Les films français, de 1936 à 1938, sont à l’apogée de la réaction. Un tiers parle de dépaysement, où le genre colonial domine. Dans l’immense Empire français, face aux révoltes menées dans les colonies que le cinéma tait, se lève un héros type, le légionnaire. Même le comique troupier part au bled. Ainsi, Fernandel, Un de la légion, rentre dans le rang : « Vous trouverez l’esprit de corps, la solidarité, le respect des traditions, le culte des morts, l’idéal sous les plis d’un même drapeau au service de la France et de la civilisation, à l’exemple de vos anciens qui bâtirent des villes et pacifièrent des peuples qui, autrefois, ne vivaient que de rapines et de guerres. »
Le pays se réarme, le cinéma appelle Marthe Richard au service de la France ou Feu ! Marine d’abord ... La moitié des films font dans la comédie d’humour gaulois. Mélodrames, policiers, scènes de la vie bourgeoise laissent peu de place à la Sociale ! L’Association des directeurs de cinémas de Front Populaire, créée par Marceau Pivert, veut « développer le progrès social par le cinéma, réagir contre les documentaires à tendance fasciste ou qui desservent les aspirations artistiques et sociales du peuple ». On parle de nationaliser le cinéma et Jean Zay veut un statut de la profession, idée abandonnée faute de volonté politique. Ce sera Vichy, contrôle et éradication des Juifs obligent, qui organisera ce statut.
Belles équipes
En 1932, Prix et Profits ( La Pomme de terre ) du trotskyste Yves Allégret expose les mécanismes du capitalisme en suivant le voyage d’une pomme de terre, du producteur au consommateur. Y jouent des membres du futur Groupe Octobre, Prévert, M. Duhamel etc., groupe qui portera le théâtre dans les usines en grève jusqu’à la fin de 1936. En 1935, on retrouve le Groupe Octobre dans le salutaire Crime de Monsieur Lange de Renoir, dialogues de Prévert : un « tribunal » populaire laisse partir libre Monsieur Lange, recherché pour avoir tué son ancien patron, une crapule qui menaçait la coopérative créée par les ouvriers. Des courts métrages militants et contre-actualités circulent dans les meetings tournés par les équipes de Germaine Dulac, de la SFIO, du courant pivertiste ou de Jean-Paul Le Chanois pour le PC. À la tête de l’association Mai 36, G. Dulac et J. Renoir veulent rapprocher intellectuels et ouvriers dans Ciné-Liberté, association forte de douze mille membres ( séances, débats, projets... ).
En 1934, le chef-d’œuvre Toni, de Renoir montrait pour héros un ouvrier immigré. De 1936 à 1938, figures ouvrières et paysannes, questions de société se font rares, sauf dans La Terre qui meurt, Les Bas-fonds, Le jour se lève, La Fin du jour, La Bête humaine, Grisou, Prison sans barreaux ... Atmosphère parfois populaire, mais sans vrai miroir des luttes, sur 450 films produits, voici le peu qui en donne le reflet : La Marche de la faim ( Jean-Marie Daniel ), La Belle Équipe ( Duvivier ), Le Temps des cerises ( Le Chanois ), Les Bâtisseurs (Epstein), Le Crime de Monsieur Lange, La Vie est à nous, La Marseillaise (Renoir), Espoir (Malraux), Contre le courant (Marceau Pivert).
Avec leur gain à la loterie, les chômeurs de La Belle Équipe, dont un réfugié espagnol vite expulsé, achètent une guinguette. Nos amis vaincront-ils séparation et rivalité amoureuse ? Choisissez entre deux fins : une noire voulue par Duvivier, l’autre rose commandée par la production pour parer à l’échec du film.
Renoir, en compagnon de route du PC, supervise, pour la campagne électorale de 1936, La vie est à nous, film vite interdit. 50 kilos de monnaie collectés dans les meetings, soit 70 000 francs. Le film écrit par la direction du parti est adroitement mené par Renoir, témoignant des idées du PC d’alors : union, nation...
Le Temps des cerises, produit par le PC en 1937, montre des anciens de 14-18 face à la crise : chômage, pauvreté des ouvriers, paysans, artisans face aux industriels qui s’enrichissent. L’Espoir, tourné en Espagne en 1937, révèle en Malraux un vrai cinéaste. Le film n’aura le droit de sortir qu’en 1945. Dans Contre le courant (1938), Marceau Pivert (PSOP) défend l’idée que « Tout est possible » derrière le drapeau rouge.
La Marseillaise
Pour les 150 ans de 1789, Renoir réalise le seul « vrai » film de Front populaire, financé en partie par une souscription lancée par la CGT et soutenu par le gouvernement. La Marseillaise, superbe fresque historique, ouvre au genre une nouvelle voie, non explorée par la suite. L’action couvre du 14 juillet 1789 à septembre 1792 (Valm ), avec la montée à Paris de Marseillais venus prendre les Tuileries. En phase avec les idées du PC, le film promeut La Marseillaise, le chant de Rouget de L’Isle que le PC impose dans ses rangs, union nationale oblige ! Le film vante encore la « main tendue aux catholiques » ( Thorez ) et la nécessité de la guerre contre les « Prussiens ».
Toutefois, l’œuvre rompt avec la tradition du genre : sa grande qualité est de faire vivre à l’écran non pas de « grands hommes » (poncifs du film historique), mais une mosaïque de figures anonymes du peuple, dont Renoir a trouvé les contours dans les archives départementales des Bouches-du-Rhône. Parmi ces sympathiques figures de 1789, le public de 1936 reconnaît en Bomier le « socialiste », en Arnaud le « communiste », en Javel le « gauchiste » et l’élan de 1936 traverse le film. Renoir défend le rôle des femmes dans la lutte - fait rare du cinéma d’alors, Kermesse héroïque de Feyder exceptée - et surprend la droite comme la gauche par son traitement des aristocrates et du roi.
La Grande Illusion (Renoir) et La Marseillaise datent tous deux de 1937. Le premier est pacifiste, les classes sociales divisant les hommes plus que les nations. Le second est nationaliste. Paradoxe ou opportunisme ? Renoir, amoureux de la vie, sut faire des films reflets de quelques luttes et débats de leur temps. En 1939, sa Règle du jeu, véritable chef-d’œuvre, annonçait la grande danse macabre dans laquelle allait sombrer le monde.