En proposant le 15 janvier un débat sur Quel parti voulons nous ?, La PA1 [1] invite en même temps ses membres à débattre autour de sa nécessaire clarification stratégique. Celle-ci porte par définition sur son projet de renversement du pouvoir du Capital et de sa classe dominante sur nos vies. Cette initiative rejoint celle lancée d’un autre lieu de débat, Stratégie Phénix [2]. Il rassemble aujourd’hui des dizaines de contributions sur le sujet, qui méritent d’être lues. La crise du NPA posant la question de sa survie, nous avons donc besoin de clarifier sa stratégie. Et dans ce but, certains facteurs jouent un rôle important.
Le facteur cohésion absent.
Les textes fondateurs du NPA peuvent servir de point de départ pour cette démarche. Ils proposent aux anticapitalistes de se constituer en parti (« si nous décidons de nous constituer en parti, c’est parce que nous voulons agir de façon, utile, structurée et cohérente ») et de lui donner une boussole, celle de l’émancipation (« L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux mêmes (Karl Marx dans le Manifeste communiste) reste notre boussole. »).
Trois ans plus tard, celles ou ceux qui pensent que ce parti n’est pas encore né n’ont pas tout à fait tord. Les anticapitalistes qu’il rassemble n’agissent pas encore comme le prévoient les textes fondateurs. Ils n’ont donc pas trouvé jusqu’à présent le chemin de sa cohésion interne, ce qui est facteur de crise comme le démontre jusqu’ici sa « jambe » tactique des élections [3]. Et pour la « jambe » stratégique, celle des luttes, même son baptême du feu dans le mouvement social sur les retraites à l’automne 2010 ne le lui a guère servi. Or, un parti n’existe pas sans cohésion. Karl Schmitt écrivait que « le degré d’intensité d’une association ou d’une dissociation d’êtres humains » fait partie du politique. Pour nous aussi sans doute !
Sans stratégie, pas de cohésion, pas de parti ?
Les rapports d’exploitation, d’oppression et de domination génèrent les conflits de classe. Et « Les classes se posent réciproquement dans leur lutte » affirmait Daniel Bensaïd. La lutte des classes serait donc un concept stratégique pour les anticapitalistes. Il y a une autre leçon que nous devrons aussi retenir selon lui : elle concerne l’idée d’un parti-stratège [4], qui provient du rôle joué par Lénine avec quelques milliers de militants au début de 1917 en Russie et dans le monde (dans sa nouvelle bio sur Lénine, l’historien Jean Jacques Marie estime à 5000 membres réels fin février les effectifs du parti bolchevik).
Bien entendu, le NPA n’agit pas en ce moment dans une crise révolutionnaire (autre concept stratégique) où les consciences et les organisations peuvent progresser par bond (l’exemple de la Tunisie avec la syndicalisation massive). Mais même aujourd’hui où les rapports des forces internationaux et nationaux sont dégradées, où le mouvement ouvrier traditionnel est trop souvent frappé par l’apathie et l’impuissance, où la dernière victoire sociale significative, celle contre le CPE remonte au printemps 2006, un NPA clarifiant sa stratégie est nécessaire, ne serait-ce que pour atteindre un niveau de cohésion lui permettant d’exister politiquement.
Si nous voulons respecter les textes fondateurs (« agir de façon utile, structurée et cohérente »), nous devons trouver sa cohésion interne au parti et pour cela clarifier sa stratégie. Elle devra être discutée, comprise, approuvée et appropriée par le plus grand nombre de militantEs. Déclinée localement, elle permettrait d’agir de façon cohérente de la base au sommet et de pouvoir discuter collectivement du même bilan dans toutes instances.
La « carte d’orientation »
La stratégie, c’est comme un GPS, elle sert à nous orienter, à faire de la politique… dans le moment présent. Elle utilise aussi une « carte d’orientation » sur laquelle nous pourrions tracer une sorte de « ligne de front » entre les classes, à partir d’un état des lieux des forces en présence. Aujourd’hui, la classe possédante poursuit sur le long terme une véritable stratégie de « guerre de position » contre le mouvement ouvrier afin de démanteler progressivement ses acquis sociaux et démocratiques.
Elle sait, elle, se replier quand il le faut (dans les lycées, retrait du projet de réforme Darcos fin 2009), pour avancer plus tard (réforme Chatel en 2010). En face, lorsque ses attaques sont frontales et violentes (sur les retraites en 2003, en 2010), elles provoquent des ripostes et des résistances massives mais qui se heurtent chaque fois à une stratégie syndicale dominante tournant le dos à la construction d’un autre rapport des forces et favorisant les défaites. Cette situation rend plus que nécessaire la constitution d’un parti anticapitalistes à vocation de masse, afin de disputer aux directions bureaucratiques leur hégémonie dans les luttes. Même si leur accès reste difficile pour nous, notre rôle dans les institutions ne doit pas se réduire à une simple tribune de propagande, car elles offrent aussi d’autres possibilités qui sont rappelées dans les textes fondateurs. Des victoires électorales peuvent en retour encourager les luttes.
Pour nous, un parti-stratège se rendra utile en déployant sur le terrain de la lutte des classes une force regroupant des militants réactifs et agissants collectivement, guettant le moment propice d’une action, en développant une « avant garde » au sens où les surréalistes donnaient à ce mot (ici, la politique comme art stratégique fait appel à l’audace, à la surprise et à l’étonnement). Mais il aura besoin pour cela d’une véritable carte « d’état major » pour son niveau de précision.
Hier, nous avions quelques difficultés à choisir la bonne « carte » pour tracer une route, une orientation après le mouvement social de l’automne 2010. Certains intégraient dans leurs coordonnées qu’il était ressenti comme une défaite dans les consciences, tandis que pour d’autres il n’était pas une défaite sociale.
Toujours dans cette « carte », le parti devra clarifier nos rapports avec le front de gauche, s’il peut devenir un allié, soit tactique (conjoncturel), soit stratégique (durable), ou non dans notre projet d’un parti pour l’émancipation. Nous devons savoir si nous sommes bien confrontés à la présence d’une, deux ou trois gauches sur le terrain de la lutte des classes, y compris dans les séquences électorales où tactique et stratégie semblent encore une source de confusion chez une majorité de camarades, nous désarmant fortement par rapport au front de gauche [5].
Clarifier les existences d’une, deux ou trois gauches, c’est en effet vital pour retrouver la cohésion des anticapitalistes et une politique unitaire adéquate. Elle éviterait soit de surestimer nos différences de nature et de programme avec le front de gauche pour justifier son rejet, soit à l’opposé, de les sous estimer dans le but de rechercher des accords durables. Sinon nous risquons de restreindre notre choix entre le sectarisme ou l’opportunisme dans nos rapports avec lui.
La gauche qui revendique un anti-libéralisme (et même l’anticapitalisme) dans son programme, et qui privilégie la voie institutionnelle pour l’appliquer, occupe dorénavant une position dominante à la gauche du PS. Au point de nous laisser une seule alternative possible : soit le ralliement à sa stratégie réformiste institutionnelle, soit nous isoler politiquement. Au point aussi de fragiliser, voire d’assécher (provisoirement, espérons le) l’un de nos viviers de recrutement pour notre projet d’un parti anticapitaliste à vocation de masse. Depuis sa fondation, le NPA a attiré (sans pouvoir les retenir en majorité) dans ses rangs deux « publics » aux attentes parfois incompatibles. L’un, plutôt « neuf » et fragile politiquement, prospère à l’extérieur du « vieux » mouvement ouvrier (en résumant : les QP, précaires, jeunes, écologistes, salariés sans expériences syndicales, associatifs…). L’autre « public », plus structuré politiquement, est celui qui garde dans sa conscience un pieds dans le « vieux » mouvement ouvrier et l’autre dans un attrait grandissant pour l’anticapitalisme. Aujourd’hui, il oscille certainement entre le « vieux » (l’alliance avec le PS), quitte à faire les compromis nécessaires, et le « neuf » (l’alliance avec les anticapitalistes).
Il ne s’agit pas pour le NPA de s’adapter à ce « vivier » (ce que veut faire aujourd’hui le front de gauche en laissant le choix à ses composantes de participer ou non à une gauche plurielle ripolinée en 2012), ce qui représenterait un nouveau danger pour sa propre survie. Mais il s’agit certainement pour lui de « gérer » dans celui-ci deux attentes unitaires contradictoires.
– Refuser de s’adapter en ne cédant pas aux pressions de ceux qui nous disent de mettre un mouchoir sur notre anticapitalisme, mais au risque de s’isoler du vivier.
– Refuser de s’isoler en maintenant une démarche unitaire avec le « vieux » sur la dette, l’anti-nucléaire, les mesures d’urgence.
La boussole de l’émancipation.
Les textes fondateurs donnent au NPA cette boussole. Un texte largement approuvé au dernier congrès, Nos réponses à la crise, reprend les axes d’une démarche qui peut être nommée « transitoire » si nous voulons garder (et actualiser) ce que nous estimons le meilleurs dans nos traditions. Car elle ne se limite pas seulement à une pédagogie dans les mobilisations sociales de la prise de conscience vers l’anticapitalisme, elle cherche en même temps à servir d’outil stratégique dans les luttes afin de les conduire au seuil d’un affrontement de classe décisif, celui pouvoir.
Aujourd’hui, nous ne sommes donc pas démunis, puisque le NPA s’est donné une boussole aimantée vers l’émancipation avec Nos réponses à la crise. C’est un donc outil stratégique précieux pour le NPA, et qui fonde aussi notre regroupement. Il nous reste cependant à lui donner les moyens de naître, en ne renonçant pas à l’idée d’un NPA-stratège, comme l’avait invité Daniel Bensaïd dans son Eloge d’une politique profane.
Sandra Cormier (NPA 44) Albert Guillot (NPA 47)