les régimes de retraite, la maladie, les allocations familiales et le chômage. Cette part du salaire représente aujourd’hui 400 milliards d’euros (voir l’encadré sur les dépenses et recettes) soit 1/5 de la richesse produite (PIB).
L’instauration de la TVA « sociale » permettrait de remplacer cette partie du salaire payée par les employeurs par un impôt indirect payé pour l’essentiel par les salariéEs (voir l’encadré sur la TVA). Elle s’ajouterait à d’autres impôts reposant eux aussi pour l’essentiel sur les classes populaires : les taxes sur le tabac, l’alcool, les produits sucrés, la CSG (contribution sociale généralisée) ou la CRDS (contribution au remboursement de la dette sociale).
Patronat et gouvernement pourfendent l’impôt quand il s’agit de mettre à contribution les plus fortunés. Ils sont les premiers à vouloir imposer un nouvel impôt, quand il s’agit de taxer les salariéEs, les retraitéEs, les chômeurEs et d’exonérer le patronat de toute responsabilité dans le financement de la protection sociale.
Qui va payer la crise ? Quelle répartition des richesses ? C’est l’enjeu de l’instauration de la TVA « sociale » ou de toute autre forme d’impôts indirects pesant essentiellement sur les salariéEs. C’est un enjeu de classe délibérément occulté par le PS et une partie des directions syndicales convertie au libéralisme.
Vous trouverez une large documentation sur la protection sociale et la santé (plus de 2 500 articles), sur le site de la commission santé-sécu-social du NPA [1].
« DE L’AUDACE, ENCORE DE L’AUDACE », ASSURE LE PATRONAT
De quelle audace s’agit-il ? Rien de moins « que d’enfreindre le principe d’universalité de la protection sociale ». « Il faut reconnaître que la solidarité nationale [les impôts sous quelque forme que ce soit NDLR] doit prendre une plus grande place dans le financement des dépenses sociales » [1]. Version Medef, cela donne une baisse des cotisations employeurs compensée par un surcroît de TVA et une baisse des cotisations salariales compensée par une hausse de la CSG [2] dans une fourchette de 30 à 80 milliards. Le motif invoqué est toujours le même : favoriser la compétitivité des entreprises. En effet, en économie capitaliste, le plus sûr moyen d’augmenter les profits (nom réel de la compétitivité), c’est de diminuer les salaires.
Le débat à droite porte sur « l’acceptabilité », le montant et le calendrier, selon Pilliard, président de la Commission protection sociale du Medef [3]. En effet, passer à une TVA de 25 % pour transférer le financement de la protection sociale sur la population, il faut oser en année électorale ! De plus, cela aurait d’inévitables répercussions sur la consommation de la population et provoquerait une spirale économique infernale, y compris pour le patronat. Madelin lui-même avait souligné ce risque pour la TVA [4]. Pilliard fait une proposition : transférer immédiatement 5,4 points de cotisation de la branche famille.
Mais l’essentiel n’est pas la TVA ou la CSG : c’est d’en finir avec le salaire socialisé. Si la TVA tombe à l’eau, il restera le démantèlement de la Sécu. Finis les droits universels, chacun devrait se la payer par les impôts complétés pour ceux qui le pourront par des assurances. Seul un filet de sécurité minimum subsisterait pour les plus pauvres [5]. C’est le but des mesures déjà bien entamées : franchises médicales, tarif unique pour les hôpitaux publics et privés, désindexation des retraites par rapport à l’inflation, prestations sous conditions de ressources, fin programmée des allocations familiales… Babeau ose écrire qu’il faut « réduire la part prélevée sur la richesse nationale ». Mais qui crée la richesse sinon les salariéEs dans leur ensemble ?
Notes de cette partie
1. André Babeau. Le Nouvel Économiste, juillet 2011.
2. Les Échos, 26 octobre 2011 : « le patronat veut transférer de 30 à 80 milliards » (sur le dos des salariés, retraités et chômeurs, bien sûr !).
3. Id.
4. Madelin : « Pour en finir avec la TVA sociale », La Tribune, 15 novembre 2010.
5. Avec des conséquences déjà dramatiques : en 2008, 15, 4 % de la population a renoncé à des soins pour raisons économiques, 40 % des bénéficiaires de la CMU (Irdes).
PS : UNE VARIANTE DES POLITIQUES LIBÉRALES
François Hollande dit être opposé à la TVA « sociale », une des mesures phares, lors des primaires socialistes, de son porte-parole Manuel Valls. Avec le PS, il préconise, sous un autre nom, une mesure très voisine : une « contribution écologique se substituant à la taxe sur le travail ».
La proposition de la droite est peinte en vert, mais le PS a la même orientation libérale : diminuer le « coût du travail », c’est-à-dire baisser les salaires et les cotisations sociales pour « assurer la compétitivité des entreprises ».
Le gouvernement de Michel Rocard a créé la CSG, impôt proportionnel payé à 85 % par les salariéEs et les retraitéEs, qui a remplacé des cotisations sociales. Aujourd’hui elle finance 1/5e de la Sécu. Jospin avec Martine Aubry aux Affaires sociales s’est illustré dans l’exonération des cotisations sociales pour les bas salaires, sous prétexte de favoriser l’emploi.
Aujourd’hui, le PS préconise la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu. Cette proposition peut apparaître plus juste que la TVA car l’impôt sur le revenu est progressif et taxe davantage les plus aisés. Mais elle obéit à la même logique : exonérer les patrons du financement de la Sécu. Son autre grand danger (comme pour la TVA) est de ne pas garantir que les sommes collectées soient versées à la Sécu. Les propositions du PS sont une variante des politiques libérales avec les mêmes conséquences : réduire la part revenant aux salariés dans la richesse qu’ils produisent.
FRONT DE GAUCHE : CE QUI NOUS RASSEMBLE ET CE QUI EST EN DÉBAT
Le NPA est signataire du socle commun du collectif « Notre santé en danger » [2] avec une cinquantaine d’organisations dont les partis du Front de Gauche, des syndicats (la confédération CGT, la FSU, Solidaires...), des associations. Alors que Sarkozy vient de réaffirmer que « la réforme de la protection sociale est une urgence absolue » (discours de Toulon), ce collectif est un atout précieux s’il est en capacité de mobiliser efficacement face à tous ceux qui veulent casser la Sécu.
Dans son programme, le Front de Gauche propose le financement de la Sécu à partir des cotisations salariales avec une modulation des cotisations des entreprises et une contribution sur les revenus financiers. Nous avons plusieurs fois débattu, notamment avec la commission santé du PCF, de nos accords et divergences. Nous voulons les uns et les autres que le financement de la Sécu soit basé sur la cotisation sociale. C’est un point d’accord essentiel. Nos désaccords ne sont pas un obstacle à la lutte commune. Pour le NPA, le financement par la cotisation doit être exclusif de tout autre. La proposition de « taxation » nous fait sortir de ce cadre. Le meilleur moyen de « taxer les entreprises » est de créer des emplois et d’augmenter les salaires. C’est ainsi que l’on crée le plus de cotisations. La taxation des revenus financiers des entreprises est une mesure fiscale nécessaire pour le budget de l’État, mais elle ne permet pas de lutter contre la baisse de la part salariale dans le PIB et, appliquée au financement de la Sécu, la ferait basculer dans un autre système progressivement déconnecté du salaire socialisé.
La modulation des cotisations « afin de favoriser les entreprises créant de l’emploi », revient à créer une nouvelle modalité d’exonération des cotisations. Aucun emploi n’a été créé grâce aux exonérations. C’est un leurre de croire que ce serait différent avec la méthode des modulations. Les patrons développeraient la sous-traitance et d’autres manipulations comptables.
À SAVOIR
Dépenses et recettes de la Sécurité sociale [1] (Tous régimes et toutes branches)
• Les dépenses de la Sécu sont de 427, 492 milliards d’euros et les recettes de 401, 259 milliards d’euros.
• Les cotisations représentent 64 % des recettes (55 % issues du privé et 9 % du public - cotisations dites fictives).
• Les impôts représentent 32 % des recettes (dont 18 % de CSG).
• 4 % des recettes sont diverses.
Comparaisons
• Les ressources de la Sécu sont 1,7 fois supérieures à celles de l’État (231,4 milliards d’euros).
• Les ressources de la protection sociale (Sécu + chômage + les complémentaires retraites, 606,7 milliards d’euros dont 2/3 de cotisations) sont 2,6 fois supérieures à celles de l’État.
La TVA
• La TVA [2] (124 milliards d’euros) finance 50 % des dépenses de l’État (266 milliards d’euros). L’impôt sur le revenu ne rapporte que 50,3 milliards. Le taux de la TVA « réduite » sur des produits de première nécessité vient d’être relevé à 7 %. Les autres produits sont taxés à 19 6 %
• C’est un impôt sur la consommation acquitté à chaque achat. Il est payé par tous sans exception. Moins on est riche, plus on paye : Pour les bas revenus, toutes les ressources sont consommées donc soumises à la TVA. À un certain niveau de richesse, une partie du revenu est épargnée et y échappe. Son incidence est de 11,5 % sur les revenus des 10 % de ménages les moins aisés et de 5,9 % sur les 10 % les plus aisés.
1. Sources : Commission des comptes de la Sécurité sociale (09/11), Drees 2011 et Insee 2011.
2. Dossier « Pour une vraie révolution fiscale », Tout est à Nous ! La Revue n°25, octobre 2011. Disponible sur ESSF (article 23758 entre autres), Pour une vraie révolution fiscale
NE DITES PLUS :
Charges sociales. Pour l’employeur, le salaire, c’est une « charge », un mal nécessaire. Il n’a qu’un but : le réduire. Pour les travailleurs, le salaire et les cotisations sociales, c’est leur dû : la rémunération d’une partie de leur travail, l’autre partie étant appropriée gratuitement par le patron.
Cotisation patronale, cotisation salariale. Sur le bulletin de salaire la cotisation apparaît sous ces deux formes. C’est une tromperie, car c’est l’ensemble du salaire (salaire brut + part patronale des cotisations) qui rémunère notre force de travail. Pour ne pas diminuer le pouvoir d’achat (salaire net), nous revendiquons la suppression de la part salariale de la cotisation et l’augmentation d’autant de la part patronale.
Salaire différé. Les cotisations ne sont pas mises de côté dans un compte pour de l’épargne ou un placement. Exemple : les actifs d’aujourd’hui paient les retraites d’aujourd’hui avec le salaire socialisé.
Déficit, trou de la Sécu. Les dépenses sociales ne sont pas trop élevées, les recettes sont insuffisantes ! Les caisses de Sécu sont pillées par les exonérations de cotisations (10, 1 % des cotisations en 2010, 316 milliards d’euros depuis 1992), les dettes de l’État et des patrons. Le déficit est une construction politique
NOUS VOULONS :
Les propositions du NPA pour reconquérir la Sécu :
• Exiger qu’elle soit uniquement financée par des cotisations sociales
La fiscalisation et la CSG sont des pièges : la cotisation sociale doit être le mode de financement unique. Les exonérations de cotisations doivent être abolies. Les dispositifs qui permettent d’échapper à la cotisation (intéressement, participation, stock-options…) doivent être interdits et les sommes versées à ce titre intégrées à la masse salariale des entreprises. Les lois de financement de la Sécu n’ont pas de raison d’être. Les recettes doivent s’adapter aux besoins sociaux. La Sécu doit garantir notamment la santé gratuite, la retraite à 60 ans avec 37, 5 annuités, les allocations familiales dès le premier enfant. C’est possible : en 2010, un point de cotisation représentait 5 milliards d’euros de recettes [1]. Accroître les cotisations nécessite de créer des emplois (par les 32 heures de travail hebdomadaires, l’interdiction des licenciements) et d’augmenter les salaires. Et si cela ne suffit pas, il faudra augmenter la part patronale des cotisations.
• Une Sécu autogérée
Fort heureusement le gouvernement et le patronat ne décident pas à notre place du choix de nos dépenses. Nous ne demandons pas à l’État et à notre patron de gérer notre salaire individuel. Ils n’ont pas davantage à décider du salaire socialisé. Pourtant, nous ne sommes pas maîtres de cette partie du salaire : le gouvernement décide du montant des cotisations et du choix des prestations et, depuis 1996, la loi de financement de la Sécurité sociale enserre le budget de la Sécu dans une enveloppe fermée. Le patronat siège avec les représentants désignés par les syndicats et des personnalités dites qualifiées dans les caisses de Sécurité sociale et l’État exerce une tutelle étroite sur les organismes.
« La Sécu est à nous, on s’est battu pour la gagner, on se battra pour la garder ». Ce mot d’ordre a été scandé dans les manifestations depuis 45 ans. Maintenant il faut exiger plus : la reconquête de la Sécu. Le salaire socialisé doit être géré par les salariéEs. La Sécu autogérée doit être une institution totalement indépendante de l’État et du patronat. Seuls les représentantEs des assuréEs sociaux éluEs, comme cela était le cas de 1945 à 1967 et en 1982 ont la légitimité de siéger aux conseils d’administration des caisses. Ils doivent disposer de tous les pouvoirs de gestion, du choix et des montants des prestations, des moyens de répondre aux besoins sociaux.
Pour définir les besoins et y répondre, il faut la démocratie maximum. Nos représentantEs doivent être éluEs au plus près des salariéEs selon des modalités à débattre. Ils/elles doivent être contrôlables et révocables. Aucun patron, aucun représentant de l’État n’a la légitimité de siéger dans les conseils d’administration des caisses.
NOUS VOULONS :
Une protection sociale payée par les employeurs et non par nos impôts
• Non à la TVA (anti) sociale ou à toute autre forme d’impôt pesant sur les salariéEs
• Refus de toute augmentation de la CSG. Notre but est la suppression de la CSG, remplacée par des cotisations sociales « patronales »
• Un vrai salaire pour un vrai emploi : aucune exonération ou « modulation » de cotisations sociales pour les patrons, non aux emplois « aidés » et aux « petits boulots »
• Suppression de la fiction du « salaire brut » et des « cotisations salariales » : toutes les cotisations doivent être des cotisations dites « patronales », proportionnelles au salaire net
Une Sécu pour des droits sociaux et non pour la charité
• Des pensions, prolongation du meilleur salaire, des soins remboursés à 100% etc…
1. Sources : Commission des comptes de la Sécurité sociale (09/11), Drees 2011, et Insee 2011