PORT-AU-PRINCE ENVOYÉ SPÉCIAL - Deux ans après le tremblement de terre qui a dévasté Port-au-Prince, Anier Guerda vit toujours dans une petite tente rafistolée avec quelques bouts de bois et de tôle, sur le Champ de Mars, face aux ruines du palais présidentiel. Comme elle, 520 000 personnes sont encore entassées dans des camps de fortune, aux conditions de plus en plus précaires.
« Tout le monde veut quitter le camp, où il y a beaucoup de vols et de viols, mais on ne sait pas où aller », dit-elle. Cette marchande de rue a perdu son logement et tous ses biens lors du séisme qui a tué plus de 220 000 personnes le 12 janvier 2010. « C’est la misère, les ONG (organisations non gouvernementales) sont parties et le gouvernement ne nous donne rien », ajoute-t-elle, montrant l’intérieur de la petite tente, à peine 6 mètres carrés, où elle vit avec ses cinq enfants.
Où sont passés les 5,5 milliards de dollars (4,3 milliards d’euros) promis par les bailleurs de fonds pour 2010 et 2011 ? Et les quelque 3 milliards de dons privés, récoltés dans le monde après la catastrophe, selon le bureau de l’envoyé spécial des Nations unies pour Haïti, l’ancien président des Etats-Unis Bill Clinton ?
Une partie des fonds n’est jamais arrivée en Haïti. C’est le cas du tiers de la première enveloppe de 379 millions de dollars débloqués par les Etats-Unis, qui a servi à couvrir les frais des milliers de militaires envoyés ici après le séisme.
Des progrès sont visibles. Les rues embouteillées de la capitale ont été débarrassées des montagnes de décombres qui les obstruaient. « La tragédie a fonctionné comme un miroir de la pauvreté préexistante, dans un pays déjà à terre avant le séisme et qui dépendait déjà de l’assistance internationale », rappelle Médecins du monde, une ONG présente de longue date dans la république caraïbe.
Plus de la moitié des dix millions de mètres cubes de décombres a été déblayée. « Un rythme plus rapide qu’à Aceh (Indonésie) après le tsunami de 2004 ou même qu’à New York après les attentats du 11-Septembre », souligne Nigel Fisher, le coordonnateur des Nations unies en Haïti. 65 % des sans-abri ont été relogés dans plus de 100 000 abris provisoires et dans plus de 25 000 maisons réparées ou reconstruites.
Selon les Nations unies, 53 % des fonds promis pour 2010 et 2011 ont été déboursés par les bailleurs, qui ont aussi annulé près d’un milliard de dollars de dette due par Haïti. « Il faudrait accélérer les décaissements, mais le solde est engagé, on sait où les sommes vont être dépensées », assure M. Fisher. Mais les autorités haïtiennes, les ONG et les entreprises locales n’ont reçu qu’une part minime de l’aide internationale, gérée pour l’essentiel par les agences onusiennes et les grandes ONG internationales.
« Il y a une méfiance de beaucoup d’acteurs vis-à-vis du gouvernement, soupçonné de corruption, ou en raison de sa faiblesse, et on a tendance à le contourner pour verser les fonds aux ONG », reconnaît M. Fisher. Renforcée par le séisme, cette tendance a transformé Haïti en une « république des ONG », qui ont pris en charge des pans entiers de l’action étatique, sans coordination. Et parfois sans transparence. Un exemple parmi d’autres : au 30 septembre 2011, la Croix-Rouge n’avait dépensé que 48 % des fonds (1,28 milliard de dollars au total) qu’elle a reçus après le séisme, selon le bureau de M. Clinton.
« La reconstruction avance à pas de tortue », déplore Barbara Stocking, la directrice générale d’Oxfam GB, l’ONG britannique qui a pris en charge une grande partie des travaux d’assainissement et d’approvisionnement en eau dans les camps de réfugiés. « La crise électorale de 2011, puis la crise politique qui a retardé la nomination du premier ministre, l’absence de cadastre et l’épidémie de choléra qui a tué près de 6 000 personnes ont constitué autant d’obstacles à la reconstruction », explique-t-elle. Le temps presse et les ONG ont d’autres priorités. Le budget humanitaire d’Oxfam GB en Haïti va ainsi chuter de 96 millions de dollars en 2010 et 2011 à 10 millions en 2012.
Des milliards de dollars bien ou mal dépensés en aide humanitaire après le séisme, il ne reste pas grand-chose, hormis les tentes et les bâches maltraitées par le soleil et les intempéries, des rangées de latrines de moins en moins entretenues, et les « abris provisoires », dont beaucoup craignent qu’ils ne se pérennisent pour former de nouveaux bidonvilles.
« On a trop dépensé dans le transitoire et pas assez investi dans le long terme », regrette Jean-Christophe Adrian, coordinateur du programme des Nations unies pour les établissements humains. « En matière de logement, il y a une tendance généralisée à vouloir faire à la place des Haïtiens. On a dépensé 500 millions de dollars en abris d’urgence, en important tout, sans aucune contribution à l’économie haïtienne, ni création d’emplois », ajoute-t-il. Rattaché au premier ministre Garry Conille, un nouveau service devrait permettre de définir une politique cohérente en matière de relogement et de reconstruction des bâtiments publics, pratiquement tous détruits par le séisme.
Principal bailleur de fonds d’Haïti, l’Union européenne (UE) a annoncé un « programme d’appui à la reconstruction et à l’aménagement des quartiers pour faciliter le retour des populations sinistrées ». D’un montant de 33,7 millions d’euros, il permettra de reconstruire 11 000 logements dans deux quartiers populaires.
« Il s’agit d’une approche intégrée, incluant la réalisation d’aménagements urbains et la mise en place de services de base, tels que l’accès à l’eau potable, l’assainissement et l’électricité, et sociaux, comme la santé et l’éducation », expliquait le représentant de l’UE, Carlo De Filippi, lors du lancement du projet.
A plusieurs reprises, Bill Clinton a promis que la communauté internationale aiderait Haïti « à se reconstruire mieux », affirmant que la tragédie pouvait se convertir en aubaine. Le séisme, entendait-on, serait l’occasion de désengorger Port-au-Prince, transformé en un immense bidonville au fil des dernières décennies, et de dynamiser les provinces par la création de pôles de développement et la relance de l’agriculture. Deux ans plus tard, les bonnes intentions ne se sont pas concrétisées. « On a raté l’occasion d’investir de manière plus équilibrée dans tout le pays », constate Nigel Fisher.
Marie Ange Guillaume ne croit plus aux promesses. « Ici, je ne fais rien, je n’ai aucune possibilité d’emploi, je souffre beaucoup, j’ai perdu beaucoup de poids », dit cette comptable, accroupie dans la poussière sous le soleil qui écrase les réfugiés de Corail-Cesselesse. Loin de tout, ce camp a été installé sur un terrain aride, au pied de collines pelées, à une trentaine de kilomètres au nord de Port-au-Prince.
Jean-Michel Caroit