« Ma Waxoon, Waxeet » (Je l’ai dit et je me dédis), voilà une phrase qui restera certainement dans les annales de la politique récente du Sénégal et qui est déjà une chanson à succès qui anime les manifs anti-Wade. Je l’ai dit et je me dédis, c’est la seule explication d’Abdoulaye Wade pour sa promesse non tenue de ne pas concourir à un troisième mandat à la suite des changements de la Constitution qui interdit plus de deux mandatures.
En 2000, contre toute attente, Wade remporte les élections contre Diouf mettant fin à des décennies de pouvoir du Parti socialiste sénégalais, archétype du parti néocolonial aux ordres de Paris.
Le Sopi, « changement » en wolof, avait suscité d’immenses espoirs pour la population sénégalaise, mais au bout de cette aventure politique, c’est le désenchantement. Le pays s’enfonce dans la corruption avec notamment l’affaire de l’Agence nationale pour l’organisation de la conférence islamique (Anoci), dirigée par le fils de Wade, Karim, qui pour les seuls frais de fonctionnements, a coûté plus de 16 milliards de francs CFA. Il connaît une désorganisation grandissante, à l’image des multiples délestages d’électricité que subissent quotidiennement les populations. Les prix des produits de première nécessité explosent, le kilo de sucre de 500 FCFA est passé à 700, l’huile de 3 000 à 3 700 et la bonbonne de gaz a elle aussi augmenté de 500 FCFA. Le taux de chômage est de 49 %, l’espérance de vie atteint péniblement 56 ans et l’indice de développement humain place le Sénégal en 144e position sur 169, révélant la situation catastrophique du pays.
Un seul objectif : le maintien au pouvoir du clan
Si, à 85 ans, Wade est obligé de rempiler une troisième fois pour sept ans, c’est bien parce que ses plans de dévolution monarchique, comme le dit fort justement l’opposition, ont été systématiquement bloqués par la rue.
Dès les élections municipales, Wade impose son fils pour briguer la mairie de Dakar, et en faire une rampe de lancement vers le pouvoir. En vain, l’opposition remporte Dakar ainsi que toutes les grandes villes du pays. Devant cette déconvenue, Wade bricole les règles des élections en tentant de mettre en place un ticket président/vice-président, qui pourraient être élus dès le premier tour s’ils remportaient plus de 25 % des voix. Cette mesure met le feu aux poudres. Les grandes villes du Sénégal connaissent de véritables émeutes. Une structuration regroupant la société civile et les organisations de l’opposition se met en place : c’est le mouvement du 23 juin (M23). Wade est obligé de reculer. Sa dernière solution : faire avaliser sa troisième candidature par un Conseil constitutionnel aux ordres. Malgré les interdictions et la répression de la police et de la gendarmerie, qui ont fait six morts et des dizaines d’arrestations, le M23 et les jeunes de « y’en a marre » continuent d’organiser des manifestations et des rassemblements à travers tout le pays en maintenant ainsi le pouvoir sous pression.
Élections sous haute tension
Se sachant impopulaire, Wade a mené sa campagne en mettant les bouchées doubles, sillonnant le pays aux frais de l’État, renforçant son réseau clientéliste en distribuant aux notables des villages des centaines de milliers de francs CFA et en tentant de s’attacher le soutien d’un maximum de mourides, dignitaires religieux qui ont une grande influence dans la population. Mais cela pourrait être insuffisant et le pouvoir risque fort de recourir aux fraudes électorales comme en 2007 mais de manière bien plus massive, pour permettre à Wade de s’autoproclamer vainqueur dès le premier tour des élections présidentielles risquant de mettre le pays à feu et à sang.
Du côté de l’opposition, les principales candidatures sont celles de Macky Sall et Idrissa Seck, deux libéraux qui viennent directement du sérail de Wade.
Celle d’Ousmane Tanor Dieng pour le Parti socialiste sénégalais, et Moustapha Niasse, dirigeant de l’Alliance des forces du progrès, scission du PS qui a reçu le soutien de Bennoo Siggil Senegaal, qui regroupe la plupart des forces de gauche et d’extrême gauche.
Par les urnes ou par la rue, la population va reprendre le même conseil que Wade avait donné à Kadhafi, lors de sa visite à Benghazi : « Plus tôt tu partiras, mieux ça vaudra ».
Paul Martial
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 138 (01/03/12).
Sénégal : trois mandats bonjour les dégâts !
Les crise politique du Sénégal vient de loin. Le second mandat de Wade en 2007 était déjà entaché de fraudes électorales, dès cet instant, les Sénégalais avaient compris que Wade ferait tout pour rester au pouvoir.
Au printemps 2011, il avait tenté de réformer la Constitution en instaurant un système de « ticket » avec un président, un vice-président, et la possibilité de gagner les présidentielles dès le premier tour avec plus de 25 % des voix. La ficelle était un peu grosse. En effet, tout le monde avait compris que le but était de transmettre le pouvoir à son fils Karim qui détient déjà un super-portefeuille ministériel regroupant l’Aménagement du territoire, la Coopération internationale des transports aériens et des infrastructures. Les manifestations massives avaient obligé le pouvoir à abandonner le projet et avaient donné naissance au Mouvement du 23 juin.
La Constitution de 2008 limite les mandats présidentiels à deux. En toute logique, Wade ne peut donc pas briguer un troisième mandat. Cependant le Conseil constitutionnel s’est rangé à l’argument du clan présidentiel : le premier mandat ne compte pas puisqu’antérieur à la Constitution. Cette décision a provoqué une explosion de colère dans tout le pays, renforcée par le rejet de la candidature du chanteur Youssou N’Dour.
L’acharnement du clan Wade à rester au pouvoir laisse augurer de nouveau des fraudes massives lors du scrutin présidentiel qui doit avoir lieu le 26 février 2012.
Corruption
Bénéficiant d’une réelle assise populaire, Wade avait réussi en 2000 à renverser le pouvoir détenu depuis l’Indépendance par le Parti socialiste, archétype parfait du parti néocolonial servant les intérêts des impérialistes de l’ancienne puissance coloniale. Du slogan de la campagne « Soppi » qui signifie « changement » en wolof, les populations sénégalaises ont vite déchanté. La politique économique et sociale du gouvernement n’a pas changé et la corruption s’est considérablement aggravée.
Entre inflation galopante et pillage des ressources halieutiques (pêche) et des terres, les Sénégalais vivent au rythme des délestages d’électricité qui peuvent durer des heures entières et touchent les plus pauvres qui n’ont pas les moyens de s’acheter un générateur. Ces délestages nuisent aux petites activités économiques du secteur informel et présentent des risques sanitaires dus à la rupture de la chaîne du froid pour les aliments.
Répression
Des quatorze candidatures avalisées par le Conseil constitutionnel, la plupart sont des anciens ministres des gouvernements Wade. Moustapha Niasse investi par « Benno Siggil Senegaal » (Unité pour développer le Sénégal), soutenu par la gauche sénégalaise, n’échappe à la règle. Quant au Parti socialiste, il est représenté par Ousmane Tanor Dieng.
Le pouvoir a vite et bien compris le danger des mobilisations contre le troisième mandat de Wade et tente de l’étouffer par la répression. De nombreux militants du Mouvement du 23 juin ont été arrêtés. Les forces de police et de gendarmerie sont déployées dans toutes les grandes villes du pays, Thiès, Saint-Louis et Dakar la capitale, attaquant brutalement les manifestations.
Il n’est pas sûr que cette répression réussisse à venir à bout de l’exaspération croissante des populations et Wade risque de dégager plus vite que prévu.
Paul Martial
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 134 (02/02/12).